Embourgeoisement

Parc-Ex sous tension

À la veille de l’ouverture du campus MIL de l’Université de Montréal sur l’ancienne gare de triage d’Outremont, le prix des loyers s’emballe dans Parc-Extension, un des quartiers les plus multiethniques au Québec et celui qui occupe le deuxième rang des plus pauvres au Canada.

UN DOSSIER DE SUZANNE COLPRON

Des loyers qui explosent

Connu pour ses restos indiens, Parc-Extension est un des derniers quartiers abordables pour les nouveaux arrivants. Mais cela risque de changer avec l’arrivée des étudiants.

Des prix qui ont triplé

Nassima Bessaha et ses deux enfants ont été chassés de leur logement par un incendie qui s’est déclaré chez le voisin. Ils occupaient un quatre et demie, rue Wiseman, dans Parc-Extension, depuis 2008. Loyer : 600 $ par mois.

600 $ ? Oui, une aubaine pour un quartier central de Montréal desservi par deux stations de métro. Mais oubliez ça. La venue du campus MIL de l’Université de Montréal, construit sur l’ancienne gare de triage d’Outremont, a fait exploser le prix des loyers.

« Il y a un manque fou de logements, lance-t-elle. C’est impossible de se reloger dans Parc Ex aujourd’hui. Les prix ont triplé. Je n’ai rien trouvé de comparable au logement que j’occupais en bas de 1400 $ par mois. Le plus bel appartement que j’ai vu, je n’ai même pas pu le visiter. Il était 1875 $ sur Kijiji. Les propriétaires ne répondent pas aux familles qui les appellent. Tout le monde se prépare à louer à des étudiants. »

2000 étudiants

Le phénomène de l’embourgeoisement n’est pas nouveau. Il touche plusieurs quartiers de Montréal, dont Hochelaga-Maisonneuve et Saint-Henri. Mais à Parc-Extension, il est plus soudain et plus brutal. Habituellement, l’embourgeoisement est un processus lent, qui se déploie sur de très nombreuses années. Dans ce cas-ci, 2000 étudiants vont débarquer d’un seul coup en septembre. À cela s’ajoutent les entreprises en intelligence artificielle qui débordent du Mile End à l’est de l’avenue du Parc.

Même si un certain embourgeoisement avait commencé dans le quartier, Parc-Extension avait été protégé, pour ne pas dire oublié. Pourquoi ? Parce qu’il est difficile d’accès, enclavé entre l’autoroute Métropolitaine, deux axes de chemin de fer et la ville de Mont-Royal. Et aussi parce qu’il est l’un des plus pauvres de Montréal et qu’il compte son lot de logements insalubres.

Du jamais vu dans le quartier

Mais la situation a changé avec le campus MIL. La mairesse de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, Giuliana Fumagalli, qui siège comme indépendante, est formelle : le nouveau bâtiment universitaire a fait bondir les prix des loyers et des maisons.

« Il n’y a pas longtemps, mes voisins immédiats payaient moins de 500 $ par mois pour un quatre et demi, dit-elle. Un quadruplex se vendait 400 000 $ avec des loyers inférieurs à 500 $. Aujourd’hui, c’est 1200 $ pour un appartement pas chauffé, retapé sommairement. Il y a tellement d’agents d’immeubles et de promoteurs que c’est devenu dérangeant. On reçoit des lettres personnalisées, des cartes professionnelles, des mots déposés à la porte… Les gens se sentent importunés. Il y a même des maisons aux enchères. Du jamais vu dans le quartier. »

Un quartier fascinant

Pour plusieurs, toutefois, l’arrivée du campus universitaire comporte des éléments positifs.

« On fait venir ici des étudiants et des jeunes familles qui vont acheter dans les commerces du quartier. Tout ça augmente la valeur et améliore la qualité de vie », dit la conseillère municipale du district de Parc-Extension, Mary Deros, élue du parti Ensemble Montréal.

« Le campus attire une nouvelle population, beaucoup d’étudiants, mais pas seulement, ajoute le député solidaire de Laurier-Dorion, Andrés Fontecilla. Ils vont découvrir dans Parc-Ex un quartier fascinant où il fait bon vivre. »

Trou béant

Autre élément positif : l’énorme gare de triage, un trou dans la ville, a été remplacée par un ensemble architectural d’une grande qualité qui contribuera à revitaliser le secteur. Ce nouveau campus aura un effet dynamisant pour les environs immédiats, notamment l’avenue Beaumont, une zone commerciale et industrielle où s’alignent plusieurs petits bâtiments et garages, près des voies ferrées.

Un exemple : le Beau Mont, le nouveau restaurant de la famille Toqué !, du duo Normand Laprise et Christine Lamarche, a ouvert ses portes, il y a quelques semaines, dans un immense local, conçu par SidLee Architecture, au 950, avenue Beaumont.

Le propriétaire de l’immeuble est le groupe Montoni, l’un des grands promoteurs immobiliers de la région montréalaise. « Cette zone est en train de devenir une partie très intéressante de la ville, affirme le président Dario Montoni. Son interconnexion entre plusieurs quartiers actifs, sa vocation universitaire et son accessibilité au réseau de transports collectifs constituent un terrain fertile pour toutes sortes de nouvelles idées. » Montoni étudie la possibilité de réaliser d’autres projets dans Parc Ex.

« Un bijou »

« Les propriétaires des immeubles ont vieilli et ils vendent, souligne la conseillère Mary Deros, en poste depuis 20 ans. Les acheteurs rénovent et haussent les loyers pour récupérer l’argent investi. L’homme [Éric Litsakis] qui a acheté le bloc sur le boulevard de l’Acadie, au coin de l’avenue d’Anvers, un immeuble insalubre souvent visité par les inspecteurs de la Ville, a fait des rénovations remarquables. C’est un bijou. »

Les conséquences

Le problème, comme c’est généralement le cas avec l’embourgeoisement des quartiers, c’est que s’il y a des conséquences positives, il y a aussi des effets négatifs. L’intérêt croissant pour ce secteur met de la pression sur les locataires à faibles revenus.

« Ce qui se passe, c’est que les propriétaires n’ont pas intérêt à garder les immeubles en mode locatif à moins de hausser le loyer, d’autant que des rénovations sont souvent nécessaires », explique Hans Brouillette, directeur des relations publiques de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec. « La survie de plusieurs immeubles passe par une restructuration majeure et des augmentations de 30, 40 et même 50 % des loyers. Il y en a qui le font légalement et d’autres qui le font illégalement. » 

Pour Damaris Rose, professeur honoraire à l’Institut national de recherche scientifique (INRS), les changements qui s’opèrent à Parc-Extension sont particulièrement graves parce que c’est un des derniers quartiers abordables pour les nouveaux arrivants, et qu’on ne semble pas avoir pris les moyens nécessaires pour les atténuer.

Moins de taudis

« Oui, il y a moins de taudis dans Parc-Ex. Mais ils sont remplacés par quoi ? Par des condos de luxe vendus des milliers de dollars pour des studios et des trois et demie, ajoute l’organisateur communautaire Alexandre Cadieux, du Comité d’action de Parc-Extension (CAPE). Ça ne répond pas aux besoins des personnes mal logées. Au contraire, il y a juste moins d’appartements abordables. C’est l’offre et la demande. Les propriétaires augmentent les prix. Les locataires peuvent sacrer leur camp avant la fin du bail, il y a une liste de locataires qui attendent pour se trouver un logement. »

Les efforts pour compenser les effets négatifs de l’embourgeoisement passent en général par une offre de logements sociaux à ceux qui sont touchés par la hausse des loyers ou la pénurie de logements. Dans le cas de Parc-Ex, deux facteurs négatifs sont en jeu. Le premier, c’est l’absence de terrains que la Ville pourrait réserver pour construire des logements sociaux. Le deuxième, c’est la difficulté pour les autorités de rivaliser de vitesse avec les promoteurs. Un projet de logement social prend des années à se réaliser, alors que les promoteurs peuvent acheter, en argent comptant, un multiplex en 48 heures et le transformer en six mois.

Délais trop longs

« Le milieu du logement social ne peut pas compétitionner avec les promoteurs, affirme le solidaire Andrés Fontecilla. Les délais sont trop longs et l’argent est insuffisant. »

« Il y a une grande demande de la part des promoteurs qui veulent construire des condos et des logements, renchérit Mme Deros. Les groupes communautaires font pression pour qu’on développe des logements sociaux. Mais la Ville n’est pas capable de répondre assez vite. Elle voulait acheter une boulangerie au coin de Beaumont et Querbes pour faire du logement social. Un promoteur a doublé le prix. »

Occasions ratées

Comment limiter les dégâts ?

« Il faudrait un registre des baux pour contester les hausses par rapport aux loyers payés par les locataires précédents, croit Damaris Rose, qui étudie le phénomène de l’embourgeoisement depuis 30 ans. L’éviction pour rénover et relouer à des prix plus élevés est une partie importante de la dynamique. Il faut profiter de la réforme de la Régie du logement.

« Dans d’autres villes, on met de la pression sur les compagnies pour contribuer à la réalisation de logements abordables. On ne le fait pas ici. On devrait mettre le secteur privé à contribution. La Ville manque beaucoup d’imagination. Il y a des occasions ratées. »

Projets éphémères

De son côté, l’Université de Montréal, consciente que son nouveau campus participe à la transformation de la ville, a multiplié les rencontres avec les élus, l’arrondissement et les groupes communautaires au cours des dernières années pour tenter de minimiser l’impact de son arrivée. Les 1300 logements qui seront construits sur des terrains qu’elle a cédés à la Ville, du côté Outremont, comporteront 15 % de logements sociaux et 15 % de logements abordables. Et la passerelle érigée au cœur du nouveau campus va connecter deux quartiers qui ne l’étaient pas : Outremont et Parc-Ex.

« On ne se met pas la tête dans le sable, dit Geneviève O’Meara, porte-parole de l’UdeM. Mais notre mandat n’est pas de construire du logement social. »

L’Université a mis deux projets sur pied pour se rapprocher de la communauté de Parc-Ex : la clinique L’extension, qui offre depuis 2014 des services aux enfants du quartier, et le prêt d’une portion inutilisée du site du campus MIL à des groupes communautaires pour la réalisation de « projets éphémères », d’avril à octobre.

Exode vers Côte-des-Neiges

Mais pour Nassima Bessaha, qui vivait dans Parc-Ex depuis 2003 avec ses deux enfants, le quartier est devenu tout simplement inabordable. Cette Montréalaise d’adoption a dû se résoudre à déménager dans Côte-des-Neiges, où plus du quart de la population vit sous le seuil de la pauvreté. « Je ne suis pas la seule, assure-t-elle. Je connais plein de gens dans ma situation. »

Le nouveau visage de Parc-Ex

L’embourgeoisement s’accélère dans Parc-Extension. Des locataires subissent la pression des propriétaires et des promoteurs tentent d’acquérir des immeubles.

Pas à vendre

Farla Promac possède avec sa mère un petit garage sur l’avenue Beaumont, à deux pas du métro et du nouveau campus MIL. Elle dit recevoir régulièrement des offres d’achat pour son commerce. Mais ni elle ni sa mère ne veulent vendre. « On fait vivre neuf familles ici », explique Farla, en parlant des garagistes. Fin février, l’arrondissement a autorisé la démolition de deux petits immeubles voisins où seront construits des condos.

Boom de condos

Peter Kremmydiodis est propriétaire de l’imprimerie K-Litho sur l’avenue Beaumont, près du garage de Farla Promac. Son entreprise occupe le rez-de-chaussée de l’immeuble acquis par son père, il y a de nombreuses années. « De mon côté de la rue, tout est commercial et industriel, observe-t-il. Mais de l’autre côté, c’est devenu résidentiel. Tous les édifices ont été vendus et sont en train d’être transformés en condos. » Pour l’instant, M. Kremmydiodis ne veut pas vendre. « Mais ça dépend toujours du prix… »

Un quartier sous-évalué

Propriétaire du magasin Peintures Alex, avenue Ogilvy, Hélène Papas constate que le coût des loyers a bondi dans le quartier, plus particulièrement entre les rues Jean-Talon et Beaumont. « Ça fait 30 ans qu’on est sous-évalués ici, dit-elle. Nos voisins sont tous riches : Mont-Royal, Outremont, Mile End, Villeray… Nous autres, on était pauvres comparés à eux autres. C’est normal que les prix montent. »

« De plus en plus de Blancs »

Sasha Dyck et sa conjointe ont été évincés de leur logement en février par le propriétaire qui voulait s’y loger. « La crise du logement commençait dans Parc-Ex, dit cet infirmier de 36 ans, très impliqué dans sa communauté. On a visité une vingtaine d’appartements avant de louer. Et tous les propriétaires nous ont dit que le loyer était 20 % plus cher qu’il y a trois ans à cause des étudiants. » Près de la rue de Liège, dans le nord du quartier, M. Dyck avait trouvé un logement à 1000 $, mais cinq étudiants ont offert 1700 $ pour le louer. « On voit un changement dans la population de Parc-Ex, note-t-il. Il y a de plus en plus de Blancs. Et souvent, à prix égal, les propriétaires vont préférer louer à des Blancs. »

De 725 $ à 850 $

Mushtak Malik, 65 ans, habite dans Parc-Ex depuis 19 ans. Au cours de la dernière année, l’immeuble dans lequel il occupe un cinq et demie a été vendu. Quelques semaines plus tard, le nouveau propriétaire a fait passer son loyer de 725 $ à 750 $ par mois. « L’ancien propriétaire était très gentil, assure-t-il. Mais le nouveau m’a donné une lettre pour m’augmenter de 25 $. J’ai dit OK même si c’était illégal parce que je ne voulais pas de dispute. » Puis, en mars, le propriétaire est revenu voir M. Malik et a exigé 100 $ de plus par mois. « Il a dit que nos loyers augmentaient à cause de l’université. Et que l’an prochain, après les rénovations, ça allait être encore plus cher », ajoute ce résidant qui conteste l’augmentation devant la Régie du logement.

By the book

Depuis un an, Alexandre Cadieux, qui travaille pour le Comité d’action de Parc-Extension, voit de plus en plus de propriétaires qui cherchent à « se débarrasser » de leurs locataires. « Ce sont souvent des jeunes qui viennent d’acquérir un bloc et qui veulent monter les loyers. Avant, les propriétaires ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Ils envoyaient des avis illégaux, mettaient des gens à la porte, allaient porter leur stock dehors… C’était grave, c’était terrible, mais on appelait la police et on gagnait les causes à la Régie du logement. Aujourd’hui, ce sont des propriétaires qui savent ce qu’ils font : ils envoient des mises en demeure, ils ont des devis d’architectes, ils emploient des avocats, ils font tout by the book. »

Un quartier à part

Pauvre et multiculturel… Portrait d’un quartier enclavé de toutes parts par des infrastructures ferroviaires et routières.

Quadrilatère

D’une superficie de 1,6 km2, Parc-Extension est un petit quartier délimité au nord par le boulevard Crémazie et l’autoroute Métropolitaine, au sud et à l'est par le chemin de fer du Canadien Pacifique, et à l’ouest par le boulevard de l’Acadie et par Mont-Royal. À l'est, il va jusqu'à la rue Casgrain, mais sa frontière naturelle est la voie ferrée du CP.

Locataires

Les trois quarts des ménages qui y vivent sont locataires. Ils habitent dans des logements relativement récents, mais plus petits qu’ailleurs à Montréal. Parc-Ex est aussi tristement connu pour ses problèmes d’insalubrité.

714 $

Le coût moyen du loyer était de 714 $, en 2016, lors du dernier recensement.

3065

Nombre de ménages en attente d’un HLM

Ethnies

Plus de 100 groupes ethniques différents habitent dans ce quartier. Les résidants sont nés pour la plupart en Grèce, en Inde et au Bangladesh.

51 %

Proportion d’immigrants dans le quartier, contre 42 % dans l’ensemble de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension

Grec, pendjabi, ourdou

Le pourcentage de la population qui ne parle ni français ni anglais à la maison est de 43 %. Les principales langues parlées sont, dans l’ordre, le grec (10 %), le pendjabi (6 %) et l’ourdou (5 %).

21 %

Un résidant sur cinq est titulaire d’un diplôme universitaire. Dans l’ensemble de Montréal, c’est 34 %.

38 000 $

Le revenu médian des ménages en 2015 était de 38 022 $. Parmi les dépenses de consommation courante, celles liées au logement (26 %), à l’alimentation (16 %) et au transport (12 %) accaparent plus de la moitié du budget.

Son nom

Au début du XXe siècle, Parc-Extension était un secteur agricole surtout habité par des francophones. Mais l’arrivée du tramway, en 1909, a incité les spéculateurs à acheter des terres pour en faire des lots. La Park Realty Company of Montreal a acheté trois lots qu’elle a nommés Park Avenue Extension, d’où l’origine du nom du quartier, appelé Parc-Ex par les intimes. Dans les années 60, le quartier a été massivement adopté par la communauté grecque.

Sources : Statistique Canada, recensement de la population 2016, et Ville de Montréal

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