partenariat bombardier-airbus

Un peu de nationalisme industriel, SVP !

Depuis l’arrivée d’Airbus dans la coentreprise qui détient le programme C Series, plusieurs ont cassé du sucre sur le dos de Bombardier, faisant la preuve d’une profonde incompréhension du fonctionnement des secteurs manufacturiers et aéronautiques.

La classe politique doit cesser de prendre cette entreprise génératrice d’emplois de grande qualité pour une piñata partisane, ce que nos concurrents au Brésil, en Chine et en Russie ont la sagesse d’éviter. Politiser notre investissement collectif dans cet avion avant-gardiste est nuisible tant à la réputation internationale de Bombardier qu’aux 16 500 Québécois qui y travaillent.

Soyons clairs : produire l’avion le plus technologiquement avancé de sa génération est un exploit dont nous pouvons être fiers, mais encore faut-il pouvoir le vendre. Vendre un jet régional n’est pas la même chose que de vendre un avion de la C Series. Pour développer cette expertise, nous aurions dû investir des années d’efforts et des milliards de dollars supplémentaires. Établir un réseau de maintenance et de service à la clientèle dans le monde entier a aussi un coût important. Avec sa force de ventes et son réseau de clients bien établi, Airbus amène une expertise et une envergure qui propulseront la C Series. 

En accroissant les ventes et la production d’avions, Airbus renforcera non seulement Bombardier, mais tout l’écosystème aéronautique québécois, qui représente plus de 40 000 emplois. Celui-ci passera à un stade supérieur et le Québec solidifiera son titre de nation aéronautique.

À la base, la C Series avait été conçue comme un avionde niche qui ne devait pas inquiéter les grands avionneurs. On connaît la suite. Voyant d’un mauvais œil l’arrivée de ce concurrent gênant, Boeing a tenté de couper les ailes de Bombardier en déclenchant une guerre commerciale sans merci. Le match devenait inégal.

Pourtant, Boeing est elle-même une championne du soutien gouvernemental, elle qui se nourrit aux mamelles du département américain de la Défense à coup de contrats militaires valant des milliards de dollars. Le même modèle s’applique au Brésil avec Embraer, dont les dépenses en recherche et développement sont largement subventionnées. Bref, quand on compare ces deux acteurs à Bombardier, on constate que cette dernière est loin d’être l’enfant gâté que certains gérants d’estrade décrivent à tort.

Rappelons que plus de 7000 avions de Bombardier sont actuellement en service. Bombardier continuera donc d’être une force majeure. Qui plus est, le maintien des emplois liés à la C Series à Mirabel jusqu’en 2041 confirme la volonté d’Airbus de jouer un rôle de premier plan au Québec. Même en considérant l’implantation d’une ligne de production en Alabama, Bombardier, l’écosystème aéronautique québécois et les travailleurs ont de quoi se réjouir de ce partenariat. Un avion qui devient une réussite commerciale peut rester en production de 20 à 30 ans et permettra à un groupe d’employés d’y œuvrer toute leur carrière. 

C’est un rare exemple de stabilité dans un monde où les succès sont souvent éphémères. On n’a qu’à penser à Nortel et à BlackBerry.

L’arrivée d’Airbus, un géant de 67 milliards d’euros, est une occasion rêvée pour les 180 entreprises constituant la grappe aéronautique québécoise de démontrer leur savoir-faire, de l’exporter et d’augmenter leur chiffre d’affaires. Avec ses 16 milliards US de revenus, Bombardier dépense à elle seule 2,2 milliards CAN auprès de ses fournisseurs locaux et contribue au PIB canadien à hauteur de 12,2 milliards CAN. Imaginez maintenant le potentiel de croissance que représente l’alliance entre ces deux leaders. Ces données économiques doivent amener une dose de responsabilité et d’optimisme dans l’analyse qu’on fait de ce partenariat.

Certains prétendent que Bombardier a fait don de la C Series à Airbus. Il faut être naïf pour croire qu’elle aurait fait un tel cadeau sans rien obtenir en retour. Nous l’avons dit, Airbus met au profit de la coentreprise une incroyable équipe de ventes qui pourrait doubler le nombre d’appareils vendus, selon l’analyste Richard Aboulafia. De plus, elle fera bénéficier la C Series et son partenaire Bombardier de son expertise en matière d’approvisionnement et de son infrastructure mondiale de services après-vente. Jumelés à la technologie de la C Series, ces avantages accéléreront son déploiement, conférant une valeur au moins deux fois plus grande à la coentreprise. Dès lors, l’investissement de 1,3 milliard CAN en équité réalisé par le gouvernement du Québec vient de croître malgré la baisse de sa participation. 

Rappelons aussi que le poids de l’investissement gouvernemental demeure minime par rapport à ce que les actionnaires de Bombardier ont investi pour développer la C Series.

La création d’une nouvelle coentreprise était un choix judicieux et le gouvernement du Québec a fait preuve de vision en y participant, puis en accueillant Airbus. Ce faisant, Bombardier a retrouvé sa capacité financière et la confiance des investisseurs. Si des centaines de villes ont fait des pieds et des mains pour courtiser Amazon, c’est parce qu’elles reconnaissent qu’une telle entreprise peut jouer un rôle structurant dans leur économie. Ce n’est pas la peine d’aller chercher loin, Bombardier, c’est notre Amazon. C’est le cœur d’une industrie innovante qui représente un emploi sur 70 dans la région de Montréal. Il ne faut pas se laisser berner par ceux qui seraient restés les bras croisés face aux difficultés d’un acteur industriel majeur qui contribue depuis 75 ans au rayonnement du génie québécois. On ne construit pas l’économie d’une nation en prônant la politique de la terre brûlée.

Pour le Québec, un monde s’ouvre avec le partenariat entre Bombardier et Airbus. Le géant français découvrira rapidement le savoir-faire et le talent québécois, confirmant ainsi notre place comme troisième pôle aéronautique mondial. Soyons fiers de notre secteur manufacturier : celui-ci mérite notre appui. Un peu de nationalisme industriel, SVP !

* Mehran Ebrahimi est directeur du Groupe d’étude en management des entreprises de l’aéronautique et vice-président de l’Association pour la gestion des connaissances dans la société et les organisations (AGECSO).

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