Opinion

L’avenir du monde passe par les villes

La semaine dernière s'est tenu à Montréal le congrès mondial de Metropolis. L’organisation regroupe les villes de plus de 1 million d’habitants partout sur la planète. Longtemps boudés par les élites, les dirigeants politiques de cet « autre ordre » de gouvernement dessinent déjà l’avenir de nos sociétés souvent à l’insu des États-nations. Dans ce sens, l’identité des pays devient de plus en plus tributaire des métropoles qui les façonnent.

Pour certains observateurs, ce n’est pas d’hier que les villes jouent un rôle majeur dans le développement des sociétés. Dans sa Brève histoire de l’avenir, Jacques Attali décrit le développement de la civilisation occidentale, du XIIe siècle à nos jours, par des avancées toutes reliées à ces « cœurs de pays » que sont les villes : Bruges et le gouvernail d’étambot, Venise et la caravelle, Anvers et l’imprimerie, Gênes et la comptabilité, Amsterdam et la flûte, Londres et la machine à vapeur, Boston et le moteur à explosion, New York et le moteur électrique, et au siècle dernier, Los Angeles et le microprocesseur.

Si les villes et les métropoles occupent de plus en plus de place sur l’échiquier mondial, c’est d’abord à cause de leur poids démographique.

En 2050, nous serons 9 milliards d’humains sur la planète. L’Organisation des Nations unies prévoit que cette croissance démographique se concentrera presque exclusivement dans l’espace urbain.

Archipels urbains

Cet espace urbain dépasse aujourd’hui les strictes frontières des villes. Des dizaines de millions de personnes habitent aujourd’hui d’immenses archipels urbains. Le BosWash aux États-Unis (Boston – New York – Philadelphie – Baltimore – Washington) et le Tokaido au Japon (Tokyo – Nagoya – Osaka – Kobe – Kyoto) en sont d’évidentes manifestations. Outre leur poids démographique (et électoral), ces deux mégapoles accaparent respectivement 30 % et 80 % de leur PIB national. Toutes proportions gardées, le Québec connaît le même sort : plus d’un Québécois sur deux habite la région de Montréal et l’activité économique de l’agglomération accapare 53 % du PIB de la province.

Dans ce contexte, notre conception de la géoéconomie mondiale ne tient plus la route. Elle est en retard, désynchronisée. Ceux qui voient encore le monde comme une mosaïque de pays et d’économies nationales sont dépassés. Le monde est devenu une toile. Un réseau de régions métropolitaines où s’échangent continuellement des biens, des services, des talents et de l’information. Beaucoup d’information. De l’information scientifique, commerciale, financière. Et contrairement aux pays, ces milliers de réseaux, tissés d’une métropole à l’autre, n’ont pas de frontières nationales.

Les États continuent d’exister, mais ils sont en tension ou en harmonie avec les métropoles. L’analyste américano-indien Parag Khasna propose même de remplacer les 50 États américains par sept mégarégions et de rebaptiser le tout les Cités-États-Unis d’Amérique. Conserverons-nous longtemps les 10 provinces canadiennes ou les 17 régions administratives du Québec ? Poser la question, c’est déjà ouvrir la voie à de nouvelles idées.

Dans ce contexte, à cause de la concentration des citoyens, de la force et de la vigueur des réseaux et des échanges, métropolisation et mondialisation deviennent aujourd’hui les deux faces de la même médaille. Parce que les savoirs et les activités à forte valeur ajoutée se concentrent dans les métropoles, très rarement dans les capitales.

Les métropoles regroupent des densités : densité de population – souvent multiethnique –, densité d’entreprises, densité d’entrepreneurs, densité de financiers, densité de chercheurs, densité d’étudiants, densité de savoirs, densité de cultures, densité de technologies, densité d’innovations.

Les métropoles du XXIe siècle sont donc là pour rester et… s’imposer. Les plus petites comme Montréal gagneront à jouer la carte de la créativité et de la qualité des milieux de vie.

Depuis toujours, les salariés ont suivi les entreprises là où elles s’implantaient. Dorénavant, ce pourrait être le contraire. Ce sont les entreprises qui suivront leurs collaborateurs là où ils choisiront de vivre, surtout dans l’économie numérique. Le phénomène est déjà perceptible à Montréal au fur et à mesure que la métropole devient un centre mondial de l’intelligence artificielle.

Dans ce contexte, les villes d’avenir devront faire davantage d’efforts pour attirer les talents, les personnes d’exception dans leur domaine d’activité. Elles devront créer des environnements où les citoyens vivront en sécurité, des environnements qui permettront le vivre- ensemble, peu importe les revenus, le sexe, l’âge, le statut social, l’ethnie d’origine ou l’appartenance religieuse.

Pour y arriver, ces nouveaux « États urbains » réclameront de plus en plus de pouvoirs en matière de gouvernance et de fiscalité. Certaines réalités comme l’immigration, l’habitation ou les transports forcent déjà l’entendement : les États-nations ne sont plus appropriés pour traiter ces problématiques. Mexico, une ville de 21 millions d’habitants (30 millions en 2050), vient de bénéficier d’une réforme constitutionnelle majeure où elle héritera d’une plus grande autonomie. Mexico ne devient pas un nouvel État, mais son nouveau statut s’y apparente fortement, avec son propre Parlement et un régime fiscal distinct de l’État fédéral.

Montréal a obtenu de Québec l’an dernier une première loi augmentant son autonomie et ses pouvoirs dans la gestion de certains dossiers, en plus de se voir reconnaître le statut officiel de métropole du Québec. C’est un premier pas. Espérons que le mouvement se renforcera. L’avenir des régions et du Québec entier en dépend peut-être.

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