Opinion Protection des sources journalistiques

De « cancre » à « premier de classe » !

À l’automne 2016, nous découvrions avec stupeur que des journalistes avaient été espionnés par les services de police dans le cadre de certaines opérations visant à débusquer des sources journalistiques. Certains journalistes avaient même été sous l’œil-espion des forces de l’ordre pendant plusieurs années. 

Avec raison, l’indignation populaire fut généralisée. Comment avait-on pu obtenir de telles autorisations à espionner des journalistes qui sont, faut-il le rappeler, des rouages importants de notre société libre et démocratique ? 

Le droit au public à une information juste et éclairée est si important que la liberté de la presse est enchâssée dans la Charte canadienne des droits et libertés à son article 2. 

Cette situation complètement aberrante amena le gouvernement du Québec à créer la commission Chamberland, qui a pour mandat de faire la lumière sur ces cas d’écoute électronique et de géolocalisation de journalistes et de faire rapport au plus tard le 1er mars 2018 au gouvernement afin de mieux encadrer ces pratiques policières. 

Toutefois, le gouvernement du Québec ne peut agir que dans ses champs de juridictions spécifiques et n’a donc pas la possibilité d’intervenir en regard du Code criminel qui est de juridiction fédérale. Il apparaissait évident qu’une intervention du Parlement canadien était nécessaire.

Les journalistes ont besoin d’avoir des sources pour leur permettre, entre autres, de mettre au jour des stratagèmes douteux, voire carrément illégaux, de certains décideurs. Faut-il le rappeler, la commission Gomery et la commission Charbonneau furent instituées à la suite du travail d’enquête remarquable de journalistes. Sans sources, ces journalistes n’auraient pu avoir accès à l’information nécessaire et ces commissions d’enquête n’auraient probablement jamais vu le jour.

Mais pour que ces sources puissent alimenter le travail des journalistes, elles doivent avoir la certitude que leur identité sera protégée. Sinon, elles se tairont. Il fallait donc offrir une protection renforcée aux sources afin de leur garantir un environnement sécuritaire pour qu’elles puissent continuer à avoir confiance envers les journalistes et ainsi leur fournir les informations essentielles à leur travail d’enquête.

C’est dans ce contexte que j’ai décidé de présenter un projet de loi en novembre 2016 afin justement d’établir un cadre juridique clair et exigeant lorsqu’un journaliste est visé par une enquête policière. Le projet de loi S-231, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel (protection des sources journalistiques), a été déposé au Sénat du Canada le 22 novembre 2016 et étudié par le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat. Plusieurs acteurs clés du monde journalistiques et policiers sont venus y témoigner et de façon très majoritaire, les avis étaient favorables à mon projet de loi. On y a même entendu que le Canada faisait figure de « cancre » sur la scène mondiale en matière de protection des sources journalistiques et qu’il était urgent d’agir.

Concrètement, voici quelques modifications que S-231 apporte. Dorénavant, avec l’adoption de ce projet de loi, seul un juge d’une cour supérieure (au Québec, un juge d’une cour du Québec-art. 552) pourra émettre un mandat, une autorisation ou une ordonnance de surveillance à l’encontre d’un journaliste. Aussi, dès qu’une enquête aura été complétée à la suite d’un mandat dûment autorisé, toute l’information recueillie sera placée sous scellé de la cour et aucune des parties ne pourra la consulter sans l’autorisation d’un juge. Dès qu’un fonctionnaire voudra consulter l’information recueillie, et sous scellé, à l’encontre d’un journaliste, un avis devra être signifié au journaliste en question et à son organe de presse. Ces derniers auront un délai de 10 jours pour faire opposition s’ils estiment que cette information pourrait permettre d’identifier une source anonyme du journaliste. Enfin, si le journaliste s’oppose à la consultation de cette information, il appartiendra alors à la personne qui sollicite cette information de faire la preuve que l’obtention de celle-ci est cruciale pour la suite de l’enquête (renversement du fardeau de la preuve).

En général, les projets de loi d’initiative parlementaire, ceux qui n’émanent pas du gouvernement, ont peu de chance d’être adoptés, encore moins de l’être rapidement. Mais mes collègues parlementaires ont saisi l’occasion. 

Mon projet de loi fut adopté à l’unanimité en troisième lecture au Sénat le 11 avril 2017 puis envoyé à la Chambre des communes pour y être étudié. Parrainé par le député de Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell, le projet de loi S-231 a franchi toutes les étapes à la Chambre des communes pour être finalement adopté, également à l’unanimité des élus, le 4 octobre dernier. Le Sénat a adopté la version finale avec de petits amendements ce 17 octobre et il recevra la Sanction royale dans les semaines à venir.

D’une seule et unique voix, le Parlement du Canada a reconnu l’importance des journalistes dans notre démocratie et a agi de façon non partisane dans le but de protéger leurs sources. 

Je remercie mes collègues du Sénat et de la Chambre des communes pour leur soutien dans ce dossier. Je veux également remercier tous les membres des médias qui nous ont apporté leurs lumières tout au long de l’étude de ce projet de loi. 

Nous venons de faire passer le Canada de « cancre » en matière de protection des sources journalistiques à « premier de classe » en cette matière. J’en suis certain, c’est le droit du public à l’information qui en sera le grand gagnant.

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