ARTS VISUELS Miss Me à la galerie Fresh Paint

Crier ses idées sur des murs

Le jour, Miss Me est designer. La nuit, elle tapisse les murs d’œuvres en papier qui représentent des icônes de la musique noire, comme Nina Simone ou Billie Holiday. Pour la première fois, l’artiste montréalaise expose ses œuvres dans une galerie d’art. Mais elle poursuivra ce qu’elle appelle son « vandalisme artistique ».

C’est une belle femme de 33 ans. En entrevue, elle est à visage découvert, mais elle enfile une cagoule pour la photo. Son activité nocturne préférée – fixer des œuvres en papier sur des murs – n’est pas légale. Elle a été arrêtée une fois par la police. Elle veut rester anonyme. Autant que possible.

Vous avez peut-être déjà vu ses œuvres. Son style est unique. Elle représente d’anciennes vedettes de la musique comme des saints. Ce sont ses « Saints of Soul ». Elle admire les Nina Simone, Billie Holiday, Joséphine Baker ou Miles Davis pour leur talent et leur engagement pour les droits sociaux.

« On peut trouver de la beauté et de la sainteté dans bien des gens qui ont inspiré beaucoup de monde. Le message est toujours le même, c’est l’amour. »

— Miss Me

Elle est née en Suisse dans une famille juive. Elle a ensuite vécu en France avant de venir au Québec étudier en design graphique. Elle est restée, est devenue directrice artistique, a bossé dans la pub puis, dès 2011, dans la rue.

« Cette année-là, j’ai tout quitté. J’avais un super travail dans une super boîte mais j’ai eu un trop-plein de monde commercial, de social et de gens qui te disent quoi faire et comment. J’ai pété un câble et j’ai commencé à mettre mes dessins dans la rue. »

CRIER DANS LA RUE

Elle s’est baptisée Miss Me pour affirmer sa féminité, son humilité et son unicité. « Je suis juste Mademoiselle Moi ! », dit-elle. Elle ne connaissait personne dans le milieu de l’art de rue et voulait, elle aussi, afficher ses idées. « Toutes mes illustrations sont des opinions, dit-elle. Je voulais les crier dans la rue. J’avais un besoin de liberté. »

Devenue pigiste, elle a pu voyager pour le travail et pour l’art. Récemment, elle était à Hong Kong. Au menu : design le jour et collage de ses dessins sur les murs de la cité chinoise la nuit.

Miss Me dit faire attention de ne pas poser ses dessins n’importe où.

« Je n’en mets pas sur les portes d’entrée des maisons ni des choses sexuelles près d’une école. Je choisis plutôt des murs publics mais bon, ça reste que c’est la rue. Et puis, c’est du papier. Ça ne reste pas longtemps. »

— Miss Me

JAZZ ET HUMANITÉ

Passionnée de jazz et d’humanité, elle rend hommage aux artistes qui n’ont plus la reconnaissance qu’ils méritent. « Ils sont encore influents, dit-elle. Nina Simone a eu un impact très grand sur les droits et le climat politique de l’époque. »

Chez Fresh Paint, elle a accroché sept créations réalisées depuis deux mois sur des planches de bois. Elles représentent Billie Holiday, Nina Simone, Michael Jackson, Miles Davis, Amy Winehouse, Marvin Gaye et le rappeur Tupac Shakur. Des œuvres à l’acrylique qui ressemblent à des icônes orthodoxes. Avec des mots en hébreu ou en arabe et des symboles de la lutte des Noirs, comme le poing des Black Panthers. Le tableau avec Amy Winehouse est un clin d’œil à un autoportrait de Frida Kahlo.

DEUX ŒUVRES IN SITU

Miss Me a réalisé deux œuvres in situ : Miles Davis au plafond et Nina Simone, la chanteuse refusée au conservatoire, car elle était noire, dessinée comme une sainte sur un mur. Elle expose aussi des photos d’œuvres qu’elle a créées sur des murs de Montréal, Paris, New York, Genève, Dakar ou San Francisco.

Dans une salle, elle rend hommage à Nina Simone avec l’atmosphère d’une chapelle. Sur un écran, Nina Simone chante. Tout près, deux installations en forme d’autel avec bougies et fleurs en plastique ont un style kitsch. Des visiteurs ont même posé des pièces de monnaie !

Miss Me vend ses œuvres entre 3000 $ et 6000 $. Ses t-shirts, affiches et bougies décorés sont à des prix plus accessibles. « C’est la première fois que je vends des choses chères qui sont uniques, alors c’est cool qu’il y ait aussi des affiches à 10 $. On ne peut pas faire de l’art de rue et n’avoir que des œuvres chères. Ce ne serait pas honnête. »

Même si Miss Me remercie les artistes de rue qui l’ont aidée depuis quatre ans (Under Pressure et Mural, notamment), elle ne veut pas qu’on l’appelle « artiste de rue ». « Je préfère le terme de “vandale artistique”, dit-elle. J’aimerais avoir du succès pour en vivre mais mon art, il est d’abord dans la rue. J’ai conscience que c’est illégal mais je pense que fondamentalement, je fais plus de bien que de mal. »

Saints of Soul de Miss Me, à la galerie Fresh Paint (Under Pressure), 256, rue Sainte-Catherine Est, jusqu’au 25 mars

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