La Presse à Paris

Le bonheur des Français

Que disent réellement les statistiques sur le produit intérieur brut ? La question est posée depuis longtemps, notamment par des sociologues et des économistes, qui estiment que ce chiffre dit peut-être des choses sur la richesse objective des pays, mais trop peu sur les autres aspects de leur bien-être.

La France a donc décidé de répondre à ces questions en se dotant officiellement il y a quelques jours d’une nouvelle série de 10 indicateurs, dont le but n’est pas encore de mesurer le niveau de bonheur des Français, mais d’offrir un portrait un peu plus nuancé de la situation du pays.

Le système d’éducation fonctionne-t-il ? Comment se porte l’environnement ? Les statistiques seront présentées chaque année aux Français, dans un rapport en annexe de la Loi sur les finances, l’équivalent de notre budget.

Entretien avec Philippe Le Clézio, l’un des rapporteurs du Conseil économique social et environnemental, qui a piloté cette réflexion auprès du gouvernement, en collaboration avec l’organisme France Stratégie.

Vous voulez mesurer non pas uniquement la richesse, comme le PIB, mais aussi le bonheur des Français ?

Non, pas du tout, le bonheur est une notion beaucoup trop subjective, nous n’utilisons pas ce terme. Il est ici question d’indicateurs donnant un aperçu du bien-être collectif ou encore, autre façon de le définir, de la qualité de la croissance. Pour le moment, le gouvernement a convenu de les appeler « indicateurs complémentaires du PIB ».

Les Français qui viennent s’installer au Québec parlent beaucoup d’une certaine morosité française actuelle, d’un état d’esprit assez négatif dans le pays. Les indicateurs vont-ils attirer l’attention sur des réalités françaises positives dont on parle trop peu ?

J’espère que oui. Il y a le taux de diplômés qui doit être retenu, ou encore l’égalité des revenus. À cet égard, même s’il y a encore des écarts entre les riches et les pauvres, la France se porte plutôt bien, en comparaison d’autres pays. Toutefois, il est clair que le taux d’emploi n’est pas terrible. Donc si ce nouveau tableau de bord rectifie certaines choses, il n’ira pas nécessairement dans le sens d’une moindre morosité.

Effectivement, si le chômage demeure élevé, ce n’est pas très bien pour le bien-être…

La particularité de la France à cet égard, c’est qu’une grande partie du chômage est structurelle, liée à une très bonne productivité. C’est un choix qui a été fait, au détriment du chômage.

Il doit quand même y avoir des éléments positifs…

Du côté de l’environnement, notre taux de recyclage est en bonne progression. C’est plutôt bien. On affiche encore du retard par rapport à l’Europe, mais il y a du progrès. Par contre, du côté de la biodiversité – la présence d’oiseaux –, les indicateurs nous disent que ce n’est pas terrible… En fait, le problème, et on a interpellé le gouvernement sur ça, c’est qu’il est difficile d’avoir des données réellement actuelles. Il y a du retard. Cela nuit aux travaux. Si on veut que les indicateurs soient réellement utiles, il va falloir investir dans la collecte de statistiques fiables.

Pensez-vous allonger la liste d’indicateurs avec les années ?

Non. On veut garder exactement la même liste, avec les mêmes indicateurs, les mêmes mesures, pour pouvoir apprécier réellement les progrès. Pour pouvoir bien comparer, il faut une pérennité.

INVESTIR DANS LE BONHEUR

La France vient de se doter de nouveaux indicateurs statistiques, que leurs auteurs voient comme des mesures du « bien-être collectif ». Mais un gouvernement pourrait-il avoir carrément un indicateur du bonheur ? « Bien sûr », répond le sociologue Ruut Veenhoven, professeur émérite à l’Université Érasme de Rotterdam, qui se spécialise depuis les années 60 dans l’étude du bonheur des populations. Selon lui, on pourrait, par exemple, poser la question directement aux gens dans un sondage ou un recensement. « Êtes-vous heureux ? » « On peut avoir des données qui disent que le niveau d’emploi augmente, par exemple, mais ça ne dit rien du gars qui est totalement déprimé au travail », explique-t-il. Aussi, poursuit le professeur, les recherches montrent clairement que ce n’est pas le revenu des individus qui détermine leur niveau de bonheur, mais plutôt leur santé mentale. « C’est le genre de données qui sont importantes pour les investissements publics. On investit beaucoup pour soigner les problèmes cardiaques et lutter contre le cancer. Mais les investissements en santé mentale rapportent énormément à la société. Chaque dollar investi rapporte plus de bonheur. » 

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