OPINION GÉRARD BOUCHARD

Dérives et délires du nationalisme canadien-anglais

Ce titre apparaîtra excessif, peut-être. Qu’on en juge par les citations et les déclarations qui suivent, dont les auteurs sont des universitaires canadiens-anglais très en vue, des éditorialistes et des journalistes influents et des politiciens de haut rang (j’ai traduit en français quand il y avait lieu).

 – Le Canada est sur terre l’endroit qui ressemble le plus au paradis.

 – Le Canada est présentement aussi près qu’on peut l’être de l’utopie.

 – Le Canada est moralement supérieur aux autres pays. Il est un modèle pour le monde entier.

 – Le Canada est devenu un « pays phare », une « superpuissance morale ».

 – Le Canada est en position d’éduquer les peuples et de façonner un monde meilleur.

 – Le Canada s’impose comme le modèle mondial en matière de « quiet heroism ».

 – La mentalité des Canadiens est civilisée et séduisante, c’est ce qui les différencie des citoyens des autres pays.

 – Un Canadien, c’est quelqu’un qui compatit. C’est aussi quelqu’un de foncièrement doux, paisible, aimable.

 – Les Canadiens s’appliquent à servir le bien commun plutôt que leurs intérêts privés.

 – Les principes de coopération et de conciliation guident la société canadienne.

 – Il faudrait « canadianiser » le monde.

 – Le multiculturalisme est un triomphe, c’est le meilleur modèle qui soit en matière de gestion de la diversité. Il devrait être davantage exporté.

 – Le Canada a été pluraliste et multiculturaliste depuis sa naissance au XVIIe siècle.

 – État post-national et post-moderne (le premier du genre dans le monde), le Canada n’a pas besoin d’identité ni de culture nationale, sa charte lui suffit. Il est à l’avant-garde, il est unique.

 – L’identité du Canada, c’est qu’il n’en a pas. Ses différences en tiennent lieu.

 – Les Canadiens n’éprouvent pas de sentiment patriotique, ils n’en ont pas besoin ; être canadien, c’est être universel.

 – « The world needs more Canada » (aphorisme du chanteur Bono qu’on aime bien répéter et reproduire).

 – Dans de nombreux textes, même scientifiques, le Canada est couramment présenté comme « un grand pays », « un pays exceptionnel ».

J’arrête ici l’énumération, non pas parce que mes fichiers sont à sec, mais par crainte de lasser. Tout cela, on en conviendra, est très beau, très noble.

Certes, on se demande où est passé le Canadien anglais timide, réservé, ennemi de l’esbroufe et doutant de lui-même, tel qu’il aimait à se définir jusqu’à récemment, à l’ombre des Américains.

Mais peu importe, saluons le Canadien nouveau !

L’envers de la médaille

Hélas, il se trouve, même au Canada anglais, des esprits chagrins qui s’appliquent à opposer à ce qui précède quelques faits gênants. Par exemple : 

 – Au cours des 15 dernières années, le Canada s’est fait durement réprimander à diverses reprises par l’ONU et d’autres instances mondiales au chapitre du blanchiment d’argent, de la protection de l’environnement, des politiques sociales, du racisme, de la situation des autochtones, des inégalités homme-femme, de la protection internationale des droits de la personne (adhésion aux conventions sur la torture, le droit du travail, les droits des handicapés…).

 – Pionnier, apôtre du maintien de la paix dans le monde dont il s’est fait une mission hautement claironnée, le Canada figurait en 2015 au 66e rang de tous les pays au titre de la contribution aux opérations des Casques bleus de l’ONU.

 – On a décrit le pays comme une « passoire » à cause de sa négligence à poursuivre les criminels nazis qui s’y sont établis.

 – Non seulement le Canada a contribué de près à établir des paradis fiscaux dans les Caraïbes, mais il est en train d’en devenir un lui-même.

 – 60 % des Canadiens anglais pensent qu’on accorde trop d’accommodements aux immigrants et souhaiteraient que ces derniers soient carrément assimilés.

 – Le hockey, tel que pratiqué au Canada anglais, est un sport extrêmement violent, etc.

Mais comme l’a dit un de leurs compatriotes, les Canadiens anglais sont aussi les champions de la bonne conscience.

Enfin, on aura deviné que le portrait du nouveau Canadien exclut évidemment les Québécois. Ces derniers, comme chacun sait, en sont encore au nationalisme et même au chauvinisme…

N.B. : À cause de contraintes d’espace, mon texte est dépourvu de références. On les trouvera dans mon prochain livre où ce sujet sera abordé.

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