À ma manière

Voilà, Voiles en Voiles envoie la voile

Ça ne s’était jamais fait : créer en ville un parc d’hébertisme aérien sur le thème des navires pirates. Quatre mois avant l’ouverture, il n’existait que sur papier. Récit d’une traversée houleuse et d’une arrivée à bon port.

Les voiles ne sont pas encore accrochées aux vergues, mais les gréements sont bien en place. Des filins relient les hunes fixées aux mâts.

Nous sommes à 11 jours de l’appareillage pour la deuxième traversée estivale de Voiles en Voiles, le parc d’hébertisme aérien du Groupe Écorécréo, qui ouvrira le 16 avril prochain.

Marc Cudia, Nicolas Gosselin et Jean-Philippe Duchesneau, tous trois associés dans l’aventure, guident la visite de leur arsenal. Le terrain de 33 000 pi2, dans le Vieux-Port, accueille un navire pirate et un vaisseau royal.

Des ouvriers s’activent : on radoube les navires, on dresse une rangée de mâts supplémentaires, on prépare une aire d’attente ombragée.

« On agrandit pour ajouter des parcours et augmenter la capacité d’accueil, explique Marc Cudia, président de Voiles en Voiles. L’année dernière, on a été un peu victimes de notre succès. »

Durant sa première saison, alors qu’il n’avait ouvert qu’en juillet, le parc thématique du Groupe Écorécréo avait accueilli 85 000 visiteurs, 30 % de plus que prévu.

Les files d’attente avaient suscité quelques critiques dans les réseaux sociaux. À l’approche de la nouvelle saison, les timoniers corrigent le cap.

L’an dernier, le parc comptait deux parcours d’abordage et cinq parcours aériens, dont un suspendu à 35 pi pour les gabiers aguerris. L’alignement de nouveaux mâts ajoutera trois parcours supplémentaires.

NAVIGUER DE CONSERVE

En 2014, les trois entrepreneurs avaient décidé d’unir leurs talents autour de l’entreprise de Marc Cudia et d’une philosophie commune : le bonheur au travail.

« Avec le Groupe Écorécréo, on changeait la mission initiale de faire de la location d’équipements récréatifs, pour développer des attraits touristiques destinés à la famille », décrit Marc Cudia.

Les idées s’échangent comme des bordées entre vaisseaux de ligne.

Marc Cudia avait la vision d’un parc urbain où des parcours aériens se déploieraient dans un espace limité plutôt que linéairement, afin qu’enfants et parents puissent s’amuser à la vue les uns des autres.

Nicolas propose une thématique de pirates, qui présente le grand avantage d’offrir une forêt de mâts, d’espars et d’étais pour les amateurs de parcours en hauteur. Du jamais vu. 

« C’était la première fois qu’on incorporait un parcours aérien dans une scénarisation de jeu. »

— Marc Cudia, président de Voiles en Voiles

En novembre 2014, le principe est arrêté.

Nicolas Gosselin se lance dans l’élaboration d’un concept préliminaire en s’inspirant librement des navires du XVIIIe siècle.

« Il n’y a pas d’argent de levé, il n’y a pas de plans, et on veut ouvrir le 20 juin », précise Jean-Philippe Duchesneau.

Tout reste à faire.

D’abord, trouver un trésor.

FINANCEMENT PÉRILLEUX

Il leur fallait 2 millions de dollars. Gros problème. Le financement d’une nouvelle entreprise est toujours ardu, mais les investisseurs sont particulièrement frileux quand il s’agit de projets touristiques, surtout s’ils sont saisonniers.

« On attend encore des appels des institutions financières qu’on a sollicitées au mois d’avril 2015 », rigole Marc Cudia.

À la fin de février, ils obtiennent un accord verbal du Programme d’appui au développement des attraits touristiques (PADAT) d’Investissement Québec, qui « joue un rôle de locomotive dans le financement », lance Jean-Philippe, ajoutant la métaphore ferroviaire au contexte maritime.

De son côté, le Vieux-Port se montre intéressé au projet. Mais rien n’est encore signé.

Sans attendre, Nicolas Gosselin part en quête de sous-traitants, son concept en main. « On se faisait traiter de fous un peu partout », dit-il.

Il convainc Acmé Décors de monter à bord. « Ce sont les seuls qui ont dit qu’ils étaient capables de relever le défi. »

Il rallie les consultants en parcours aériens d’Arbre en arbre et la firme de génie-conseil GCM, qui prend en main les questions mécaniques.

CHANTIER NAVAL DE 200 PERSONNES

Arbre en arbre travaille d’ordinaire en forêt. GCM en entreprise. Acmé dans des musées. Tous sont réunis dans un chantier faussement naval, où pendant deux mois, une vingtaine d’entreprises et 200 personnes se démènent fébrilement.

« Pendant un bout de temps, dans les centres de rénovation de Montréal, il ne restait plus de planches de cèdre », note Jean-Philippe en riant.

Pour occuper au mieux le terrain large, mais peu profond, ils ont logé en diagonale deux similinavires longs de 100 pi.

Les autres dimensions en ont découlé : les coques mesurent 24 pi de largeur – ce qu’on appelle le maître bau, dans le joli lexique naval –, surmontées de mâts de 65 pi.

Le projet se conclut à l’encontre du bon sens. Alors que les travaux sont en cours, le bail avec le Vieux-Port est signé à la fin de mai. Le financement est bouclé en juin – la RBC et la BDC ont suivi Investissement Québec –, quelques jours avant l’inauguration, reportée au 9 juillet.

Mais auparavant, il y a encore Charybde et Scylla.

IL FAUT S’ACCROCHER !

Le 30 juin, les trois associés reçoivent de Suisse les systèmes de suspension qui doivent attacher les harnais aux poulies. « Dans tous les systèmes d’attache, il manque une pièce, sans laquelle le système ne sert à rien, raconte Nicolas. Là, c’est la panique. »

Appel d’urgence au fournisseur suisse, qui explique qu’un nouveau magasinier a fait une erreur, que les pièces ne sont pas encore produites, et qu’elles ne pourront être expédiées que dans un mois.

Nicolas annonce qu’il saute dans un avion pour régler le problème. Heureusement, les consultants d’Arbre en arbre trouvent une solution temporaire.

ESCALADE DE PROBLÈMES

Le 9 juillet 2015, au matin de l’ouverture prévue à 14 h, Nicolas fait une dernière inspection des parcours avec son ingénieur-conseil. « Après quatre pas, il me dit : il faut des casques. » Pourtant, les consultants en parcours aériens estimaient que les harnais de sécurité suffisaient.

Impossible de reporter l’ouverture. Nicolas appelle Jean-Philippe, qui fait aussitôt une razzia de casques d’escalade dans les magasins spécialisés. Il revient au parc avec sa petite voiture bourrée d’une centaine de casques, dont un sur sa tête. Il n’a pas manqué la marée de 14 h.

PROCHAINES ESCALES

Le succès a enhardi les trois armateurs. Dès 2017, ils veulent multiplier les flottilles et les ports d’attache, au Canada d’abord, aux États-Unis ensuite.

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