Chronique

Lettre à Joey Saputo

Monsieur Saputo,

Depuis 25 ans, je suis un fan « ordinaire » de l’Impact de Montréal. Je vais voir quatre ou cinq matchs par saison au stade. J’en regarde plusieurs autres à la télévision. J’y étais pour la victoire en championnat contre Vancouver, en 2009. J’y étais aussi, au Stade olympique, pour la défaite en Ligue des champions contre Club América, en 2015. J’ai en mémoire des soirs splendides au stade Saputo et des buts magnifiques de Didier Drogba et de Marco Di Vaio.

Lundi après-midi, j’étais de nouveau dans les gradins, autant sinon plus (je l’avoue) pour voir Zlatan Ibrahimovic que pour encourager le bleu-blanc-noir. J’y suis allé avec un de mes frères, mes deux fils et deux de leurs amis. J’ai acheté des billets il y a plusieurs semaines, lorsque la rumeur du transfert de Zlatan au Galaxy de Los Angeles est devenue persistante. On a même annulé un voyage familial pour y être, ce qui n’a pas enchanté tout le monde…

Lundi, mes garçons ont enfilé leurs maillots bleus de Manchester United (l’un floqué du nom du grand Suédois) et leurs amis, ceux de l’Impact. Nous avons marché sous un soleil radieux vers le stade avec d’autres spectateurs. J’ai surpris la conversation de deux d’entre eux, dans la vingtaine, qui avouaient ne plus connaître que deux ou trois joueurs de l’équipe. « Depuis que Ciman est parti, je ne connais plus que Piatti… Et Samuel Piette. »

En route vers notre section, j’ai montré aux garçons les photos du parcours de l’Impact depuis un quart de siècle. Tiens, c’est Lloyd, qu’on a rencontré dans un tournoi caritatif l’été dernier. Et Patrice qu’on a croisé dans un autre match caritatif. Le jeune qui sourit, c’est Patrick (qui a entraîné Fiston l’hiver dernier). Ça, c’est Mauro, contre qui je jouais dans le junior. Vous ai-je déjà raconté, les gars, la fois où j’ai eu à couvrir Mauro pendant tout un match ? Ouuuuui, papa, tu nous l’as déjà raconté (soupir)…

Je m’intéresse au soccer professionnel montréalais depuis toujours. Enfant, j’ai vu le Manic au Stade olympique. Adolescent, j’encourageais le Supra au Centre Claude-Robillard. J’ai même assisté à des matchs de soccer intérieur de l’Impact, l’hiver, au Centre Molson. 

Vous savez quoi, monsieur Saputo ? Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu des partisans montréalais huer leur équipe de soccer comme ils l’ont huée en fin de match lundi après-midi.

Vous le savez autant que moi, ce 25e anniversaire du premier match local de l’Impact a été gâché. Et pas seulement par la faute de Zlatan, qui a écopé d’un carton rouge dès la 41e minute. Perdre un match alors que l’on joue à 11 contre 10 pendant plus de 50 minutes, contre une équipe de fond de classement privée de son meilleur joueur, à domicile, c’est honteux. C’est, du reste, ce que bien des partisans répétaient en quittant le stade.

Je sais que vous êtes d’accord. J’apprécie votre franchise et votre lucidité. Je vous ai entendu en entrevue avec Jeremy Filosa, au 98,5 FM, dire que ce résultat n’était pas acceptable, même si l’équipe y avait mis l’effort. L’Impact a déjà moins bien joué, c’est vrai. Mais j’observais, dans les dernières minutes du match, cette équipe ne pas centrer lorsqu’il était indubitablement temps de centrer – ou centrer lorsqu’il n’y avait personne dans la surface pour rediriger le ballon –, et c’était désolant.

Pourquoi les spectateurs autour de moi se sont mis à huer l’équipe ? Pas seulement parce que sur 23 tirs dirigés (plus ou moins) sur le but du Galaxy, quantité ont échoué dans les gradins, en route vers le Biodôme. Les partisans ont hué les joueurs parce qu’ils ne sentaient pas chez eux, surtout en fin de match, l’urgence de gagner. Je ne suis pas du genre à faire ce genre de calculs, mais en observant la mine déconfite de mes garçons et de leurs amis, lundi, je me suis dit que je n’en avais pas eu pour mon argent.

L’impact manquait de « méchant », a admis Rémi Garde. Heureusement qu’il y avait Samuel Piette pour l’incarner au milieu du terrain. Oui, comme vous le constatez, monsieur Saputo, il faut faire des changements. « On va bouger, on doit bouger », avez-vous déclaré avec raison. La vitrine des transferts de juillet devrait le permettre. « Malheureusement, certains partisans ne vont pas être contents », avez-vous ajouté, sans faux-fuyants.

On a tous pensé à Ignacio Piatti lorsque vous avez précisé : « Il n’y a aucun joueur intouchable. » L’ancien entraîneur de Nacho le réclame en Argentine. Il est payé quelque 5 millions US, plus que ses coéquipiers (certains à seulement 55 000 $) et sans doute trop à vos yeux, si l’on se fie à cette entrevue. À sa décharge, Piatti, qui n’a pas connu un bon match lundi – il ne se créait pas d’espace, ses courses étaient rares et prévisibles, il gardait trop longtemps le ballon –, n’est pas à son mieux lorsqu’il est aligné seul en pointe d’attaque.

L’équipe se fie beaucoup trop à son numéro 10. Combien de passes inutiles à Nacho de la part de coéquipiers trop peu confiants pour y aller eux-mêmes d’une frappe ? Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer l’importance de Piatti, sur le terrain et hors de celui-ci, pour cette équipe. Non seulement il est l’un des rares éléments créatifs à l’attaque, mais il s’est parfaitement adapté au style de jeu de la MLS et, en plus, il s’exprime en français.

Pour que l’Impact ait du succès, il faut que les Montréalais puissent s’identifier à l’équipe… et identifier ses joueurs. Cela ne tient pas seulement à la victoire sur le terrain, mais à un équilibre entre joueurs locaux (Jackson-Hamel, Piette, Béland-Goyette, Choinière) et internationaux, ainsi qu’à la présence indispensable de vedettes, l’un des attraits de la MLS.

Or, depuis quelques années, votre équipe manque cruellement de stabilité (notamment au poste d’entraîneur), monsieur Saputo. Des joueurs viennent et repartent aussitôt. Ce sont autant de noms et de visages qu’il faut tenter de retenir, sans savoir si cela vaudra la peine. Nous étions au match d’ouverture locale, au Stade olympique, mon plus jeune faisait remarquer à quel point il ne reconnaissait plus son-votre-notre équipe.

Il ne suffit pas de faire des changements. Il faut aussi faire les bons changements. Cette équipe manque de caractère, dites-vous, monsieur Saputo ? Je ne saurais vous contredire. Pourquoi alors avoir laissé partir un joueur « de caractère » comme Laurent Ciman, si apprécié par les partisans montréalais ? S’il est jugé assez efficace pour être retenu parmi la liste des 28 joueurs de l’équipe nationale belge, l’une des plus redoutables de la prochaine Coupe du monde, ne l’était-il pas aussi pour l’Impact ?

En lieu et place, on nous a offert lundi une défense de fortune autour de Marco Donadel, un milieu de terrain de 35 ans dont les plus belles années sont derrière lui. Je n’avais pas vu un défenseur central aussi lent à Montréal depuis Alessandro Nesta… Je veux bien que des blessures aient décimé les troupes, mais cette « solution » était-elle bien digne d’une équipe qui aspire à se qualifier pour les séries éliminatoires ?

La question rhétorique que vous avez posée après le match au 98,5 FM reste pertinente : est-ce que l’Impact serait mieux servi par trois joueurs de 2 millions plutôt que par un joueur de 6 millions ? Le Toronto FC, avec son trio de multimillionnaires Giovinco-Altidore-Bradley, a remporté le championnat l’an dernier. C’est sans doute un élément de réponse. Peut-être que l’Impact n’a pas les moyens du TFC, mais son recrutement est certainement déficient. Les arrivées successives de Saphir Taïder et d’Alejandro Silva, à fort prix, n’ont certainement pas réussi à faire oublier l’entente de Blerim Dzemaili avec Piatti. Ambroise Oyongo n’a pas été remplacé. Et quand reverra-t-on un jeune talent local du calibre de Ballou ?

Peut-être que le sort de Piatti est déjà scellé et qu’il repartira cet été en Amérique du Sud. Je n’en sais rien. Ce que je sais, en revanche, c’est que si cette équipe veut continuer à faire rêver ses supporteurs, si elle veut maintenir le nombre de ses abonnés et faire salle comble lorsqu’une vieille gloire comme Zlatan est de passage en ville, elle devra continuer d’embaucher des joueurs de la trempe de Nacho.

Les Zlatan, Kaka, David Villa, Drogba, Giovonco et Di Vaio sont des arguments de vente pour la MLS, qui n’a pas le niveau des grandes ligues européennes ou latino-américaines (ainsi qu’en témoigne le palmarès des équipes mexicaines en Ligue des champions). Ça aussi, vous le savez.

Je veux bien, monsieur Saputo, que pour se renouveler, il faut parfois prendre des décisions impopulaires et faire des mécontents. Mais il faut aussi s’assurer d’un plan B attrayant, sinon on risque la désaffection du public. Aucun sport n’est à l’abri de ça à Montréal. Il y a désormais des sièges vides au Centre Bell. Les Expos jouaient devant un Stade olympique désert après l’avoir pourtant rempli à craquer. Les Alouettes ont disparu avant de renaître de leurs cendres. Ne laissons surtout pas la même chose arriver à notre Impact.

Le livre Mes Coupes du monde – De Rossi à Messi, de Marc Cassivi, paraîtra le 28 mai aux Éditions La Presse. 

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