Alouettes de Montréal

« Il faut que ce soit l’équipe du peuple »

Après une brillante carrière au football universitaire et huit saisons dans la LCF, Éric Lapointe a bâti sa propre entreprise en gestion de patrimoine. À la tête d’un groupe d’investisseurs québécois désireux d’acheter les Alouettes, son prochain objectif est clair : relancer l’équipe et en faire « celle du peuple ».

Au milieu des années 90, on ne voyait pas souvent des dépisteurs de la NFL venir épier le jeu de jeunes joueurs canadiens. Mais la deuxième saison d’Éric Lapointe avec les Mounties de Mount Allison avait été à ce point impressionnante que des recruteurs des Redskins de Washington se sont rendus au Nouveau-Brunswick pour le voir s’entraîner.

« Plusieurs personnes m’avaient dit que je devrais devenir professionnel après ma deuxième saison, qui a été la meilleure de ma vie », a raconté Lapointe, assis dans son bureau à Brossard, jeudi dernier.

Lapointe a ignoré ces conseils. Peu de temps après, une sérieuse blessure à un genou a mis fin à son rêve de jouer dans la NFL. « À cette époque, les équipes de la NFL ne venaient pas cogner à la porte lorsqu’un joueur avait un genou amoché. C’était pas mal fini. »

Lapointe a quitté les Mounties après quatre saisons et deux titres du Hec Crighton en poche, honneur remis au joueur par excellence de l’année au football universitaire canadien. Il a accumulé un impressionnant total de 4666 verges d’attaque en 28 matchs à Mount Allison et est considéré par plusieurs comme le meilleur joueur de l’histoire du football universitaire canadien.

Dans la Ligue canadienne, Lapointe a gagné la Coupe Grey à sa première saison, avec les Tiger-Cats de Hamilton en 1999, puis une deuxième fois en 2002 avec les Alouettes. Il a porté l’uniforme des Oiseaux de 2001 à 2006. En 109 matchs professionnels, celui qui a passé la majorité de son enfance à Arvida a récolté 2796 verges d’attaque et a marqué 17 touchés.

Ce sont des statistiques fort respectables. Mais la deuxième carrière de Lapointe est tout aussi impressionnante, sinon plus.

Des investisseurs très fortunés

Lapointe a mis du temps avant de choisir ce qu’il ferait lorsqu’il ne jouerait plus au football. Il a amorcé son cours en techniques policières, puis a bifurqué vers des études en littérature française. C’est finalement en finances qu’il a trouvé sa véritable passion.

Son père Louis avait mené une belle carrière dans le même domaine, notamment chez Alcan et à la Bourse de Montréal. Mais Lapointe a commencé au bas de l’échelle, lui qui a entrepris sa seconde carrière alors qu’il faisait encore partie des Alouettes.

« Je suis parti de zéro avec rien d’autre que trois complets que j’avais achetés chez La Baie. »

— Éric Lapointe

Aujourd’hui, l’entreprise de gestion de patrimoine que possède Lapointe, dont les bureaux sont situés à Brossard, est solidement implantée. Sa clientèle est composée de gens très fortunés, l’entreprise gérant notamment les actifs de familles dont les avoirs peuvent, dans certains cas, excéder 100 millions de dollars.

Marié et père de jumelles de 10 ans, Lapointe jongle avec sa vie familiale et une carrière qui le passionne au plus haut point. Cet horaire chargé ne l’empêche cependant pas de vouloir relever un autre défi : relancer les Alouettes.

Le Québécois de 44 ans est à la tête d’un groupe d’investisseurs qui souhaite se porter acquéreur du club montréalais, qui appartient à Robert Wetenhall et sa famille depuis 1997.

Lapointe le dit sans aucune arrogance ni vantardise : l’argent n’est pas un problème. N’allez cependant pas croire que lui et son groupe sont prêts à tout, aveuglément.

« Mon travail, c’est de protéger mes clients. C’est ma responsabilité de ne pas les faire investir dans des choses qui n’ont pas de sens. »

« J’investirais également de mon argent, c’est sûr, mais il y a une limite à ce que je suis prêt à faire. Si c’est un money pit (gouffre financier), faudra voir. »

— Éric Lapointe

Les Alouettes ont avoué qu’ils enregistraient des déficits substantiels. On ne connaît pas les chiffres précis, mais au cours des dernières années, leurs pertes se calculent vraisemblablement en dizaines de millions.

Lapointe pense tout de même que l’équipe peut devenir profitable si les bonnes décisions sont prises. « À mon avis, [pour] une entreprise comme celle-là, on peut espérer des revenus annuels de 3 à 5 millions », précise-t-il.

« La ligue est beaucoup plus saine qu’à une certaine époque. Elle a un bon contrat de télévision [avec RDS et TSN]. C’est une ligue qui restera toujours régionale, à moins d’être très créative. Pour la majorité des équipes, l’essentiel des revenus restera donc la vente de billets et les commanditaires. Il y a tout de même plusieurs autres avenues à explorer. »

L’idée d’acheter les Alouettes est un rêve que Lapointe caresse depuis quelques années déjà. L’arrivée de Randy Ambrosie comme commissaire de la LCF n’a fait qu’augmenter son intérêt. Lapointe tient Ambrosie, qui a lui-même brillé dans le monde de la finance, en très haute estime.

« On a parlé d’une franchise à Halifax pendant 15 ou 20 ans, mais c’est lorsque Randy est arrivé en poste que les choses ont vraiment débloqué. Il y a des propriétaires en place, et les discussions sont amorcées au sujet de la construction d’un stade. »

« Il [Ambrosie] n’a clairement pas pris cet emploi pour que la Ligue canadienne reste poussiéreuse comme elle l’a été très longtemps. »

À vendre ou non ?

Lapointe veut acheter les Alouettes ou, à tout le moins, discuter de cette possibilité avec Robert et Andrew Wetenhall. Il n’est cependant pas clair si cet intérêt est réciproque.

Lapointe a brièvement communiqué avec Andrew Wetenhall par messages textes, il y a un peu plus d’une semaine. Mais pour l’instant, on ne sait pas si les choses progresseront davantage. Qui plus est, les Wetenhall n’ont toujours pas dit publiquement si l’équipe était à vendre.

« Je pense qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Il y a quelque chose qui se passe, et j’ai l’impression qu’on va en entendre parler assez rapidement. »

— Éric Lapointe

Lorsqu’il avait pressenti les Wetenhall pour leur signifier son intérêt la première fois, il y a deux ans, Lapointe n’avait pas discuté de la possibilité de devenir un investisseur dans le club plutôt que d’en devenir le propriétaire. Il ne ferme plus la porte à un tel scénario.

« Je suis ouvert à toutes les possibilités, mais on est là pour gagner. Je veux voir un défilé de la Coupe Grey sur la rue Sainte-Catherine au plus vite ! », lance-t-il.

Comme La Presse le rapportait la semaine dernière, le nom de Stephen Bronfman circule également beaucoup lorsqu’il est question d’une vente potentielle du club. Lapointe ne connaît pas Bronfman personnellement, mais ne veut exclure aucune option.

« Le Québec inc. est un petit monde, et quand les gens décident de bouger au Québec, ça bouge. Il faut rêver un peu et sortir des sentiers battus. »

« On parle beaucoup de moi, mais au bout du compte, ce que je souhaite, c’est que ce soit l’équipe du peuple. Que les gens se reconnaissent dans leur équipe parce qu’elle leur appartient. Alors, pourquoi on ne se l’approprie pas ? »

— Éric Lapointe

« Ce n’est pas à propos de moi. Il y en a beaucoup, des Québécois intéressés à mettre de l’argent. »

Des Québécois aux postes clés

Si son groupe d’investisseurs et lui acquièrent les Alouettes, Lapointe a déjà établi deux choses qu’il veut faire rapidement.

La première, c’est qu’il doterait l’équipe d’un site d’entraînement avec des bureaux commerciaux qui pourraient être loués. Il estime que cela favoriserait l’unité du club tout en donnant à l’équipe un actif immobilier qui augmenterait sa valeur. Les Alouettes s’entraînent actuellement au Stade olympique, tandis que leurs bureaux administratifs sont situés au centre-ville.

La deuxième chose que ferait Lapointe serait d’embaucher des Québécois afin qu’ils occupent des postes clés au sein de l’organisation.

« Pourquoi pas ? Il y a des Québécois avec du talent partout ! C’est notre équipe, et on veut pouvoir en être fiers. Il serait fou d’aller dans une autre direction, à mon avis. Il faut que ce soit l’équipe du peuple. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.