Éditorial

Investir, oui. Obliger, non.

Augmenter le budget de la francisation en y injectant 70 millions, comme veut le faire le gouvernement Legault, c’est formidable. Le montant est considérable : il représente une hausse de 70 % ! Cet argent frais permettra d’embaucher des enseignants, d’augmenter le nombre de classes, et d’offrir de meilleurs encouragements financiers pour lutter contre le « décrochage » des personnes inscrites.

Selon le plan annoncé vendredi dernier par le ministre Simon Jolin-Barrette, l’allocation pour immigrants inscrits à temps plein passera de 141 à 185 $ par semaine. Pour un couple d’immigrants, cela représente un revenu d’environ 1500 $ par mois. Ce n’est évidemment pas assez pour faire vivre une famille. Mais ça commence à représenter une somme intéressante.

Ajouter une allocation pour ceux qui apprennent le français à temps partiel, c’est aussi une excellente idée, réclamée depuis longtemps par les organismes de francisation. Le montant de 15 $ par jour pourrait peut-être être majoré. Les cours à temps partiel peuvent constituer une solution intéressante pour les immigrants qui n’ont d’autre choix que de travailler pour subvenir à leurs besoins. Mais le principe est établi et il est plus que bienvenu.

L’annonce du ministre a été applaudie par le milieu de la francisation, avec raison. Les cours accueilleront des immigrants de plus longue date, les temps d’attente seront réduits par la possibilité de sauter dans le train en marche, sans attendre le début d’une nouvelle session.

Cette nouvelle politique ne réglera pas tous les problèmes. Il y aurait lieu, en priorité, de changer la méthode de classement en ligne, une aberration qui a produit des classes trop hétérogènes, où des débutants cohabitent avec des apprenants avancés, au risque de décourager tout le monde.

On pourrait aussi s’ouvrir davantage aux demandeurs d’asile, qui n’ont pas accès aux cours de français rétribués, et qui auraient intérêt à apprendre le français en attendant que leur dossier soit traité. Le temps d’attente moyen pour une demande d’asile au Canada est d’environ deux ans ! Or, selon les taux d’acceptation actuels, on peut s’attendre à ce que la majorité des demandeurs finissent par devenir résidents permanents. Plus tôt ils commenceront à apprendre le français, mieux ils s’intégreront.

D’autres améliorations, structurelles et administratives, pourraient être apportées au système actuel. Mais enfin, après des années de désinvestissement, qui ont conduit à une dégradation substantielle des services, Québec donne une bonne bouffée d’oxygène au réseau de francisation. On ne peut que s’en réjouir.

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Après les fleurs, le pot. Deux jours après l’annonce du ministre Jolin-Barrette, la députée caquiste Claire Samson a relancé l’idée d’un parcours de francisation obligatoire pour tous les immigrants.

Mme Samson l’avait déjà proposé dans un rapport qu’elle avait signé en automne 2016. La francisation obligatoire figurait également dans le programme électoral de la CAQ. Interrogé à ce sujet lundi, le premier ministre François Legault a laissé entendre que la francisation obligatoire n’était pas pour tout de suite. Et que le gouvernement procéderait par étapes. Pendant ce temps, au cabinet du ministre Jolin-Barrette, on affirme que l’enseignement ne sera pas obligatoire, mais que les évaluations des compétences le seront, elles.

Devant ce ballet de contradictions, commençons par préciser une chose : graduelle ou pas, la francisation obligatoire n’est ni réaliste ni nécessaire.

Symboliquement, le seul fait d’évoquer une démarche obligatoire laisse penser que les immigrants doivent être forcés à apprendre le français. Qu’autrement, ils ne le feront pas. Ce message négatif ne correspond pas à la réalité des nouveaux arrivants, qui font face à un choix douloureux : apprendre la langue de leur terre d’accueil ou s’intégrer au marché du travail pour subvenir aux besoins de leur famille. Ces deux exigences sont souvent irréconciliables.

Plus les cours seront faciles d’accès, plus les allocations seront généreuses, plus les classes seront bien ciblées et l’enseignement adapté aux besoins de chacun, eh bien, plus les immigrants auront tendance à s’inscrire au programme et à suivre le parcours jusqu’au bout. C’est aussi simple que ça.

Le ton dramatique de Mme Samson quant à l’urgence d’imposer des cours de français déforme également la réalité. Comme l’a démontré le rapport publié il y a deux ans par la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, les programmes de francisation n’arrivent pas à rejoindre assez de gens, beaucoup décrochent en cours de route, il n’y a pas assez de suivi, etc.

La francisation n’est pas un processus en ligne droite. Ça peut prendre du temps. Et quand on regarde les tendances à long terme, il n’y a pas de quoi paniquer. 

Selon des données de recensement compilées par l’Association d’études canadiennes, 10 ans après leur arrivée au Québec, 90 % des immigrants économiques, 77 % de ceux qui sont arrivés au Québec via la réunification familiale et 85 % des réfugiés peuvent s’exprimer en français. Qu’ils soient passés par les classes de francisation ou pas…

Reste la question des examens linguistiques et des éventuels tests de valeurs, passage obligé, pour le gouvernement caquiste, vers la résidence permanente.

Pour l’instant, ce projet tient d’une vue de l’esprit, étant donné que l’attribution de ce statut, qui mène ultimement à la citoyenneté canadienne, relève d’Ottawa. Et que le projet de la CAQ repose sur une improbable présomption : celle que le gouvernement fédéral voudra bien céder ce droit à Québec.

En attendant, tant mieux si Québec met fin au régime d’austérité qui a causé une lente érosion des services de francisation. Et ce serait encore mieux s’il mettait clairement de côté l’idée de la formation linguistique obligatoire.

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