Opinion  Hydrocarbures

Le projet de loi 106, c’est toujours non !

Il vous revient, monsieur Couillard, de réaliser la seconde révolution énergétique du Québec.

Monsieur le premier ministre,

Mesurez-vous la portée du projet de loi 106 sur les hydrocarbures que votre gouvernement a déposé en juin dernier ?

Ignorez-vous que, loin d’interdire la fracturation hydraulique et l’injection à haute pression de produits toxiques dans le sol, ce projet de loi ouvre toute grande la porte à cette technique hautement décriée ?

Vous a-t-on dit que ce projet de loi perpétue une doctrine du XIXe siècle, le free mining, et officialise le droit de propriété des entreprises pétrolières et gazières sur les sous-sols des terrains sous licence − soit la plus grande partie du Québec habité ? Qu’il empêche les propriétaires légitimes de refuser l’accès à leurs terrains, sous peine d’expropriation ?

Avez-vous songé que, s’il y a eu peu d’expropriations dans le passé, c’est peut-être parce que les propriétaires touchés ne sont pas souvent enclins à se battre, quand ils savent que la loi les donne perdants d’avance ?

Savez-vous qu’en conjonction avec le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, le projet de loi sur les hydrocarbures régit les distances entre les sources d’eau potable et les têtes de puits sans tenir compte des forages latéraux percés sous la terre ? Comprenez-vous qu’il rendrait ainsi caduques les prétentions des municipalités à garantir à leurs citoyens un accès sûr à l’eau potable ?

Aucun développement à grande échelle de la filière des hydrocarbures n’est prévu au Québec, dites-vous. Certes, les prix ne justifieraient peut-être pas des investissements massifs dans le pétrole ou le gaz à court terme. Mais qu’en est-il du moyen et du long terme ?

Avez-vous noté la multiplication des projets dans le Bas-Saint-Laurent, depuis que les déclarations de votre gouvernement ont réveillé l’appétit des entreprises ?

Avez-vous parcouru les mémoires dont les pétrolières et les gazières abreuvent votre ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, empressées qu’elles sont d’assurer leur emprise sur les basses-terres du Saint-Laurent, la Gaspésie, l’île d’Anticosti et tout autre territoire propice ?

Même le golfe du Saint-Laurent, écosystème précieux et fragile, d’importance mondiale, n’est pas à l’abri de leur convoitise.

DES OBJECTIFS INCOMPATIBLES

Et puis, il y a autre chose aussi ! Vous vous rappelez sûrement, monsieur le premier ministre, vos déclarations vibrantes à Paris, en décembre dernier. Votre engagement solennel à réduire les émissions de gaz à effet de serre du Québec de 37,5 % d’ici 2030, par rapport à 1990.

Or, l’évaluation environnementale stratégique sur les hydrocarbures de votre ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a clairement démontré que l’exploitation des énergies fossiles serait « difficilement conciliable avec les objectifs du Québec en matière de lutte contre les changements climatiques ».

Et finalement, si on parle des vraies affaires, monsieur le premier ministre, vous savez que la prospérité du Québec doit venir d’une autonomie énergétique fondée sur l’économie du savoir et sur nos ressources locales, propres et renouvelables – créatrices d’emplois durables. Pas sur un secteur en déclin qui nous garde prisonniers d’énergies polluantes et dépassées.

Vous avez consulté la population et les groupes environnementaux jusqu’à l’épuisement, mais ils ont eu le sentiment d’être manipulés et non écoutés.

Vous avez confié des mandats au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, interrogé les scientifiques, entendu les économistes. Pour peu qu’elle ne vienne pas de la sphère d’influence du secteur pétrolier et gazier, la réponse est toujours la même :  le développement de la filière des hydrocarbures au Québec, c’était non, c’est non, ça restera non.

Il vous revient, monsieur Couillard, de réaliser la seconde révolution énergétique du Québec.

Scindez le projet de loi 106 : la transition énergétique et le développement de la filière des hydrocarbures n’ont rien à faire dans le même projet de loi. Retenez, renforcez et complétez les dispositions qui mènent le Québec vers une véritable transition énergétique, sans pétrole ni développement du gaz naturel fossile, liquéfié ou non. Retirez-en le projet de loi sur les hydrocarbures, rachetez les claims qui ont été bradés à 0,10 $ l’hectare et revoyez votre stratégie de fond en comble, de manière à suspendre indéfiniment toute activité d’exploration ou d’exploitation du pétrole et du gaz au Québec.

Patrick Bonin, Greenpeace, Alizée Cauchon, Équiterre, Carole Dupuis, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec, Floris Ensink, Sierra Club Québec, Marie-Ève Leclerc, Stop Oléoduc Portneuf–Saint-Augustin, Jacques Tétreault, Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain

Cosignataires : Coalition Saint-Laurent, Réalité climatique Canada

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