Chronique

L’héritage de Lola

Ce n’est probablement pas le genre d’héritage qu’elle espérait, mais on peut dire que Lola aura laissé sa marque dans le paysage matrimonial québécois.

Québec pourrait revoir de fond en comble les règles du jeu en matière de droit familial, deux ans et demi après la décision de la Cour suprême dans l’affaire qui opposait Lola, cette jeune et jolie étrangère, à son ancien conjoint Éric, ce milliardaire québécois avec qui elle avait eu trois enfants.

Formé par Québec à l’issue de cette saga ultramédiatisée, le Comité consultatif sur le droit de la famille a présenté un grand projet de réforme, hier. La conférence de presse s’est tenue au beau milieu des gerbes de fleurs de la « salle des célébrations » du palais de justice de Montréal, où se déroulent habituellement les mariages. Particulièrement de circonstance !

Après plus de deux ans de gestation et l’équivalent de 26 jours de réunions, le Comité a accouché d’une brique de 596 pages qui met sur la table 82 recommandations visant autant les couples mariés qui pourraient se soustraire au partage du patrimoine familial que les couples en union libre qui seraient soumis à de nouvelles obligations dès la naissance d’un enfant.

La nécessité de revoir notre régime matrimonial ne fait pas l’ombre d’un doute. Le cadre juridique, qui date de plus de 25 ans, est carrément désuet. Il n’a pas suivi l’évolution de la famille.

Aujourd’hui, la majorité des enfants (55 %) sont issus d’une union de fait. Mais, faut-il le rappeler, les conjoints de fait ne sont aucunement protégés par la loi. Et ce n’est pas parce que la Cour suprême a décidé de ne pas s’en mêler que Québec doit rester les bras croisés. Au contraire, les experts s’accordent pour dire que le statu quo n’est pas tenable.

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Au lieu d’imposer les mêmes règles aux conjoints de fait qu’aux couples mariés, comme Lola l’aurait souhaité, le comité a choisi de faire table rase.

Le comité propose la création d’un nouveau « régime parental impératif » qui prendrait effet dès la naissance de l’enfant, tant pour les couples mariés que pour les conjoints de fait.

Il est vrai que la naissance de l’enfant est un moment décisif dans la vie financière d’un couple. Très souvent, c’est le point charnière où il se crée un déséquilibre financier, parce que le parent qui s’occupe davantage de la famille subit une perte de revenus.

Le conjoint qui a subi un désavantage économique à cause de son rôle de parent, durant sa vie commune et même après la rupture, pourrait donc réclamer une somme forfaitaire à son conjoint.

Par contre, les conjoints de fait n’auraient pas droit au partage du patrimoine familial ni à une pension alimentaire (sauf pour les enfants).

Ce nouveau régime aurait le mérite de laisser tranquilles les couples sans enfants qui font « finances à part » et qui ne veulent pas que l’État leur dicte des obligations qu’ils n’ont pas choisies.

On peut penser à des jeunes qui ont chacun leur carrière et leur indépendance ou à des amoureux plus âgés qui ne veulent pas mélanger leurs finances après avoir élevé leur famille chacun de leur côté.

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Par ailleurs, le comité prône le statu quo en matière successorale, même si la situation actuelle peut mener à la catastrophe pour certains conjoints de fait.

Un exemple ? Monsieur et Madame vivent ensemble depuis plus de 20 ans, sans enfant. Madame n’a jamais travaillé, car Monsieur gagne un excellent salaire. Il est propriétaire de la maison, du chalet, des voitures, etc. Mais le couple partage tout, comme s’il était marié.

Tout va bien jusqu’au jour où, crac, Monsieur meurt d’une crise cardiaque. Madame découvre alors qu’il n’a jamais fait de testament (cela lui donnait le cafard). À cause de sa négligence, elle est réduite à la misère… ou au bon vouloir des frères et sœurs de son ancien conjoint (les héritiers, selon le Code civil) qui lui laisseront peut-être de quoi subvenir à ses besoins. Ou peut-être pas.

Pour régler cette situation extrêmement injuste, on pourrait reconnaître le conjoint de fait au même titre que l’époux comme héritier légal. Mais après réflexion, le comité n’a pas retenu cette option, car elle aurait pu priver les enfants d’un premier lit au profit du nouveau conjoint. Effectivement, cela aurait pu causer bien des pleurs et des grincements de dents.

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Enfin, le comité veut jeter du lest aux couples mariés en leur donnant la permission de se retirer du partage du patrimoine familial, cette mesure imposée en 1989 que certains ont encore du mal à digérer.

À l’époque, on souhaitait protéger les « femmes au foyer » qui risquaient de se retrouver sans le sou après un divorce. Il est vrai que ces familles classiques ne sont plus légion, mais il en reste encore. Pour elles, ce serait un retour en arrière, car le nouveau régime impératif serait moins contraignant que les anciennes règles.

Bien sûr, avant de se retirer, les deux époux devraient fournir un consentement éclairé, après avoir consulté un notaire ou un avocat. Mais la vie change. On peut signer un papier et le regretter quelques années plus tard parce que la vie a pris un tournant inattendu.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les notaires auront du pain sur la planche pour avertir les couples des conséquences de leurs décisions. Malgré tout le battage médiatique des dernières années, il y a encore énormément d’incompréhension autour des questions matrimoniales. Et il faudra s’assurer que les changements à venir n’ajouteront pas à la confusion du grand public.

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