Chronique

L’indignation, la bonne

Les Québécois ont connu de nombreuses batailles, ils ont combattu plus de quatre cents hivers, ils ont connu un lot important de désaccords avec leurs concitoyens des autres provinces et ils ont survécu à quinze saisons de Virginie. Ils sont fiers de tout cela. Mais, pour des raisons sans doute socio-psycho-historiques, leur épiderme s’amincit quand un Français dit des âneries à leur sujet.

Les propos du chroniqueur Antoine Besse, qui, sur les ondes de RMC, a réalisé un grand exploit en balançant un nombre incalculable de faussetés sur Montréal en moins de trois minutes, ont enflammé les médias sociaux. Oh là là que vous n’étiez pas contents d’entendre le collaborateur de l’émission Bourdin en direct dire que le Plateau Mont-Royal est « un parc qui domine la ville », qu’Hochelaga-Maisonneuve est situé « en banlieue de Montréal », que l’hiver nous vivons « sous la terre » et qu’il faut une température d’au moins -10 °C pour qu’on en sorte.

En quelques heures, Antoine Besse est devenu le saint Sébastien des médias sociaux, recevant les flèches acérées des Québécois et des Français nouvellement installés au Québec. « Quelle honte ! Quel crétin ! Quel connard ! », ont écrit certains. 

Ses excuses nous donnent à croire que la maison d’édition Gallimard, qui publie la collection Cartoville dans laquelle on retrouve le guide sur la métropole dont il était question dans cette émission, n’était pas contente.

Besse a publié un mot d’excuse en disant qu’il n’était pas l’auteur de ce guide, « qui, lui, est exempt de toute erreur ». Je me suis procuré le guide en question. En effet, on se demande où Antoine Besse est allé chercher toutes ces erreurs. Les auteurs du guide font une nette distinction entre le Plateau Mont-Royal et le mont Royal et nous disent clairement que le port de Montréal existe toujours, contrairement à ce qu’affirmait le chroniqueur.

Toujours est-il que cela n’est pas très grave. Et si vous êtes encore fâché, sachez qu’Antoine Besse, qui ne manque pas d’humour, propose aux Québécois de passage en France d’aller boire du vin rouge qu’il leur servira « dans son béret ».

Bref, nous n’aimons pas que l’on rapporte des faussetés à notre sujet. Cela se comprend. Nous n’aimons pas que l’on parle de nous sous forme de clichés (souvenez-vous de l’entrevue que Ricardo avait accordée au magazine Elle à table qui dégoulinait d’idées reçues et de sirop d’érable). Et nous n’aimons pas que l’on reproduise notre accent, car on trouve qu’il est inimitable (souvenez-vous de Marion Cotillard, l’an dernier, interprétant une actrice pratiquant son accent québécois pour un rôle dans le film français Rock’n Roll).

Vous me voyez venir, je pense… Si on n’accepte pas cela, pourquoi des autochtones devraient-ils accepter que l’on parle d’eux dans une pièce, mais sans eux ? Pourquoi des Noirs accepteraient-ils que l’on fasse un spectacle sur l’esclavagisme dans lequel ils sont représentés de façon très minoritaire ?

Dans ma chronique de samedi dernier, je disais que je m’opposais à toute forme de censure dans le domaine des arts. Mais je disais aussi que les créateurs qui s’emparent des douleurs d’un groupe minoritaire doivent réfléchir à certains enjeux avant de se lancer dans un tel projet. Ils prendront la décision que leur dicte leur conscience, mais ils doivent penser au dialogue qui suivra la création, car dialogue il y aura.

Vous avez été très nombreux à m’écrire, à la suite de cette chronique, en fermant la porte à ce dialogue.

« Ils veulent que leurs histoires soient racontées, que leurs drames soient mis au grand jour, et finalement dès qu’on s’y intéresse, les voilà aux barricades sous prétexte d’appropriation culturelle », m’a écrit un lecteur.

Pour de nombreux autres, si les autochtones et les Noirs veulent être dans des spectacles, « qu’ils les fassent eux-mêmes ». « Si les autochtones ou autres communautés du Québec veulent exister, qu’ils créent leur propre dramaturgie et remplacent leur colère par la créativité », pense une lectrice. En fait, ces dramaturgies existent déjà, chère madame, mais on ne les connaît pas.

Pour un lecteur, si l’esclavagisme a pris fin, c’est grâce aux « Blancs menés par Abraham Lincoln ». J’ai dû me resservir un autre café pour encaisser le coup. Finalement, un lecteur, sans doute loin de la philosophie des moines tibétains ou de celle de l’École de Kyōto, m’a écrit pour me dire : « Tant que je vivrai, les mots “Premières Nations” me feront dresser les poils des bras. » 

C’est à ce moment-là que j’ai pris la route en direction de la campagne pour retrouver un peu de zénitude et me concentrer sur les courriels constructifs (il y en avait quand même plusieurs) que j’avais reçus.

L’histoire du chroniqueur français qui a présenté une mauvaise rubrique sur Montréal m’a fait prendre conscience de notre aveuglement, de notre égoïsme, de notre enfermement. S’il y a un peuple dans le monde qui devrait comprendre ce que c’est qu’être minoritaire, ce que c’est que se faire voler sa culture, ce que c’est que d’être oublié, c’est bien les Québécois.

Au lieu de tendre la main et de prêter une oreille attentive à ceux qui tiennent un discours semblable à celui que nous avons déjà tenu dans le passé, on leur dit de s’inventer leur propre dramaturgie, de monter leur propre spectacle et de nous ficher la paix.

L’appropriation culturelle est une injustice. Voyons d’abord les choses ainsi avant de paniquer et d’affirmer que ce concept sera appliqué dans des centaines d’autres domaines. Les deux cas récents (SLĀV et Kanata) nous sont tombés dessus alors qu’on ne connaissait rien à cela. On a besoin de temps. Et de mots.

Alors, de grâce, les animateurs de radio et les chroniqueurs des journaux qui disent être « tannés » d’en entendre parler, trouvez plutôt des manières de faire avancer la pensée. C’est votre rôle, après tout.

Les propos d’un chroniqueur français qui imite mal notre accent et dit de nous que nous passons nos hivers à vivre comme des taupes nous écorchent et nous insultent. Ils devraient nous faire rire aux éclats. Gardons l’indignation pour les choses qui le méritent vraiment.

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