À Paris et à Boston, les barres de maintien des voitures du métro sont nettoyées tous les jours. À Montréal, elles le sont une fois toutes les cinq ou six semaines. Pourtant, après avoir prélevé à la demande de La Presse 40 échantillons dans le métro, le 7 octobre dernier, entre 12 h 30 et 14 h 30, Sylvain Beausoleil, enseignant en microbiologie au collège Ahuntsic, a constaté que quatre d’entre eux contenaient tellement de bactéries ou de levures et moisissures qu’il lui a été impossible de les compter au microscope.
Un poteau central et une barre horizontale au plafond dans deux rames Azur distinctes de la ligne orange, un poteau central dans une voiture de la ligne verte et un guichet distributeur de titres à la station Jean-Talon comptaient tous plus de 100 colonies de bactéries ou de levures et moisissures sur une surface de 33,18 cm2.
Si les autres résultats étaient généralement « dans les limites du raisonnable », a constaté le chercheur, « ce résultat souligne que certains endroits ont peut-être été oubliés par le service d’entretien ». « L’autre possibilité, c’est que ces endroits ont été contaminés par plusieurs usagers avant notre passage », explique M. Beausoleil.
Au moment d’analyser les résultats, le biologiste moléculaire était persuadé que le nettoyage des wagons était fait quotidiennement. La Société de transport de Montréal (STM) lave plutôt les planchers tous les trois jours, tandis que les barres de maintien sont nettoyées toutes les cinq ou six semaines. Dans les stations de métro, les surfaces visibles comme les guichets sont astiquées au moins une fois par semaine.
La Société n’effectue d’ailleurs pas de tests de laboratoire pour identifier les bactéries de façon régulière dans le réseau, mais le fait de façon exceptionnelle « pour des questions de santé publique », explique Amélie Régis, conseillère corporative en affaires publiques à la STM.
Mme Régis affirme que le métro ne pourra jamais devenir un milieu exempt de bactéries, de levures et de moisissures. Nettoyer l’intérieur des voitures chaque jour nécessiterait un plus grand nombre d’employés et donc un investissement d’argent conséquent. « Les usagers arrivent de plein d’endroits différents. Je pense qu’ils sont au fait que s’ils tiennent une barre, c’est important qu’ils se lavent les mains. Les gens savent que c’est un endroit très fréquenté et je ne pense pas qu’ils s’attendent à ce que ce soit un lieu complètement aseptisé. »
Un million d’entrées chaque jour
Sylvain Beausoleil estime pour sa part que laver l’intérieur des wagons une fois toutes les cinq ou six semaines, c’est peu pour un endroit qui enregistre un million d’entrées chaque jour. De plus, de nombreux usagers sont obligés de s’agripper aux barreaux quand les sièges sont tous occupés.
« C’est vrai que les résultats de nos tests ne sont pas si mal, mais je trouve que ça reste peu [un nettoyage toutes les cinq ou six semaines]. Dans certaines circonstances et à certains moments de l’année, comme l’automne et l’hiver, les lieux publics peuvent se contaminer très rapidement » , juge le scientifique.
« En plus, le métro, par son étroitesse, favorise les contaminations et les contagions. »
— Sylvain Beausoleil, professeur en microbiologie au collège Ahuntsic
À Toronto, la fréquence est encore moins grande qu’à Montréal : on y nettoie les barres de maintien toutes les six à huit semaines.
Le microbiologiste Éric Frost, à qui nous avons présenté les résultats de notre test, n’a pas osé s’avancer sur la fréquence à laquelle devraient être nettoyées les voitures de métro. « Il faut garder notre maison propre, et le métro, c’est la maison de la STM », a-t-il dit.
Ce docteur de la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke affirme qu’il y a des milliers de bactéries dans les endroits publics et qu’il faut appliquer les mêmes règles d’hygiène, que l’on touche à une poignée de porte ou qu’on s’agrippe à une barre dans les transports en commun. Pour lui, le métro n’est pas un endroit dangereux.
Risques de gastro ?
De nombreux échantillons prélevés dans le métro contenaient des staphylocoques inoffensifs pour la santé humaine. Toutefois, une poignée, près de la porte d’une voiture Azur de la ligne orange, était infectée d’une bactérie appelée Bacillus cereus. Cette bactérie est responsable d’intoxications alimentaires lorsqu’elle se trouve dans des aliments mal conservés ou mal cuits.
« Il ne faut pas paniquer, mais effectivement, c’est une bactérie qui, dans certaines conditions et quand il y en a beaucoup, peut causer des intoxications alimentaires. Si tu es en bonne santé, les probabilités sont faibles, mais si tu ne prends pas de précautions [comme se laver les mains], ça peut causer des problèmes au niveau intestinal », explique M. Beausoleil.
Christian L. Jacob, président de l’Association des microbiologistes du Québec, nuance les risques. Il affirme qu’il faut avoir été en contact avec une très grande concentration de Bacillus cereus pour se mettre à souffrir de vomissements et de diarrhée. « Ça prendrait une très grande quantité, une quantité des milliers de fois plus grande que celle qui a été détectée », dit-il.
Maladie de peau
Par ailleurs, une barre au plafond d’une voiture de la ligne orange, celle qui était porteuse de plus de 100 colonies de bactéries ou de levures et moisissures sur une surface de 33,18 cm2, était en partie couverte d’une levure appelée Candida ciferrii. Les personnes âgées ou diabétiques sont vulnérables à cette levure qui peut causer des onychomycoses – champignons aux ongles – ou l’intertrigo des pieds.
Il faut bien entendu que la personne soit entrée en contact avec la levure dans le métro et qu’elle se soit touché les pieds plus tard, sans s’être lavé les mains, pour développer une maladie aux orteils.
Sur la ligne verte, un poteau dans une voiture était aussi porteur d’un staphylocoque doré (Staphylococcus aureus). Cette bactérie se retrouve souvent en surface de la peau et elle ne cause aucun problème de santé. Toutefois, si elle se fraie un chemin dans une fissure de la peau comme une gerçure ou une égratignure, elle peut causer des infections légères ou graves, selon la souche.
« Quand elle est sur le dessus de la peau, il n’y a pas de problème. Mais si tu as une craque et que la bactérie peut entrer par là, ça peut devenir pathogène et causer des problèmes de santé », dit M. Beausoleil.
Malgré les résultats de l’expérience, l’enseignant du collège Ahuntsic est catégorique : il ne faut pas succomber à l’obsession de la propreté. Il recommande néanmoins de se laver les mains en quittant un endroit public, avant de manger ou en sortant de la salle de bains. Un geste simple qui peut éviter bien des maux. « Le métro de Montréal est à notre image, selon notre hygiène personnelle, conclut M. Beausoleil. Il appartient à tous de prendre les précautions nécessaires pour se protéger soi-même et, par le fait même, protéger autrui. »
Méthodologie
Dans le cadre de notre enquête, le biologiste moléculaire et bioéthicien Sylvain Beausoleil a effectué 36 prélèvements, le lundi 7 octobre entre 12 h 30 et 14 h 30, dans des voitures des quatre lignes du métro de Montréal ainsi que sur des guichets distributeurs de titres de passage et des rampes d’escalier. Il a aussi effectué quatre prélèvements sur nos mains (voir autre onglet). La cueillette d’échantillons s’est effectuée avec des plaques Rodac, des géloses que l’on applique sur les surfaces à analyser. Vingt d’entre elles ont servi à détecter les bactéries ; 20 autres ont été utilisées pour identifier les levures et moisissures. Dans les semaines suivantes, M. Beausoleil a sélectionné les 10 plaques qui présentaient la plus grande quantité de bactéries, levures et moisissures et a procédé à l’identification de celles-ci au laboratoire du collège Ahuntsic. Il ne s’agit pas d’un test scientifique, mais d’une « tranche de vie du métro de Montréal », souligne l’expert.