avortements tardifs

Le Collège des médecins « préoccupé »

Le Collège des médecins du Québec est « préoccupé » par la manière dont les avortements tardifs sont pratiqués dans la province et vient de former un groupe de travail en vue d’établir de nouvelles lignes directrices à ce sujet pour les praticiens, a appris La Presse.

La porte-parole de l’organisation, Caroline Langis, a indiqué que le groupe de travail, spécialisé en éthique clinique, devra établir un portrait de la situation actuelle dans les établissements et produire ultimement un guide reflétant celui qui a été établi pour l’aide médicale à mourir.

La décision survient dans la foulée d’une étude chapeautée par une chercheuse de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), qui indique qu’un nombre non négligeable d’interruptions de grossesse pratiquées à un stade de gestation avancée mènent à des naissances vivantes « accidentelles ».

Le phénomène est suffisamment important, relèvent les auteurs de l’article paru dans la revue Neonatalogy, pour gonfler sensiblement le taux de mortalité infantile du Québec, qui intègre tout enfant né vivant, y compris ceux qui meurent peu de temps après avoir vu le jour.

« Comment ces enfants sont-ils pris en charge ? S’ils ne sont pas réanimés, est-ce que des soins palliatifs sont fournis ? Sont-ils admis dans des unités de néonatalogie ou meurent-ils dans la salle d’accouchement ? Les parents sont-ils informés si le fœtus survit ? », demandent les auteurs, qui soulignent l’urgence d’améliorer les pratiques cliniques en matière d’avortement tardif.

À partir de 21 semaines

Le Collège des médecins, dans un document de référence sur l’interruption volontaire de grossesse datant de 2012, indiquait qu’il est préférable à partir de 21 semaines de gestation de procéder à une injection de chlorure de potassium ou de digoxine, qui touche le cœur, pour « éviter l’expulsion d’un fœtus vivant » lorsque l’accouchement est induit artificiellement.

L’étude parue dans Neonatalogy souligne que le fœticide réduit la possibilité de naissance vivante, « mais il existe un risque d’échec et ce ne sont pas toutes les femmes qui optent pour cette option ».

La Dre Nathalie Auger, de l’INSPQ, a expliqué en entrevue que l’étude n’avait pas permis de déterminer pourquoi le fœticide n’avait pas été pratiqué dans les cas où il y a eu naissance vivante accidentelle.

« On ne sait pas si les femmes sont au courant du risque qu’il y a de ne pas pratiquer de fœticide », a-t-elle précisé en relevant que la recherche était basée essentiellement sur une analyse statistique des causes inscrites sur les certificats de décès.

4,4 % des cas de mort infantile

L’étude indique que l’interruption volontaire de grossesse a été enregistrée comme cause dans 4,4 % des cas de mort infantile survenus de 2000 à 2012. Dans la plupart des cas, la mort est survenue dans les trois heures suivant la naissance.

Le Dr Antoine Payot, un néonatalogiste qui dirige l’unité d’éthique clinique de l’hôpital Sainte-Justine, estime que l’évocation de naissances vivantes « accidentelles » par les auteurs de l’étude parue dans Neonatalogy est « plutôt tendancieuse » et cache une réalité plus complexe.

Selon lui, il s’agit « probablement », dans la plupart des cas, d’interruptions volontaires de grossesse sans fœticide choisies par des femmes « qui ont bénéficié d’un accompagnement palliatif à la naissance ».

« Nous avons beaucoup travaillé, notamment à Sainte-Justine, pour humaniser l’accompagnement palliatif en salle de naissance depuis 10 ans et cela a mené à une reconnaissance des deuils vécus par les patientes et une humanisation des soins pour ces bébés qui sont maintenant reconnus comme tels et non comme du “matériel biologique”. »

— Le Dr Antoine Payot

Les avortements tardifs, particulièrement lorsqu’ils surviennent au-delà du seuil de gestation où le fœtus est considéré comme viable, suscitent des interrogations éthiques importantes, y compris chez les praticiens eux-mêmes.

Les cas où le fœtus présente des malformations congénitales majeures suscitent moins de difficultés éthiques que ceux où une part d’incertitude importante demeure quant à sa santé et à son développement ultérieurs, note le Dr Payot.

Dans un cas comme dans l’autre, la décision ultime quant à la poursuite de la grossesse relève de la femme ou du couple concerné, précise le médecin.

L'étude en bref

L’étude parue dans Neonatalogy sur les naissances vivantes « accidentelles » au Québec après une interruption de grossesse tardive indique que : 

8,6 % des morts infantiles survenues dans les 24 heures suivant la naissance qui ont été enregistrées de 2000 à 2012 étaient liées à une interruption volontaire de grossesse ;

4,4 % des morts survenues dans la première année de vie étaient liées à une interruption volontaire de grossesse ;

218 morts infantiles survenues de 2000 à 2012 avaient officiellement pour cause une interruption volontaire de grossesse.

Avortement tardif

Une question complexe

Dans un rapport qui demeure un document de référence à l’hôpital Sainte-Justine, le comité de bioéthique de l’établissement s’est penché en 2007 sur la question de savoir s’il est « éthiquement acceptable » d’interrompre une grossesse pour anomalie fœtale au-delà du seuil de viabilité, fixé « autour de 24 semaines de gestation ».

Avortement tardif

Des divergences d’opinions

Le comité d’éthique relevait alors que le recours à une interruption de grossesse à la suite de la découverte de pathologies graves ou létales du fœtus suscitait peu de divisions au dire des experts consultés. Des diagnostics de trisomie 21 ou de spina bifida suscitaient cependant des positions plus divisées alors que les pathologies « incertaines » causaient d’importantes divergences quant à la marche à suivre.

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Le regard sur le fœtus

Le comité d’éthique relevait que « la nature de l’embryon humain et le statut à lui reconnaître font l’objet de débats » depuis des « millénaires » et que les positions vont d’un extrême à l’autre en passant par toutes les nuances du spectre en fonction des convictions philosophiques et religieuses des personnes concernées. À une extrémité du spectre, il s’agit d’un simple « matériel biologique », à l’autre, d’une personne « potentielle ou réelle ».

Avortement tardif

Un statut juridique particulier

Le comité d’éthique soulignait que le Code criminel canadien ne limite pas l’avortement, qui est permis « indépendamment du stade du développement du fœtus », et que la Cour suprême a confirmé cette interprétation en « niant toute personnalité intra-utérine » au fœtus dans une décision rendue en 1997. Les auteurs indiquaient par ailleurs que plusieurs pays limitent le délai légal de l’avortement, qui varie « considérablement » d’un État à l’autre.

Avortement tardif

Une approche limitative

Le comité, dans ses recommandations, concluait que l’interruption volontaire de grossesse au troisième trimestre était éthiquement « acceptable » lorsqu’il existe « une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une anomalie fœtale grave reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». Les auteurs relevaient du même coup que la décision de la femme ou du couple devait être « libre, éclairée et soutenue » et évoquaient la nécessité d’« humaniser la fin de vie » en cas d’avortement, notamment en s’assurant d’« éviter toute souffrance au fœtus ».

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