Chronique

Elle, elle connaît ça…

Catherine Tait n’a pas encore marché sur la Lune, mais c’est tout comme. Depuis l’annonce de sa nomination à la présidence de CBC/Radio-Canada, tous les médias, sans aucune exception, ont titré, voire souligné en gras, qu’elle était la « première femme » à accéder au plus haut poste du réseau public. Évidemment, c’était difficile de ne pas remarquer qu’en 65 ans d’histoire, c’est la première fois que le réseau public canadien accepte de faire confiance à une femme pour le gouverner.

En même temps, en 65 ans d’histoire et combien de changements de régime, on a rarement lu dans un journal que le nouveau président de CBC/Radio-Canada était un homme, sans doute parce qu’ils en étaient tous, des hommes.

Catherine Tait n’a pas marché sur la Lune, mais elle devient la première femme à diriger un réseau public en pleine mutation et menacé de toutes parts par les géants numériques. Or si le fait qu’elle est une femme n’a certainement pas nui à sa candidature, je refuse de croire une seconde que ce seul critère a joué en sa faveur.

Sceptiques de la parité, calmez-vous. 

Si Catherine Tait a été recommandée (et non choisie) par un comité indépendant de neuf personnes, dont deux Québécois, c’est forcément pour sa compétence et sa longue expérience dans le domaine audiovisuel. 

Marc Beaudet, un des deux Québécois du comité, me l’a confirmé. « Catherine a touché à tout, au privé comme au public, au national comme à l’international, et bien entendu au numérique. Elle a été mon coup de cœur », a-t-il affirmé.

C’est dire que contrairement à l’ex-président Hubert T. Lacroix, avocat issu des milieux juridiques et qui avait sans doute de belles qualités, mais zéro expérience en télé, Catherine, elle, elle connaît ça.

Un impressionnant CV

La future présidente n’aura pas besoin de cours en accéléré en télé, en cinéma ou en médias numériques, secteurs auxquels elle a participé activement au fil d’une carrière qui s’échelonne sur 30 ans et qui lui a permis de se constituer un CV des plus impressionnants.

Dans ce fameux CV qui a circulé toute la journée hier, on apprend qu’elle a un bac en littérature et philosophie de l’Université de Toronto, une maîtrise en communication de l’Université de Boston et un diplôme d’études approfondies en théorie des communications de l’Université de Paris.

Ce qui nous amène à croire qu’elle est, comme on dit en bon français, « full bilingue », statut linguistique confirmé par Émile Martel, père de l’écrivain Yann Martel, qui fut le patron d’une Catherine Tait trentenaire au Centre culturel canadien à Paris de 1989 à 1991.

Fille d’un haut fonctionnaire fédéral, Catherine Tait est arrivée à Paris directement des bureaux de Téléfilm Canada où, de 1986 à 1989, elle a travaillé aux politiques et aux orientations de la Société.

Lorsqu’elle est entrée en fonction au Centre culturel canadien, Yoland Guérard venait de mourir subitement et les troupes étaient un brin désemparées. Selon Émile Martel, la nouvelle directrice s’est immédiatement imposée comme une fille d’équipe, avec un bon sens des priorités. 

« Les gens adoraient travailler avec elle, notamment parce qu’elle n’a jamais essayé de kidnapper leurs secteurs respectifs, y compris le secteur cinéma où elle avait une expertise. »

— Émile Martel, ravi de la nomination de Catherine Tait

Il ajoute être convaincu que même si Catherine Tait ne vient pas du Québec, les réalités de la télé québécoise n’échapperont pas à sa compréhension. Marc Beaudet confirme qu’en entrevue, contre toute attente, Catherine Tait a montré qu’elle connaissait plusieurs émissions québécoises et leurs vedettes, même si elle vit à New York depuis plusieurs années.

Quoi encore ? À titre de PDG de la défunte entreprise Salter Street Films, Catherine Tait a été liée aux succès de Bowling for Columbine et de The Awful Truth, parmi les meilleurs films de Michael Moore. Elle fut aussi de l’aventure d’une série humoristique culte qui dure jusqu’à ce jour sur les ondes de la CBC : This Hour Has 22 Minutes.

Au tournant des années 2000, elle a fondé Duopoly – monopole à deux –, une entreprise de conseils médias qui aide les entreprises à se restructurer. La liste de ses clients à elle seule pourrait expliquer pourquoi la ministre Mélanie Joly a décidé en dernière instance de nommer Catherine Tait, puisqu’on y retrouve autant des entreprises privées comme eOne que des organismes publics comme l’ONF, le Tribeca Film Center, le Centre des arts de Banff, le Centre du film canadien et le dernier, mais non le moindre : le groupe Juste pour rire avant le déluge. 

Catherine Tait n’a pas marché sur la Lune, mais on ne peut pas dire que son parcours manque d’ambition ni d’exploits. Pour le reste, on sait peu de choses d’elle sinon qu’elle a 60 ans, que c’est une jolie rousse au sourire généreux. On sait aussi qu’elle est née à Athènes, a au moins un enfant, une fille photographe, et un mari sculpteur, et qu’elle s’apprête à quitter New York pour s’installer à Ottawa, où elle a grandi.

Et même si on ne peut jurer de rien, tout porte à croire que Catherine Tait est non seulement la première présidente du réseau public canadien, mais aussi la meilleure nouvelle depuis longtemps concernant la société d’État.

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