Chronique

Qui sont les Québécois ?

Qui sont réellement les Québécois ? Cette question « toute légère », on la pose cette semaine aux travailleurs exténués qui quittent le boulot en empruntant le passage de la Place des Arts. Mais vous savez quoi, même pressés d’aller préparer le souper ou de regarder « leurs beaux programmes à la télévision », plusieurs prennent le temps de s’arrêter pour réfléchir. Plutôt encourageant.

L’objet de la réflexion, c’est Parrêsia, un spectacle-installation qui arrive à point nommé, car il s’empare d’un sujet brûlant d’actualité : la mixité au théâtre.

Alors que La Presse présentait le mois dernier un dossier dans lequel on abordait ce thème et qu’une lettre d’opinion signée par des dizaines de comédiens et de metteurs en scène était publiée dans les journaux, Ana Pfeiffer Quiroz, comédienne et metteuse en scène d’origine péruvienne, présente cette intervention théâtrale fort bien construite et interprétée.

Débarquée à Montréal en 2010, Ana Pfeiffer Quiroz s’intéresse à l’interculturalité dans le théâtre québécois depuis quelques années. Les questions qu’elle soumet dans cette intervention publique de 45 minutes vont plus loin que l’aspect théâtral. À travers les expériences personnelles de trois comédiens, Anna Beaupré Moulounda (Abitibienne métisse née d’un père congolais et d’une mère québécoise), Alexander Peganov (Biélorusse installé à Montréal depuis cinq ans) et Thomas Leblanc (Blanc, gai et roux), on se demande qui sont véritablement les Québécois. On se demande aussi combien de temps il faut pour devenir un « Québécois pure laine ».

« Je peux vous chanter La bitt à Tibi sans problème, dit Anna. Je peux aussi vous chanter toutes les chansons de Passe-partout. Est-ce que ça fait de moi une Québécoise pure laine ? »

Ce happening social joue bien son rôle, celui de susciter une réflexion tout en s’appropriant un lieu public. 

D’ailleurs, lorsque j’y suis allé, mardi, une dame, qui ne s’était pas aperçue qu’il s’agissait d’une manifestation théâtrale, a interpellé les comédiens.

Tout au long du spectacle, on voit et entend en vidéo les témoignages de huit comédiens de Montréal qui ont des origines étrangères. Ils nous disent comment ils sont vus et, surtout, rejetés, par ceux qui font les choix en théâtre.

Il est aussi question des préjugés qui entourent l’emploi des comédiens issus des minorités visibles ou d’origine étrangère. Alexander Peganov raconte qu’on lui demande toujours de jouer des personnages de Russes issus de la mafia, fous de vodka en lui précisant de rouler ses « r » et de ne pas sourire. Bonjour, les clichés !

De son côté, Anna Beaupré Moulounda décrit le malaise qu’éprouvaient ses professeurs à l’École nationale de théâtre lorsque venait le moment de lui attribuer un rôle. Elle se retrouvait la plupart du temps à jouer les soubrettes, les bossus, les vieillards ou les animaux. La jeune femme évoque aussi ces réalisateurs ou metteurs en scène qui lui demandent de reproduire l’accent africain sans préciser de quel pays il doit provenir.

Anna rêve de jouer Hermione dans Andromaque. Alexander rêve de jouer Raskolnikov dans Crime et châtiment. Quant à Thomas, il a le désir fou d’interpréter le personnage déchaîné de La nuit juste avant les forêts de Koltès.

Je souhaite que leurs rêves se réalisent un jour. Je souhaite que, pour une fois, la réalité soit plus forte que le théâtre. Je souhaite que les choses changent.

Parrêsia, à l’Espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts (sous le puits de lumière) ; ce soir à 17 h et 19 h, demain à 17 h et 19 h, samedi à 15 h. Des discussions suivront les représentations d’aujourd’hui et demain à 19 h. Aucuns frais. Durée : 45 minutes.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.