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Ne touchez pas cette roche

Ils sont partout. Dans les parcs nationaux, sur les plages, du Québec à l’Écosse en passant par la Patagonie et, surtout, sur Instagram. Mais les tas de roches en équilibre – cairns – sont tout sauf anodins et menaceraient certains écosystèmes. Des environnementalistes sonnent l’alarme. Le phénomène en six mots.

« Vandalisme »

« Une activité destructrice », du « vandalisme » : les responsables du parc national Zion, aux États-Unis, n’y sont pas allés avec des pincettes quand ils ont dénoncé l’habitude des visiteurs de laisser des amoncellements de roches en souvenir de leur passage. Les autorités du parc dénoncent le fait que le retrait des pierres non seulement expose le sol aux dangers de l’érosion, mais malmène aussi toutes les petites bestioles qui y avaient trouvé un abri. Et ce n’est pas sans conséquence pour les randonneurs, qui pourraient confondre un cairn indiquant le sentier à suivre avec un monument laissé par un quidam : des internautes ont d’ailleurs témoigné, sur la page Facebook du parc, avoir été victimes d’une telle méprise.

Écosse

En Écosse, l’organisation Blue Planet Society a lancé une campagne de sensibilisation contre le stone-stacking après que son président eut découvert, catastrophé, que les plages des îles les plus au nord du pays, pourtant difficiles d’accès, avaient été tapissées de centaines de monticules de roches par des touristes. John Hourston explique qu’« il n’a fallu que deux ou trois ans pour que cette pratique, marginale, devienne une véritable plaie ! », propulsée par le développement des réseaux sociaux et du tourisme de masse dans des zones reculées. « Les gens plaident que le stone-stacking a des vertus méditatives. Mais pour les gens qui aimaient se rendre dans des endroits reculés pour méditer, loin de toute trace de civilisation, c’est l’inverse : ils se sentent lésés. »

Québec

A contrario de ses homologues américains, la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) n’a pas remarqué de problème relatif aux constructions en pierre. « L’achalandage des parcs nationaux du Québec ne se compare pas à celui des parcs américains », remarque Simon Boivin, responsable des relations avec les médias de la SEPAQ. Les cairns sont défaits lorsqu’ils sont situés hors des sentiers pour ne pas inciter les autres visiteurs à faire de même, afin de préserver les milieux naturels sensibles, mais il s’agit généralement de cas isolés.

Épater

Mais au fond, pourquoi fait-on des tas de roches ? Le professeur de tourisme à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM Alain A. Grenier y voit un désir d’« immortalité », de laisser une trace de son passage derrière soi. Certes, les monticules peuvent être détruits assez facilement, mais pas les photos que l’on s’empresse d’ajouter à son compte Instagram, avec le mot-clé #stonestacking, il va de soi. « On veut montrer aux autres ce qu’on a accompli », remarque M. Grenier. Montrer aux autres qu’on a pu se payer tel ou tel voyage, faire telle randonnée, etc.

Peinture

Les tas de roches ne sont pas les seules traces laissées par les visiteurs, loin de là. Le parc Acadia, sur la côte est américaine, est aux prises avec un problème de roches peintes de couleurs très vives, disséminées un peu partout dans l’environnement : plusieurs centaines ont été récupérées par les gardes forestiers, qui envisagent de les brûler pour leur rendre une apparence plus naturelle. En Islande, on s’inquiète de l’habitude de certains touristes de graver leur nom dans le lichen, ignorant peut-être que la plante croît de moins de 1 à 2 millimètres d’épaisseur chaque année.

Éducation

Plutôt que d’ériger des barrières destinées à dissuader les artistes de la roche, l’organisme Blue Planet mise sur l’éducation des touristes aux conséquences de leurs actes. Une approche approuvée par Alain A. Grenier. « Quand je vivais en Colombie-Britannique, j’ai remarqué qu’on apprenait même aux enfants à ne pas lancer de pierres dans l’eau. Cela peut paraître un peu extrême, mais ça commence par ça », dit-il. Au même titre qu’en Antarctique, remarque M. Grenier, les touristes doivent éviter de rapporter en souvenir des cailloux, lesquels sont aussi rares qu’essentiels aux populations d’oiseaux pour préparer leurs nids.

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