La briseuse de barrières

Le plus grand espoir québécois du hockey depuis Mario Lemieux et premier choix au total de la LNH en 2020 selon une majorité d’observateurs, Alexis Lafrenière, de l’Océanic de Rimouski, est représenté par une femme.

Après Hayley Wickenheiser et Noelle Needham, embauchées dans le personnel hockey des Maple Leafs de Toronto en août, Émilie Castonguay, 34 ans, pourrait contribuer à ouvrir des portes à celles qui voudraient percer dans le monde des agents de joueurs.

La jeune femme, seule agente certifiée au Canada, la deuxième en Amérique du Nord, a vite gagné l’estime de son patron, Christian Daigle, ancien capitaine des Foreurs de Val-d’Or, fondateur de la firme Momentum Hockey, au point où il lui a confié son joueur le plus prometteur.

« Quand elle a commencé pour nous il y a quelques années, j’ai entendu des gens du milieu me dire que ça ne fonctionnerait jamais », confie Christian Daigle en entrevue avec La Presse.

« On me demandait quel serait son rôle. Je crois que plusieurs ne voyaient pas une femme négocier avec des directeurs généraux de la Ligue nationale. »

— Christian Daigle, fondateur de la firme Momentum Hockey

En décembre 2017, Christian Daigle a donné à cette avocate montréalaise le mandat de négocier le contrat du jeune Mathieu Joseph, repêché par le Lightning de Tampa Bay.

« Négocier un premier contrat avec Julien BriseBois et Steve Yzerman a représenté un assez bon challenge pour moi, lance-t-elle en gloussant. Julien est assez dur en négociations. Mathieu participait au Championnat du monde junior, on voulait qu’il ait un contrat avant la date limite de décembre, le délai était assez court. Il y a eu beaucoup de va-et-vient avec Julien. »

Cet été, elle a eu le mandat de négocier un contrat pour le joueur autonome Antoine Roussel. Ce Québécois d’adoption a obtenu des Canucks de Vancouver un pacte de quatre ans pour 12 millions après une saison difficile de 5 buts et 17 points en 73 matchs à Dallas.

« Tu regardes le marché, les équipes n’ont pas donné beaucoup de contrats de trois ans ou plus, lance Christian Daigle. Quatre ans, c’est spécial. Émilie a fait un “énoncé” dans ce dossier. »

« Une grosse négociation »

Malgré ses 17 ans, Alexis Lafrenière est déjà très sollicité. En 2019, on devrait annoncer des ententes de commandites étonnantes, qui lui permettront déjà de rejoindre de grands noms du sport international.

« On prévoit déjà depuis quelques années qu’il constituera le premier choix au total en 2020, dit Émilie Castonguay. Les compagnies d’équipement se l’arrachent depuis la fin de sa dernière année midget AAA. Quand on a vu l’ampleur que ça prenait à sa première année junior, j’ai été affectée au dossier à temps plein. Ça va être une grosse négociation de contrats pour nous. »

À sa première saison dans la LHJMQ l’an dernier, Lafrenière a obtenu 80 points en 60 matchs à seulement 16 ans. Il en a 17 en seulement 11 rencontres jusqu’ici…

D’ici à ce qu’il soit repêché, Émilie Castonguay se chargera de négocier ses contrats de commandites et de gérer les nombreuses demandes médiatiques.

« On a commencé le démarchage pour le positionner côté commandites, explique l’agente. On a ciblé les compagnies qui nous intéressent et qui correspondent à ses valeurs. Il y a aussi des demandes médiatiques chaque jour. Il faut gérer son quotidien. Il doit pouvoir se concentrer sur le hockey à temps plein. On veut lui enlever cette pression-là. La famille aussi reçoit beaucoup de demandes. »

Marie-Philip Poulin

Les commandites, Émilie Castonguay commence à s’y connaître. « Elle a ouvert de grandes portes avec Marie-Philip Poulin, souligne Christian Daigle. Elle a obtenu des contrats qu’on n’avait jamais vus dans le monde du hockey féminin. »

Émilie Castonguay se lançait dans l’inconnu avec Marie-Philip Poulin. « Avec les joueurs de la LNH, nous avons une convention collective, un système sur lequel on peut se baser, explique-t-elle. Avec Marie-Philip, je n’avais pas de repères. Mais je savais quel type d’athlète on avait sous la main après ses exploits à Vancouver et à Sotchi. J’ai fait des présentations PowerPoint, je me suis assise avec Nike, Gatorade, Sports Experts, Canadien Tire, Tide, Air Canada, Telus. Je leur ai dit : “Voici pourquoi vous avez besoin de Marie-Philip Poulin !” »

Les sollicitations ont été bien reçues. « Ils ont tous reconnu l’intérêt de s’associer à elle, poursuit l’agente. C’est désormais la joueuse de hockey la plus visible au monde. Marie-Philip, c’est un phénomène. C’est la meilleure au monde et ça va prendre 20 ans avant qu’on en voie une comme elle. Je souhaitais qu’elle soit traitée comme une athlète professionnelle et qu’elle puisse gagner sa vie avec le hockey. C’est fait. Je n’ose imaginer à quel point elle pourra s’améliorer en se concentrant seulement sur le hockey. »

Ironiquement, les contacts établis pour Marie-Philip Poulin pourraient servir Alexis Lafrenière. « Ce sont toutes des entreprises majeures et, oui, Marie-Philip pourra contribuer à ouvrir un peu la porte à Alexis », dit Christian Daigle.

Pour le patron de Momentum Hockey, on verra de plus en plus de femmes dans le milieu. « J’ai peut-être été avant-gardiste en l’embauchant et en l’impliquant dans la négociation de contrats, mais elle n’a rien eu par chance. Elle a un sens de l’entrepreneuriat incroyable. Elle gère des dossiers majeurs avec une pression majeure. C’est une grande femme. Et je trouve qu’elle amène une dimension quand on s’assied à table pour négocier. Ce n’est qu’un début. D’autres agences vont impliquer les femmes dans les négociations de contrats. »

Émilie Castonguay souhaite ouvrir des portes pour les femmes. « J’espère qu’il y en aura d’autres. Si tu travailles fort et que tu ne te laisses pas intimider, c’est possible. Certaines pourraient ne pas essayer, car elles craignent les réactions. Mais moi, j’ai juste foncé. Je me suis dit : si jamais on me ferme la porte, j’aurai essayé. S’il n’y en a pas une qui le fait, il n’y en aura jamais. »

« Ça ne me dérange pas d’être la première pour ouvrir la porte aux autres. »

— Émilie Castonguay

Celle qui rêvait de jouer dans la LNH quand elle était jeune n’a jamais senti de regards hautains. « Je n’ai jamais eu l’impression d’être traitée différemment. J’ai peut-être gagné une crédibilité du fait que j’ai joué aux États-Unis en division 1 (NCAA), que j’ai un bac en finance et mon droit. Je suis convaincue qu’un jour, nous serons nombreuses dans le milieu. Quand j’ai commencé en droit, c’était seulement des gars dans mes cours, alors que maintenant, il y a environ 75 % de femmes dans les facultés de droit à l’Université de Montréal et à McGill. »