LE SAUVEUR

Didier Drogba a marqué 12 buts en 13 matchs après son arrivée chez l’Impact de Montréal. Mais le géant mondial du soccer a fait beaucoup plus pour le bleu-blanc-noir. Son arrivée a braqué les projecteurs sur l’équipe, en plus d’insuffler une énergie nouvelle à ses coéquipiers. L’attaquant ivoirien est nommé Personnalité de l’année de La Presse dans la catégorie Sports.

Mamadou Cissé vient du nord de la Côte d’Ivoire. Hortense Hollou Grah, elle, est de l’Ouest. Dans ce pays d’Afrique qui a été coupé en deux par une violente crise politico-militaire, entre 2002 et 2007, il ne s’agit pas d’un simple détail.

Mais quand Mamadou et Hortense se réunissent pour assister à un match de l’Impact, ils oublient la politique. Comme des centaines d’autres Montréalais d’origine ivoirienne, devenus fervents partisans de l’Impact depuis l’arrivée en ville d’un certain Didier Drogba.

« Mamadou vient du Nord, je viens de l’Ouest, on se retrouve au centre. L’union fait la force. C’est ce qui fait notre force, l’arrivée de Drogba à Montréal », se réjouit Hortense.

Dès le premier match de l’attaquant de 37 ans au stade Saputo, le 22 août, une nouvelle couleur a envahi les gradins, à côté du bleu des partisans habituels de l’Impact : l’orange des Éléphants, l’équipe nationale de la Côte d’Ivoire.

« Il y a trois choses qui rassemblent les Ivoiriens : le soccer, les funérailles et les fêtes », dit Mamadou. On pourrait en ajouter une quatrième : Didier Drogba, l’enfant du pays. Et, en quelque sorte, son sauveur.

Tout a commencé lors de la Coupe du monde de 2006, quand Didier Drogba, alors capitaine des Éléphants, s’est agenouillé devant les caméras pour s’adresser à ses compatriotes. « Un pays qui a toutes ces richesses ne peut pas sombrer dans la guerre comme cela. S’il vous plaît, déposez tous les armes », avait-il supplié.

En Côte d’Ivoire, l’appel de Drogba a eu l’effet d’un électrochoc. « C’était hautement symbolique, se rappelle Mamadou. Je peux vous dire que tous les Ivoiriens, de tous les camps politiques, se sont mis ensemble » pour mettre fin aux violences.

Un an plus tard, un accord de paix a été conclu entre le président Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, le chef des rebelles qui contrôlaient le nord du pays. Didier Drogba, un enfant du Sud, avait alors insisté pour jouer un match de qualification à Bouaké, bastion des rebelles. Ça ne s’était pas vu depuis des décennies.

Le match s’est terminé 5-0 pour les Éléphants devant une foule extatique. Un mois plus tard, les premières armes ont été brûlées dans le même stade, rebaptisé Stade de la paix. Et Drogba est devenu une icône, le ciment de toute une nation.

« Il n’a jamais eu de parti pris, ce qui fait en sorte que tout le monde est pour lui », explique Hortense. À Montréal, où la crise politico-militaire a alimenté certaines tensions au sein de la diaspora, le footballeur a aussi su rallier la communauté derrière lui, ajoute Mamadou. « Au stade Saputo, je n’ai jamais senti le moindre conflit. »

Au contraire, assister aux exploits de Drogba emplit les Ivoiriens d’ici d’une immense fierté. De joie pure, aussi. « Le voir jouer, l’ambiance, ça me rappelle mon pays. J’oublie tout le reste. Je n’ai même plus envie de partir en vacances d’été, parce qu’il est là », dit Hortense, établie à Montréal depuis 18 ans.

« Didier Drogba, ce n’est pas seulement un joueur de foot. Il a fait tellement de choses dans sa vie, il a presque arrêté une guerre dans son pays ! »

— Nick De Santis, vice-président de l’Impact

C’est ce dernier qui a convaincu le propriétaire de l’équipe, Joey Saputo, d’acquérir Drogba, qui évoluait jusque-là au sein du prestigieux club Chelsea, à Londres.

Évidemment, l’acquisition du joueur étoile représentait un investissement majeur. Mais Nick De Santis s’est dit que si Drogba avait sauvé un pays, il pouvait aussi sauver l’Impact.

Quelques mois plus tôt, Joey Saputo avait commencé à se demander s’il y avait vraiment un intérêt envers le club montréalais, rappelle Nick De Santis. « Il était prêt à prendre ce risque, à dire : on acquiert Drogba pour avoir une meilleure idée de l’intérêt des gens. »

Le risque, calculé, a été payant. Très payant. « Dès qu’on a signé avec Drogba, la réaction a été énorme. Sur le terrain, dans les vestiaires, dans la ville, il a amené une autre énergie, une autre dimension à notre club. »

Depuis, la plupart des matchs ont été disputés à guichets fermés. Un engouement jamais vu dans l’histoire de l’équipe. Et le club montréalais a atteint la demi-finale de l’Association de l’Est de la MLS, en novembre dernier.

Mamadou Cissé n’avait jamais suivi un match de l’Impact avant l’arrivée de Drogba. Depuis, il n’en a manqué aucun. Il a même créé un fan-club. Chaque jour de match, il a réservé 100 billets, qu’il a redistribués à ses membres. « Et j’en ai manqué chaque fois ! »

Joey Saputo n’aurait sans doute pas pu rêver mieux.

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