La crise de l’autocar n’épargne pas le Québec

QUÉBEC — Pendant des années, ils ont usé leurs pneus sur les routes de l’Ouest, gravi les Rocheuses, arpenté les Prairies avec le célèbre lévrier affiché sur le châssis.

Mais lundi, Greyhound a annoncé la fin, dès le mois d’octobre, d’à peu près toutes ses liaisons en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba et de certaines liaisons en Ontario.

La nouvelle a eu l’effet d’une bombe dans plusieurs petites communautés où des habitants sans voiture vont se retrouver isolés. Elle rappelle aussi que l’industrie du transport interurbain en région est dans une position fragile même au Québec, plombée par la popularité de l’automobile et des sites de covoiturage.

« C’est désolant de voir Greyhound, qui est un symbole dans notre industrie, dont on voit le logo dans plein de films, connaître ces difficultés. »

— Hugo Gilbert, propriétaire du groupe Intercar

Greyhound, qui faisait la liaison entre plusieurs petites communautés canadiennes depuis 1929, a justifié sa décision par une baisse d’achalandage de 41 % depuis 2010. L’entreprise montre du doigt plusieurs raisons : le train « subventionné », les sites de covoiturage, les vols à rabais et l’augmentation de l’usage de l’automobile.

Cette réalité est la même au Québec où l’industrie connaît une crise depuis 10 ans. Des entreprises comme Intercar et Orléans Express exploitent maintenant plusieurs lignes régionales grâce à des aides financières du gouvernement du Québec et des municipalités régionales de comté (MRC).

« Sans le programme mis en place par le ministère des Transports, je peux vous dire qu’on aurait fait un Greyhound de nous-mêmes », lâche sans détour Hugo Gilbert.

Intercar fait partie des entreprises qui dominent le paysage du transport interurbain au Québec. Elle se concentre dans les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord.

« On aurait fait comme eux. On se serait recentrés sur les liaisons rentables, c’est-à-dire Québec-Chicoutimi et Québec–Baie-Comeau. On n’a pas l’achalandage suffisant sur les autres liaisons pour qu’elles soient rentables », dit M. Gilbert.

L’entreprise Keolis Canada, qui détient l’enseigne Orléans Express, tient le même discours. En 2014, l’entreprise qui dessert le populaire corridor Montréal-Québec a dû mettre la hache dans plusieurs lignes régionales, entre Trois-Rivières et La Tuque, Thetford Mines et Victoriaville et en Gaspésie.

« On peut comprendre la situation de Greyhound. Nous, en 2014, on a restructuré notre réseau à cause d’une baisse d’achalandage importante de 5 % par année qui durait depuis plusieurs années, explique la vice-présidente de Keolis Canada, Marie-Hélène Cloutier. C’était nécessaire pour la survie de l’entreprise. »

La voiture reine

Selon Intercar et Keolis Canada, l’industrie a notamment été bouleversée par la naissance du covoiturage organisé sur internet et par la part croissante de Québécois qui possèdent une automobile.

On comptait en 1990 au Québec 0,41 véhicule de promenade par habitant, tous âges confondus. Ce chiffre avait bondi à 0,56 véhicule par habitant en 2016.

« C’est encore pire que ça. Ça, ce sont les chiffres du Québec en entier. Si vous enlevez Montréal, où la motorisation progresse beaucoup moins vite qu’ailleurs, le portrait est encore plus saisissant », explique François Pepin, président de Trajectoire Québec, anciennement Transport 2000.

« Sur les 20 dernières années, la motorisation a peut-être progressé de 14-15 % à Montréal, tandis qu’en région, on parle de 50 %. Donc oui, en région, la motorisation augmente de manière exponentielle. »

— François Pepin

L’homme qui fait la promotion du transport collectif estime que le départ de Greyhound de l’Ouest canadien « enlève une option à des populations vulnérables, que ce soient les jeunes, les personnes qui ont besoin de services dans les grands centres, les gens en recherche d’emploi, les travailleurs à faible revenu… »

« Mais le modèle d’affaires actuel ne fonctionne plus. Le financement des grandes lignes par les petites lignes, ça ne fonctionne pas », concède-t-il néanmoins.

Des aides pour sauver la mise

Au Québec, le gouvernement et les municipalités ont décidé de mettre la main dans leur poche pour subventionner les lignes régionales. En janvier dernier par exemple, Intercar a annoncé l’ajout d’un deuxième trajet quotidien entre Québec et Baie-Comeau : les MRC locales ont injecté 30 000 $, et le gouvernement a triplé la mise, investissant 90 000 $.

Un scénario similaire s’est produit en Gaspésie avec Orléans Express et dans d’autres régions pour d’autres entreprises. « Je pense que le Québec peut servir de modèle aux autres provinces. Si Greyhound n’a pas eu de soutien comme le Québec en donne, alors c’est sûr que ces liaisons-là sont abandonnées et ce n’est pas une surprise pour moi », dit Hugo Gilbert, d’Intercar.

En Gaspésie, les élus ont décidé d’injecter de l’argent avec Québec pour sauver des liaisons d’Orléans Express jugées « essentielles », explique le maire de Gaspé, Daniel Côté.

« Il n’y a plus beaucoup de modalités de transport : le transport aérien est extrêmement cher, il n’y a plus de transport ferroviaire de passagers en Gaspésie, on avait une entreprise de taxi longue distance dans la région qui a fait faillite au printemps… Il ne nous reste plus grand-chose pour les transports interurbains », constate l’élu.

Mais malgré les sommes injectées, le service interurbain n’est plus ce qu’il était il y a 10 ans encore. « Avant, presque tous les villages étaient desservis, se souvient M. Côté. Maintenant, il n’y a presque plus d’arrêts, seulement dans les gros villages. Bref, on n’avance pas en termes de transport. »

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