Chronique Le cabinet Trudeau

L’audace de la parité

Il avait promis la parité. Il a tenu promesse. Avec 15 hommes et 15 femmes, le cabinet ministériel du nouveau premier ministre Justin Trudeau devient le premier cabinet fédéral paritaire de l’histoire du pays. Quand on sait que les femmes au Canada ont obtenu le droit de se présenter en politique il y a près de 100 ans déjà, on se dit que ce n’est vraiment pas trop tôt.

Pourquoi la parité était-elle si importante pour vous ? a-t-on demandé à Justin Trudeau lors du point de presse qui a suivi la prestation de serment. « Parce que nous sommes en 2015 », a-t-il répondu sur le ton des grandes évidences.

Le bien-fondé de la parité relève en effet de l’évidence en 2015. Les femmes constituent la moitié de la population. Dans une société qui croit à l’égalité hommes-femmes, il est normal qu’elles occupent la moitié des sièges au Conseil des ministres. C’est une question de démocratie.

Ça va de soi, en 2015. Et pourtant, avant même que Justin Trudeau ne nomme ses ministres, on entendait déjà grogner. Et si la parité faisait passer le sexe avant les compétences ? Ne faudrait-il pas nommer les gens au mérite seulement ? N’est-ce pas du favoritisme ?

Ce genre de discours montre que les mythes au sujet de la parité ont la tête dure. Contrairement à ce que certains laissent entendre, la parité ne consiste pas à donner des postes de ministre à des candidates incompétentes.

Aux dernières nouvelles, rien n’indique que les incompétentes en politique ou ailleurs soient plus nombreuses que les incompétents. Alors, pourquoi présume-t-on d’emblée de l’incompétence des femmes ?

En quoi consiste donc la parité ? Il s’agit de s’assurer au sein d’une instance décisionnelle que les hommes et les femmes soient représentés correctement. On atteint une « zone de parité » quand femmes et hommes sont présents dans une proportion de plus ou moins 40 à 60 %.

Pour y arriver, il faut d’abord reconnaître que nous avons un problème de discrimination systémique en politique et prendre les grands moyens pour s’y attaquer. L’histoire et les traditions dans les cercles du pouvoir font en sorte que notre système donne certains avantages aux hommes (salaires plus élevés, pouvoir de décision, etc.). Résultat : traditionnellement, les femmes ont été tenues à l’écart de ces cercles.

Comme le dit si bien Pascale Navarro, dans son éclairant essai sur la parité (*), c’est comme si, par défaut, les hommes bénéficiaient déjà de quotas en politique. Car contrairement à ce que l’on aime croire, la méritocratie n’est pas le seul critère de recrutement. Les candidats sont le plus souvent recrutés selon des critères traditionnels de réseautage qui laissent trop souvent de côté les femmes. Hors du « boys’ club », très peu de salut.

« Cela ne veut pas dire que les hommes le souhaitent ni que les femmes s’en satisfont », rappelle Pascale Navarro. Il peut en être autrement si on veut bien prendre les moyens de transformer un système politique qui est en retard par rapport à la population. « L’électorat n’est pas sexiste », souligne Esther Lapointe, du Groupe Femmes, Politique et Démocratie. Si tous les partis politiques faisaient l’effort de présenter autant de femmes que d’hommes comme candidats, les problèmes de sous-représentation seraient réglés. D’où l’importance d’inscrire la parité dans une loi plutôt que de se fier au bon vouloir du gouvernement en place. Une telle loi obligerait les partis à avoir, dès le départ, des listes électorales paritaires.

Aux dernières élections, seuls le Nouveau Parti démocratique et le Parti vert ont présenté plus de 40 % de candidatures féminines. Le Parti libéral n’en avait que 31 %, le Bloc québécois, 28 % et le Parti conservateur, 19 %.

Si le parti de Justin Trudeau avait fait l’effort de viser une meilleure représentation hommes-femmes en amont, son engagement pour la parité aurait été beaucoup plus convaincant.

Pourquoi est-ce important ? Parce que sans la voix de la moitié de la population, notre système souffre d’un sérieux déficit démocratique. Dans une assemblée, un groupe n’a de l’influence que si sa représentation est d’au moins 40 %, nous disent plusieurs études.

Avec la nomination d’un cabinet paritaire, on peut espérer que la voix de la moitié de la population soit mieux entendue qu’elle ne l’a jamais été. C’est un choix progressiste qui mérite d’être salué, d’autant plus que Justin Trudeau ne s’est pas contenté d’une opération cosmétique. Des postes importants ont été confiés à des femmes. Des choix audacieux ont été faits. Une avocate autochtone de Vancouver comme ministre de la Justice. Une organisatrice communautaire de 30 ans, réfugiée de l’Afghanistan, comme ministre des Institutions démocratiques. Un homme, économiste, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social. Ça aussi, c’est un intéressant symbole de parité.

Cela dit, le choix audacieux de Justin Trudeau ne peut être une fin en soi. La parité au Conseil des ministres ne saurait compenser la sous-représentation des femmes à la Chambre des communes. En 2015, elles n’y occupent encore que 26 % des sièges, ce qui place le Canada au 46e rang du palmarès mondial de l’égalité hommes-femmes dans les Parlements. Au rythme où vont les choses, si on ne fait qu’attendre l’égalité, il faudra encore 100 ans. Suis-je la seule à trouver que c’est trop long ?

* Femmes et pouvoir : les changements nécessaires. Leméac, 2015

33 %

Proportion de femmes au Conseil des ministres du gouvernement de Stephen Harper

50 %

Proportion de femmes au Conseil des ministres du gouvernement de Justin Trudeau

(Source : Groupe Femmes, Politique et Démocratie)

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.