États-Unis

Un pionnier entaché par l’Irak

Colin Powell meurt à 84 ans de complications liées à la COVID-19

New York — De son vivant, il a incarné à la fois le rêve américain et un certain cauchemar, celui du mensonge d’État.

Né à Harlem de parents originaires de la Jamaïque et élevé dans le South Bronx, il a gravi les échelons militaires et politiques au cours d’une carrière qui lui aura permis d’orienter la stratégie et la diplomatie des États-Unis sous quatre présidents, dont trois républicains.

Au fil de ses décennies de service, il a abattu les barrières raciales, devenant le premier Noir à occuper les postes de conseiller de la Maison-Blanche à la sécurité nationale sous Ronald Reagan, de chef d’état-major de l’armée américaine sous George H. W. Bush et de secrétaire d’État sous George W. Bush.

Mais rendu au sommet de cette brillante carrière, ce vétéran de la guerre du Viêtnam a participé à l’une des plus grandes supercheries de l’histoire du gouvernement américain, sacrifiant sa crédibilité pour justifier l’invasion de l’Irak lors d’un discours funeste devant le Conseil de sécurité des Nations unies.

Malgré cette tache indélébile, la classe politique américaine a été unanime dans ses éloges après l’annonce faite par sa famille sur Facebook lundi matin : Colin Luther Powell, âgé de 84 ans, est mort de complications de la COVID-19 à l’hôpital militaire Walter-Reed. Il était doublement vacciné, mais son système immunitaire était compromis en raison d’un traitement pour le myélome multiple, cancer qui atteint la moelle osseuse.

« Il y a quelques années, lorsqu’on lui a demandé de réfléchir à sa propre vie, le général Powell s’est décrit comme “avant tout une personne capable de résoudre les problèmes” », s’est souvenu Barack Obama dans une déclaration. « C’était vrai, bien sûr. Mais il était bien plus que cela. Le général Powell était un soldat exemplaire et un patriote exemplaire. »

George W. Bush a renchéri : « Il était tellement apprécié des présidents qu’il a reçu deux fois la médaille présidentielle de la Liberté. Il était très respecté dans le pays et à l’étranger. »

La doctrine Powell

Sa renommée nationale et internationale remonte à l’opération « Tempête du désert », dont il est l’architecte.

Lors d’un point de presse, il a frappé l’imagination en décrivant de façon lapidaire la stratégie des États-Unis et de ses alliés pour anéantir l’armée irakienne de Saddam Hussein qui a envahi le Koweït.

« Notre stratégie est très simple. Nous allons la couper [de ses arrières], puis nous allons la tuer. »

— Colin Powell, le 23 janvier 1991, une semaine après le déclenchement de l’opération militaire

Un mois et quelques jours plus tard, l’armée de Saddam était anéantie. C’est l’application parfaite de ce qui sera appelé la « doctrine Powell », selon laquelle les États-Unis ne doivent engager des forces dans un conflit que s’ils ont des objectifs clairs et réalisables, avec le soutien de la population, une puissance de feu suffisante et une stratégie pour mettre fin à la guerre.

Et c’était, jusque-là, le plus grand triomphe public de Colin Powell. Mais le général quatre étoiles comptait déjà à son actif des réussites moins connues dont il pouvait s’enorgueillir. À titre de conseiller de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale, il a notamment aidé Ronald Reagan à négocier des traités nucléaires et à engager une ère de coopération avec le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev.

Pas mal pour un enfant du Bronx qui s’est lui-même décrit comme un élève médiocre à l’école secondaire. Inscrit en biologie à l’université publique de la ville de New York, il a trouvé sa voie en s’enrôlant sur le campus dans le programme de formation des officiers de réserve, dont il sortira avec le grade de colonel.

En 1958, il est entré dans l’armée avec le grade de second lieutenant. C’était le début d’une carrière militaire qui prendra fin 35 ans plus tard sous Bill Clinton, qu’il a servi dans le même poste qu’il occupait sous George Bush père.

En 1995, à la sortie de son autobiographie, intitulée My American Journey, il était l’une des personnalités les plus populaires aux États-Unis. Et les supputations allaient bon train concernant sa candidature possible à la présidence sous la bannière du Parti républicain.

Après réflexion, il a décidé de s’abstenir, avouant ne pas avoir la passion et l’engagement nécessaires pour réussir en politique.

« Une telle vie requiert un appel que je n’entends pas encore », a-t-il dit lors d’une conférence de presse courue le 8 novembre 1995.

« C’était douloureux »

L’image est devenue emblématique. Assis à la table du Conseil de sécurité des Nations unies, Colin Powell brandit une fiole contenant une substance blanche. « Moins d’une cuillère à café de bacille du charbon en poudre, c’est très peu, à peu près ceci », a-t-il dit après avoir déclaré que l’Irak avait admis en 1995 s’être doté d’armes biologiques en quantités « énormes ».

« Il ne peut faire aucun doute que Saddam Hussein a des armes biologiques et qu’il a la capacité d’en produire rapidement beaucoup plus, a-t-il ajouté. Et il a la capacité d’épandre ces poisons et maladies mortels de façon à provoquer des morts et des destructions massives. Si les armes biologiques semblent trop horribles à envisager, les armes chimiques sont tout aussi glaçantes. »

Aucune des « preuves » avancées par Colin Powell le 5 février 2003 ne sera confirmée. Après son départ de l’administration Bush, en 2005, il dira avoir été trompé par les renseignements de la CIA. Il reconnaîtra aussi que le dossier sur les armes de destruction massive en Irak constituera une « tache » sur son bilan. « Je suis celui qui l’a présenté au monde au nom des États-Unis, et [il] fera toujours partie de mon dossier », dira-t-il. « C’était douloureux. C’est douloureux maintenant. »

Plus de 4000 Américains et des centaines de milliers de civils irakiens sont morts dans le conflit déclenché par l’invasion menée par les États-Unis sur la base de mensonges.

Pour autant, Colin Powell a continué à exercer une certaine influence auprès de ses compatriotes. Il l’a démontré en 2008 en appuyant la candidature de Barack Obama à la présidence, convainquant des électeurs indépendants et républicains de l’imiter.

Après avoir voté pour Hillary Clinton en 2016 et Joe Biden en 2020, Colin Powell a rompu pour de bon avec le Parti républicain dans la foulée de l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump, le 6 janvier dernier.

« Nous avons besoin de personnes qui disent la vérité, qui se souviennent qu’elles sont ici pour nos concitoyens. Elles sont ici pour notre pays », a-t-il déclaré en dénonçant le refus des responsables républicains de tenir tête à leur président.

La phrase aurait-elle pu s’appliquer à Colin Powell à une autre époque ?

Colin Powell en sept dates

1937

Colin Powell, deuxième et dernier enfant de Luther Powell et Maud Rial, voit le jour à Harlem. Son père est manutentionnaire, sa mère est couturière.

1962

Premier de deux séjours de Colin Powell au Viêtnam. Il rentre aux États-Unis plus tôt que prévu en raison d’une blessure subie durant une patrouille dans une région contrôlée par le Vietcong. Il retournera au Viêtnam en 1968 en tant que major. Il sera décoré après avoir survécu à l’écrasement d’un hélicoptère le transportant.

1971

Obtention d’une maîtrise en administration de l’Université Georgetown à Washington. Il poursuivra ses études en 1975 et 1976 à l’École nationale de guerre à Washington.

1983

Embauche à titre de conseiller militaire principal auprès du secrétaire à la Défense Caspar Weinberger. Il conservera ce poste jusqu’en 1986, année de sa nomination au poste de commandant du Ve Corps de l’armée basé à Francfort, en Allemagne.

1989

Nomination à titre de général quatre étoiles par George H. W. Bush, après avoir servi comme conseiller de la Maison-Blanche à la sécurité nationale sous Ronald Reagan et avant d’être choisi pour le poste de chef d’état-major de l’armée américaine.

1993

Annonce de la fin de la carrière militaire de Colin Powell et début des supputations concernant une éventuelle candidature à la présidence des États-Unis. Supputations auxquelles il mettra fin après le lancement de son autobiographie, My American Journey.

2001

Nomination au poste de secrétaire d’État américain par George W. Bush. Il devient le premier Afro-Américain à la tête de la diplomatie américaine. Il occupera ce poste jusqu’en 2005. Il se consacrera par la suite à diverses causes philanthropiques.

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