Conférence au Centre Phi 

La mémoire numérique : nouvel âge des ténèbres ?

Les technologies numériques ont permis la reproduction et la large diffusion de millions de pages d’archives, de livres et de photos vieillissantes. Mais elles ont aussi mené à la création de nouvelles œuvres uniquement numériques comme des documentaires interactifs et des jeux de toutes sortes. Or, surprise, la préservation de ces documents est menacée en raison du renouvellement incessant des moteurs, plateformes et lecteurs multimédias.

Fiction ? Pas du tout ! Demain, des dizaines d’experts du monde entier seront réunis à Montréal afin de débattre de ces enjeux au cours d’une conférence intitulée Mémoire numérique, organisée par le Centre Phi et le MIT (Massachusetts Institute of Technology) Open Documentary Lab.

La Presse+ a discuté des enjeux actuels avec William Uricchio, un des organisateurs de la rencontre et chercheur principal au MIT Open Documentary Lab.

La perte d’œuvres uniquement numériques est-elle une menace ou une réalité ?

Malheureusement, c’est déjà une réalité. Reportons-nous au début de l’ère du cinéma et de l’ère de la télévision. Est-ce que tout a été conservé ? Non. Nous avons donc perdu des documents précieux qui en disaient long sur la naissance de ces technologies. Or, nous sommes arrivés à l’ère numérique où l’on croit possible de faire des trillions de copies de nos documents. Mais le problème est que les plateformes de lecture changent constamment ! C’est ironique à dire, mais nous entrons peut-être dans une nouvelle ère des ténèbres !

Qu’est-ce qui explique cette situation ?

C’est peut-être le défaut que nous avons de vouloir savoir à tout prix ce qui s’en vient. Les plateformes de lecture changent constamment. Les standards aussi. On passe beaucoup de temps à concevoir et à prévoir ce qui nous attend, mais on oublie de conserver ce que nous avons déjà. Il me semble que nous devrions apprendre de nos erreurs antérieures.

En quoi cette question concerne-t-elle la vie quotidienne de monsieur et madame Tout-le-Monde ?

C’est comme si vous me demandiez quelle est l’importance de l’histoire mondiale dans nos vies. Je suis historien de formation et n’importe quel historien vous dira qu’il est important, à l’occasion, de voir d’où nous venons et ce que nous avons réalisé, pour mieux comprendre le présent. De plus, il est fascinant de connaître la façon dont une nouvelle technologie est née et a évolué. Encore faut-il en conserver les traces.

Pouvez-vous donner un exemple de document numérique menacé ?

Je pense au documentaire interactif Hollow, qui raconte l’histoire d’un village de la Virginie-Occidentale menacé de disparaître en raison de l’industrie déclinante des mines de charbon. Cette œuvre vit en ligne, il y a une interaction, grâce à une infolettre, entre les gens de là-bas et le reste de la planète. Or, des documents comme ceux-là utilisent plusieurs applications (Google Map, Flash, etc.). Parfois, vous changez une plateforme ou un système et l’ensemble du document risque de devenir obsolète. Déjà, des documentaires web tels Bear 71 [de l’ONF] ou The Wilderness Downtown ne fonctionnent pas bien.

Quels sont les médias ou les organismes les plus à risque ?

Plus ils sont complexes, plus ils sont interdépendants, plus ils sont à risques. Prenez par exemple Pong [un des premiers jeux vidéo d’arcade]. Grâce aux émulateurs, on peut mettre ce jeu à jour. Mais si un module d’extension [plug-in] ne fonctionne pas bien, tout peut dérailler.

Qui doit prendre les commandes pour éviter ces pertes ?

C’est une question clé. Bien sûr, ce serait bien que les gouvernements s’y investissent. Aux États-Unis, la bibliothèque du Congrès fait de gros efforts. Chez vous, l’Office national du film est avant-gardiste dans la conservation. Si j’achète aujourd’hui une télé ou un lave-vaisselle, il y a une petite partie du prix payé qui ira dans un fonds pour la préservation de l’environnement. Pourquoi pas alors une taxe pour la préservation de la mémoire numérique ?

Mémoire numérique, au Centre Phi, demain

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