Astrologie et synergologie, même combat

Mai 2007. Dans la salle bondée d’un hôtel de la Rive-Sud de Montréal, Vincent Denault assiste à une conférence sur la synergologie avec des avocats. Alors étudiant en droit, il est captivé par cette méthode d’interprétation de la gestuelle. Il s’inscrit à la formation pour devenir synergologue, ce qui, espère-t-il, le guidera dans sa future carrière de juriste. 

Deux cents heures de formation et 6000 $ plus tard, il réalise que les concepts de la synergologie ne tiennent pas la route. Celui qui est devenu avocat entre-temps change donc de cap. Il emprunte le chemin de la science et entame un mémoire de maîtrise sur la communication non verbale dans les procès.

Vincent Denault fait écho aux verdicts de plusieurs scientifiques consultés par La Presse : la synergologie est une pseudoscience. Et selon lui, son utilisation en milieu professionnel est dangereuse.

Le spécialiste du non-verbal ne voit pas d’inconvénient à ce que les gens utilisent des notions de synergologie dans leur vie personnelle ou pour « s’amuser à regarder des politiciens qui parlent à la télévision ». Le problème ? Lorsque cette pseudoscience joue dans la cour des professionnels. Dans ce contexte, les fausses croyances mixées aux stéréotypes forment un « cocktail dangereux », pense-t-il.

Alors que des avocats, des recruteurs et des policiers suivent des cours en synergologie, l’utilisation de cette pseudoscience peut avoir des conséquences importantes. « Quelqu’un pourrait croire que le détournement du regard est un indicateur de mensonge, mais c’est une croyance fausse. Elle pourrait conclure que l’autre personne ment alors qu’elle dit la vérité, estime-t-il. Dans un contexte d’interrogatoire, par exemple, c’est dangereux. »

QUIPROQUO SUR LE NON-VERBAL

Lorsque Vincent Denault raconte qu’il s’intéresse au non-verbal, les gens font souvent le lien avec la synergologie. « Pourtant, ce ne sont pas des synonymes », assure-t-il. La synergologie est aux sciences de la communication ce que l’astrologie est à l’astronomie, illustre le juriste de 31 ans. « Elles ont des objets similaires, soit le non-verbal, d’une part, et les astres, de l’autre, mais les connaissances produites par la synergologie et l’astrologie ne sont pas scientifiques. »

C’est pourquoi il offre depuis 2013 des formations dans lesquelles il déboulonne les mythes sur la question. Si le non-verbal s’appuie sur des études scientifiques, le marketing de la synergologie est quant à lui basé sur sa popularité dans les médias, juge M. Denault. La place qu’occupent les synergologues dans les pages d’un journal ou sur les plateaux de télévision leur permet d’asseoir leur crédibilité.

C’est cette notoriété publique qui leur permet d’offrir des formations dans différentes organisations, comme au Service de police de la Ville de Montréal, au ministère de la Justice ou aux Forces armées canadiennes. Une fois le pied dans ces organisations, il devient plus facile de gagner en crédibilité. « C’est une roue qui tourne », affirme l’avocat.

Cette confusion entre les sciences du non-verbal et la synergologie est attribuable au manque de vulgarisation. Au Québec, contrairement aux États-Unis, peu de chercheurs s’intéressent à la science du non-verbal, note Vincent Denault. « On se retrouve donc avec un vide qui laisse le champ libre à des croyances fausses, comme la synergologie. » Il blâme également les gens qui choisissent d’offrir des formations sur cette pseudo-science. « Et les partisans de la synergologie qui véhiculent les concepts dans des milieux professionnels où ça peut avoir de graves conséquences. »

Vincent Denault aurait aimé être initié au non-verbal par l’entremise de la recherche scientifique, puisqu’il considère que son parcours dans le milieu de la synergologie l’a mené à un cul-de-sac. « J’aurais perdu moins de temps et d’argent. » Aujourd’hui, il souhaite ajouter un doctorat à son parcours et se consacre à la mise sur pied d’un centre d’études qui donnera l’heure juste – et nuancée – sur l’état des connaissances dans les sciences du non-verbal.

En attendant, le jeune chercheur est catégorique : « Se fier à la synergologie relève davantage d’un acte de confiance aveugle que d’un jugement éclairé. »

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