La caution des organisations

Une institution publique peut-elle cautionner l’enseignement de choses qui ne sont pas vraies, sous prétexte que c’est populaire ?

Prenez l’exemple du Barreau du Québec, qui offre aux avocats deux cours en ligne de synergologie donnés par Christine Gagnon (une des synergologues les plus visibles au Québec), sans parler de formations données lors de congrès.

Je rappelle que des scientifiques consultés au Québec, en France et aux États-Unis pour cette enquête ont tous dit la même chose : la synergologie est une pseudoscience.

J’ai donc demandé au Barreau pourquoi il cautionnait des enseignements qui sont, dans les faits, faux. Le Barreau m’a répondu par courriel.

Dans ce courriel, on m’a assuré que la formation était pertinente.

On m’a assuré que la formation n’avait fait l’objet d’aucune plainte écrite, au contraire : Langage corporel I (111 $ + taxes) et Langage corporel II (138 $ + taxes), respectivement suivis par 1929 et 1083 avocats, ont ravi ceux qui ont pris la peine de les évaluer.

On m’a aussi dit que « l’aptitude à savoir décoder certains aspects du langage non verbal […] représente un atout dans le travail d’un avocat ».

OK, mais que vaut un « atout » qui n’a aucune base scientifique éprouvée, même si Mme Gagnon affirme dans sa formation que la synergologie « s’appuie sur des bases scientifiques rigoureuses » ?

J’aurais aimé poser cette question à quelqu’un du Barreau. Sauf que le Barreau a refusé de m’accorder une entrevue.

Je ne sais pas combien la synergologue Christine Gagnon a touché des 363 573 $ (avant taxes) générés par la vente de ces formations en ligne sur le site du Barreau. Mais la valeur est bien au-delà du T4 de Mme Gagnon.

La formation offerte par le Barreau a une valeur autrement plus importante, une valeur symbolique pour la synergologie.

Le Barreau devient ainsi un sésame présenté partout par les synergologues – parmi d’autres sésames, comme les entrevues médiatiques – pour justifier la pertinence de la synergologie. C’est comme le vieux slogan des saucisses Hygrade : plus de gens en mangent car elles sont plus fraîches, elles sont plus fraîches car plus de gens en mangent…

Prenez l’Université Laval, chargée par le gouvernement de créer un programme de formation pour ses enquêteurs civils. Un programme de 14 jours, créé en réponse à des fraudes passées, qui aborde tant les droits des personnes ciblées par des enquêtes administratives que les façons de détecter de faux documents.

Parmi ces 14 journées de formation, les étudiants en passent une avec le policier Olivier Dutel, également synergologue. Une sur 14.

À la décharge de l’Université Laval, c’est « le client », l’État, qui a demandé que la synergologie soit incluse dans le cursus du Programme civil de formation des enquêteurs du gouvernement du Québec. Mais quand même : une université enseigne un truc qui n’est pas scientifique. Bonjour le paradoxe.

Réponse de Charles-Emmanuel Côté, vice-doyen de la faculté de droit responsable de ce Programme civil de formation des enquêteurs du gouvernement du Québec, quand je lui ai expliqué que la synergologie n’a pas de rigueur scientifique : « On n’a pas de prétention pour évaluer les mérites scientifiques de la synergologie, m’a expliqué Me Côté. Mais la synergologie est en formation continue au Barreau… »

Vous voyez comment ça marche ?

Le Barreau offre à ses avocats deux cours de synergologie. D’autres institutions regardent ça, se disent que le Barreau, c’est sérieux, donc que la synergologie doit l’être aussi. Elle est aussi à l’Université Laval...

Disons que vous songiez à embaucher un synergologue pour former vos employés. Vous fouillez un peu, et vous découvrez qu’en plus du Barreau et de l’Université Laval, la police de Montréal et de Québec, les juges (j’insiste : LES JUGES !) de la Cour supérieure sections Abitibi et Québec, la CSST, les procureurs de la Cour municipale de Montréal, les étudiants au MBA de l’Université de Sherbrooke, et j’en passe, se sont tous payé des formations en synergologie, ces dernières années…

Des formations qui disent notamment (je cite au hasard une certitude synergologique) que quelqu’un qui change de position sur une chaise vient de changer d’émotion, ce qui est rigoureusement faux, selon l’éthologue Pierrich Plusquellec, chercheur au Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal…

Bref, vous regardez la liste de clients des synergologues et vous en voulez un, vous aussi, pour former vos employés. Et si La Presse vous appelle pour vous demander si vous savez que la science rit de la synergologie, vous allez répondre : « N’importe quoi ! Sont au Barreau ! À la police, aussi ! »

Sauf que personne ne se demande ce qu’il y a dans la saucisse synergologique. Tout le monde se fie à l’emballage.

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