Opinion Jean-François Chicoine

Révolution dans le monde de la morve

Pour dégager le nez des enfants congestionnés, je m’accuse d’avoir recommandé des mouches-bébés. Cette époque est cependant révolue. Il existe désormais des techniques plus branchées que l’aspiration nasale pour soulager les embarras respiratoires des enrhumés. Révolution dans le monde de la morve.

En médecine, il n’y a pas de petits sujets. La congestion nasale n’échappe pas à l’adage, ni les virus émérites qui la déclenchent : rhinovirus, virus respiratoire syncytial, puis des centaines d’autres. Quand arrive une thérapeutique validée qui allège les souffrances, permet des économies et respecte l’adéquation avec la logique naturelle, on s’approche de surcroît du grandiose.

Une nouvelle manière de mouchage, à faire maison, comme une soupe, c’est grand, non ?

Merci à mes collègues oto-rhinos Marie-Claude Quintal et Annie Lapointe de m’avoir initié à la chose, gratuite, équitable, salvatrice et d’une efficacité redoutable, contrairement à des sirops olympiens, comme le Cold-FX, bons à pas grand-chose…

… sinon à faire gagner des médailles.

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Du mucus huile nos narines. Il est normalement fabriqué pour piéger les poussières, les microbes et tout un tas de saletés prêtes à attaquer la gorge, le larynx et les poumons.

« Tu avales environ un litre de morve par jour. Sûrement plus que la quantité de lait que tu bois par jour », peut-on lire dans une capsule réalisée dans le cadre d’une expo scientifique sur le corps humain, ses pipis, ses cacas et ses prouts. « Les cils vibratiles balaient la morve sale vers ta gorge et hop, tu l’avales ! »

Au moins trois fournées à l’heure sont produites par nos muqueuses, mais qui sont vite multipliées en cas d’infection virale, quand les vaisseaux sanguins du nez ouvrent leurs écoutilles pour faciliter la voie aux défenses du corps. Admettant que la morve soit une nécessité, sans retenue dans les affaires, il lui arrive ainsi de faire trop que le nécessaire.

« La crève », disent les Français pour parler du rhume, rappelant ainsi qu’un adulte en mourrait si c’était grave.

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Contre la congestion, se moucher. Quand on a la décence de ne pas en faire une affaire d’État. Quand on a l’âge aussi, sachant que c’est galère avant 2-4 ans.

Il y a 30 ans, j’animais Comment ça va ? sur les ondes de Radio-Canada. Parlant de la fonctionnalité de la toux, on en avait profité pour faire le point sur la médication contre le rhume, en particulier sur l’inutilité des sirops antitussifs, l’illogisme des expectorants et la dangerosité potentielle des décongestionnants administrés par la bouche chez les jeunes enfants. Drogués par la chose, les pauvres petits frétillent comme des patates frites dans de l’huile bouillante.

Depuis le temps, la nuisibilité des sirops contre la toux chez les enfants s’est précisée, notamment les « réconfortants », vendus sous forme d’associations trompeuses en « tout-en-un ». Des lois sont venues encadrer la vente de médicaments décongestifs. Des papiers sur l’échinacée, les suppléments vitaminiques, évidemment sur l’homéopathie, sont venus reconfirmer que le ridicule ne tue pas le rhume, sans plus. Même les effets prétendus salvateurs de l’humidité ont fini par tomber en disgrâce relative. Au mieux, des études cliniques sont arrivées à comparer l’intérêt du dextrometorphan des sirops DM à celui d’une cuillérée de miel – sur la question, lisez tout le long Dr Alain Vadeboncoeur dans son excellent Désordonnance.

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Face au désert thérapeutique, n’est finalement restée, ou presque, que l’irrigation nasale au sérum physiologique.

C’est alors que l’industrie s’est mise à rivaliser d’imagination avec une gamme d’aspirateurs à morve plus ou moins frénétiques : les manuels, les électriques à musique, les poires, les soufflets, certains reliés à une tubulure permettant au parent d’exercer une pression négative… ou à raccorder à une force motrice. Vu l’autre jour un 2,5 kg que ses parents branchaient toutes les heures sur une balayeuse !

La nouvelle manière de s’y prendre propose plutôt des seringues remplies d’une solution saline, 3 ml par narine dès la naissance, 5 ml à 6 mois, puis 5 à 10 ml au-delà de 8 mois, ou, pour les plus de 3 ans, des bouteilles en irrigation à administrer directement dans le nez, autant de fois que nécessaire. D’une narine à l’autre, le liquide s’évacue tandis qu’on éponge le déluge. 

L’efficacité de la technique est redoutable, elle évite le farfouinage et la contamination secondaire par les sécrétions infectées.

Le mélange à utiliser se fabrique à partir de sachets vendus en paquets en pharmacie ou se prépare à la maison. Je vous donne la recette : 

On fait bouillir de l’eau du robinet à gros bouillon, incontournable le gros bouillon, des otites entretenues par des organismes nommés mycobactéries ayant été rapportées. À 750 ml d’eau, on ajoute ensuite 10 ml (2 cuillères à thé) de sel et 2,5 ml (1/2 cuillère à thé) de bicarbonate de soude (oui, de la petite vache). La mélange se conserve sept jours au frigo dans des pots Mason. On se réchauffe température pièce la quantité nécessaire selon les besoins.

À mourir de rire sur YouTube, une puéricultrice en manque de poigne rate sa démonstration devant un bébé qui se tortille, puis s’enfuit. Il est parfois essentiel de momifier l’enfant dans une grande serviette, de le mettre sur son côté et de tenir sa tête avec fermeté avant de procéder. On instille dans la narine du haut, puis on vire la « victime » de bord. Pour les formalités, voyez les docteurs Quintal et Roy dans un clip éclairant réalisé à Sainte-Justine.

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Il y a tout lieu de se réjouir de la cote ascendante des vidéos de morve sur le web. Des temps existent où il y a urgence d’intervenir de la meilleure façon, un nez bouché chez un enfant de moins de 6-12 mois qui ne sait pas respirer par la bouche étant l’équivalent d’une plongée sous-marine sans bonbonne.

Pour rappel également, le Québec, rien à voir en Ontario, est l’un des champions mondiaux des otites à répétition chez les nourrissons, d’ailleurs souvent résistantes à nos antibiotiques, suivies d’un nombre inégalé d’opérations pour pose de tube au travers du tympan, avec les risques d’une anesthésie, un 2 % de perforation résiduelle et les douleurs qu’on imagine.

« La contradiction entre libre arbitre et science contemporaine est l’éléphant dans un laboratoire », soutient Harari dans son fameux homo deus. Un discours progressiste sur la conciliation travail-famille devrait ainsi mieux prendre en compte ces 6-18 mois qui fréquentent une garderie, leurs un à deux rhumes par mois de septembre à mai, avec conséquemment des infections d’oreilles, l’investissement parental et sociétal qui en découlent.

Comme d’autres éléments de l’équation, les liens parents-enfants, les rapports hommes-femmes, le salaire des femmes, l’obligation de stimulation développementale pour les petits des milieux à risque et le temps libre en famille, la nécessaire gestion de la morve mine nos croyances libérales en un authentique libre-arbitre.

Il n’y a pas de petits sujets, je vous disais, que de grandes révolutions.

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