OPINION

Sapin scintillant et autiste en surcharge

Lors des réunions de fin d’année, tout devient un assommant buffet sensoriel à volonté

J’ai été à tour de rôle une gamine figée, une adolescente mutique, puis une adulte asociale. Le tout, en couches superposées. Je suis donc une authentique poupée russe aux vibrantes couleurs autistiques !

Depuis près de 50 ans, le temps des Fêtes ressurgit chaque décembre, tel un maléfique revenant venant secouer ses chaînes bruyantes pour effrayer ma rassurante routine du reste de l’année. Car pour moi, la routine et le prévisible sont essentiels. Le temps des Fêtes, c’est un grain de sable dans l’engrenage.

COCKTAIL SENSORIEL, TU SUPPORTERAS

Lors des réunions festives de fin d’année, chaque milliseconde, tout devient un assommant buffet sensoriel à volonté. Les effluves étouffants de tante Pierrette ont eu la main lourde sur son Chanel No 5, trois chandelles parfumées façon « canneberge » et 48 odeurs indéfinissables s’entremêlent. Les éclats de rire gras d’oncle Henri dominent plusieurs autres conversations animées pendant un breakdance endiablé avec des chants de Noël en musique de fond. En prime, les yeux sont aveuglés par les criardes décorations qui semblent hurler « je suis là, regarde-moi ! ». Quand le cerveau reçoit tout en vrac, c’est juste trop à gérer. Je surchauffe comme une boîte électrique et des fusibles s’éteignent.

Pour la grande majorité des personnes autistes, les contacts physiques avec des personnes peu familières, et surtout s’ils sont soudains, peuvent avoir un effet terrifiant. L’hypersensibilité physique de certains transmute une simple bise effleurée ou une accolade trop enthousiaste en séance de torture corporelle.

Cet amalgame de sens agressés mène à une visiteuse prévue, sœur siamoise bien nommée : l’anxiété. Panique à bord assurée. Elle apporte comme étrenne des maux de ventre et nausées, des palpitations cardiaques même à quatre ans et demi, et de cette surcharge extrême naît l’inévitable crise de bacon fumé, crépitant au milieu du salon près du grand feu de bois qui flambe et nous attend. Car cette crise ne relève jamais du caprice. Elle est l’expression ultime que trop, c’est trop. C’est une peur qui tenaille, comme si j’étais une claustrophobe emmurée dans une cabine téléphonique.

OBLIGATIONS SOCIALES, TU RESPECTERAS

Les dialogues forcés avec une personne qui ne partage pas ma passion pour l’immobilier new-yorkais depuis 2007 ou l’autisme me laissent un peu pantoise. Une personne autiste se spécialise dans ses sujets de prédilection, mais n’a pas naturellement le bavardage social très étendu. Enfant, je détestais les automatiques : « comment ça va à l’école ? » Alors, je hochais la tête et je me refermais tout de suite. Du dialogue prolongé, je n’avais ni le désir ni la force.

Mon silence récurrent finit habituellement par lasser mes interlocuteurs devant mon apparente indifférence, qui n’en est pourtant pas une. Je ne peux tout simplement pas dialoguer dans tout ce brouhaha. Mon esprit, dans la cacophonie ambiante, tend à tomber en 1200 miettes. Mes idées de conversation me fuient, tout simplement. Ce n’est pas un manque d’intérêt, c’est un manque d’énergie. Aucun mot ne vient, sauf si on parle de ce que j’aime. Alors, là je déballe tout et je saoule l’autre davantage qu’une bouteille entière de whisky.

PETITE MÉTHODE DE SURVIE, TU UTILISERAS

Souvent, la fuite a été mon alliée. Mais squatter l’unique salle de bain dans une maison unifamiliale bondée n’apporte pas un réconfort de longue durée. Les tremblements continuels de poignée de porte ne ménagent pas un suffisant répit.

Si je consens à une sortie, je dois connaître à l’avance une cachette prédéfinie quand le besoin de l’isolement récupérateur se fera sentir. 

Chambre d’ami, pièce au sous-sol, je ne suis pas regardante. Il me faut une grotte silencieuse où je peux me réfugier. Mieux encore, savoir à l’avance l’heure du départ ou avoir la possibilité de signifier quand ma coupe est pleine et partir peut me permettre de consentir, une fois de temps en temps, à me présenter le bout du nez… Mais l’anxiété sera tout de même fidèlement au rendez-vous. Parole d’autiste !

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