Santé

L’Ordre des pharmaciens veut assainir les pratiques de ses membres

L’Ordre des pharmaciens a encore beaucoup de travail à faire pour assainir les pratiques commerciales de ses membres. Les pharmaciens continuent d’être nombreux à enfreindre leur code de déontologie, notamment en offrant des cadeaux à des patients vivant dans des résidences pour personnes âgées.

L’an dernier, l’Ordre a envoyé des questionnaires aux 2000 pharmaciens propriétaires du Québec pour en savoir plus sur leurs pratiques d’affaires. L’exercice a permis de constater que plusieurs d’entre eux agissent par « mimétisme » en oubliant que certaines de leurs décisions peuvent être inacceptables sur le plan déontologique.

« Nous voulons amener les pharmaciens à réfléchir à leur conduite éthique », affirme la directrice générale de l’Ordre, Manon Lambert, au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse Affaires.

La pratique la plus préoccupante dont fait état l’inspection de l’Ordre est la remise de cadeaux par des pharmaciens aux patients vivant dans des résidences pour personnes âgées. Ces cadeaux, d’une valeur de 3 à 20 $, peuvent prendre la forme de boîtes de chocolats ou d’articles de pharmacie.

« Les pharmaciens ont de la difficulté à comprendre que c’est interdit. Les cadeaux, c’est une pratique courante dans le commerce de détail, mais un pharmacien n’est pas un commerçant comme les autres. »

— Manon Lambert, directrice générale de l’Ordre des pharmaciens

« Il ne faut pas oublier que plusieurs aînés sont dans une situation de vulnérabilité. Pour un résidant qui reçoit peu ou pas de visites de ses proches, recevoir un cadeau de son pharmacien, ça peut représenter beaucoup. Il faut changer la culture. »

Les pharmaciens ne peuvent pas non plus offrir des avantages financiers aux propriétaires de résidences pour les inciter à faire affaire avec eux. Un pharmacien de Sherbrooke affilié à Familiprix, Alain Haddad Jr, vient d’être condamné à une amende de 2000 $ pour avoir offert de remettre 500 $ par année en produits de soins cosmétiques à la femme du directeur général d’un centre de désintoxication ainsi que des cadeaux aux résidants.

Parfois, ce sont les propriétaires de résidences qui exercent des pressions sur leurs patients pour qu’ils achètent leurs médicaments auprès des pharmacies avec lesquelles ils ont conclu des ententes. Dans le cadre de l’inspection de l’Ordre, des pharmaciens ont relaté que certains propriétaires « seraient très insistants dans leurs demandes d’obtenir des avantages et tenteraient d’imposer leurs exigences ».

CONTRATS NON CONFORMES

En vertu d’un nouveau pouvoir réglementaire dont il dispose depuis 2011, l’Ordre a par ailleurs obtenu des copies de 344 contrats conclus entre des pharmaciens propriétaires et des propriétaires de résidences. Plus de la moitié de ces ententes ne respectaient pas les règles de l’Ordre, principalement parce qu’elles ne précisaient pas que le pharmacien ne peut inciter un propriétaire de résidence à traiter avec lui en lui procurant un avantage financier.

Quatre contrats particulièrement problématiques à cet égard font actuellement l’objet d’une enquête du syndic. Par le passé, l’Ordre a constaté que des pharmaciens payaient un loyer démesurément élevé à un propriétaire de résidence pour s’assurer d’y être présents.

Sur un autre front, l’inspection de l’Ordre a permis de confirmer que la plupart des pharmaciens propriétaires québécois adhèrent à des « programmes de conformité » mis en place par des grossistes de médicaments ou des chaînes de pharmacies. Pour l’instant, l’Ordre ne se prononce pas quant à la légalité de ces programmes qui poussent les pharmaciens à s’approvisionner en médicaments auprès de certaines entreprises.

Or, des pharmaciens ont confié à l’Ordre avoir subi des sanctions financières, des visites de représentants et des refus de service pour ne pas avoir atteint des objectifs de commandes préétablis. Le syndic mène actuellement une enquête sur le programme du grossiste américain McKesson, en vigueur notamment chez Proxim et Uniprix.

Les relations qu’entretiennent les pharmaciens avec des médecins à qui ils louent des locaux peuvent aussi poser problème. Des pharmaciens ont fait part à l’Ordre de situations où des médecins font preuve de « dirigisme » à leur endroit, exigent des loyers de faveur ou menacent carrément d’aller ailleurs s’ils n’obtiennent pas ce qu’ils réclament. L’Ordre prévoit discuter de cette question avec le Collège des médecins.

VIEUX PROBLÈME

Ce n’est pas d’hier que l’Ordre des pharmaciens implore ses membres de résister aux pressions de leurs partenaires commerciaux, qui se montrent de plus en plus « envahissants » de l’aveu de Manon Lambert. Celle-ci reconnaît avec déception que ces efforts n’ont pas produit les effets escomptés.

Afin de corriger le tir, l’Ordre entend miser sur la formation.

« Les pharmaciens québécois sont d’excellents pharmacothérapeutes, mais à l’université, on leur enseigne peu la réalité du monde des affaires. »

— Manon Lambert

L’Ordre veut aussi s’asseoir avec les représentants des chaînes et des grossistes pour les sensibiliser à l’importance de respecter l’indépendance professionnelle des pharmaciens. « Ces entreprises n’ont pas intérêt à s’embourber dans des embrouilles déontologiques, soutient Manon Lambert. Elles veulent conserver leur bonne réputation. »

L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires n’a pas répondu à la demande d’entrevue de La Presse Affaires.

UN SYNDIC OCCUPÉ

En 2014-2015, le syndic de l’Ordre des pharmaciens a ouvert 557 dossiers d’enquête concernant 714 pharmaciens. C’est deux fois plus qu’en 2013-2014. À la fin mars, 454 dossiers étaient toujours ouverts, contre 247 un an plus tôt. L’Ordre n’a pas souhaité expliquer les raisons de cette activité accrue.

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