Il y avait une absente de taille, au Salon rouge, en 2014, quand la nouvelle élue de Québec solidaire, Manon Massé, a prêté serment.
Fernande Migneault, sa mère, n’était pas en mesure d’y être, affligée par la maladie d’Alzheimer. Elle ne reconnaissait plus sa fille depuis déjà 12 ans à l’époque de l’élection de Manon Massé dans Sainte-Marie–Saint-Jacques.
« Dans la vie de députée, on reçoit beaucoup de reconnaissance des citoyens. Je te dirais qu’une bonne partie de cette reconnaissance, je la prends pour elle. Si “chus” comme “chus”, au moins 50 % vient de ma mère », raconte la députée.
« J’ai vécu de la culpabilité de ne pas pouvoir mieux soutenir mon père à partir du moment où j’ai relevé un des défis les plus importants de ma vie, soit passer de la fille de terrain à un rôle public », ajoute Manon Massé, la voix brisée. Elle se rappelle avoir été émue de voir son père Gilles – un ancien ouvrier de la Domtar – « pleurer de fierté » le jour de sa prestation de serment.
La famille Massé, qui est « tissée serré », explique la députée, resserre d’ailleurs les rangs depuis quelques semaines. Fernande Migneault est morte le 6 février après un combat de 20 ans contre la maladie.
une enfance à windsor
Famille catholique pratiquante de trois enfants de Windsor, en Estrie, les Massé ont rapidement migré vers Boucherville, sur la Rive-Sud de Montréal, alors que la petite Manon n’avait que 7 ans.
Elle revendique cependant fièrement ses origines rurales.
« Windsor, ce sont mes racines. Une bonne partie de la famille de mon père et de ma mère vivent encore là. »
— Manon Massé
Elle sent d’ailleurs chaque année le besoin de se ressourcer quelques semaines en silence dans la forêt.
En jeans troués
Manon Massé a fait ses premières armes sur le marché du travail au début des années 90. Quand elle a franchi pour la première fois les portes du YMCA d’Hochelaga-Maisonneuve, elle affichait déjà sa différence sans complexes, se souvient en riant Denise Routhier, qui travaille encore à la réception de l’organisme.
« Elle n’était pas celle qui était la mieux habillée. Elle est arrivée pour son entrevue d’embauche avec un jeans troué et ses beaux cheveux pas trop peignés. »
« Aujourd’hui, poursuit-elle, je la trouve un peu moins rockeuse. Elle a commencé à soigner sa tenue vestimentaire. Elle fait des efforts, mais elle reste malgré tout elle-même. C’est important qu’elle garde sa personnalité », lance Mme Routhier, à qui Manon Massé ne cachait déjà pas à l’époque du YMCA qu’elle souhaitait un jour fonder un parti politique.
Une certaine Françoise David
C’est alors qu’elle n’avait que trente ans et qu’elle faisait ses premiers pas dans le mouvement féministe que la jeune femme nouvellement montréalaise (une ville qu’elle n’a plus jamais quittée) a rencontré Françoise David, alors présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Dans une réunion rassemblant plusieurs organismes, elles ont parlé de mobiliser les femmes pour dénoncer la pauvreté dans laquelle certaines vivaient.
« Je ne la connaissais pas à l’époque, mais rapidement, elle est devenue l’une des plus enthousiastes. Quand elle croit en quelque chose, Manon, elle a la foi et elle fonce », se rappelle Mme David, aujourd’hui à la retraite de la vie publique.
Rapidement, la mobilisation souhaitée par la FFQ a pris forme et est devenue la Marche du pain et des roses, aujourd’hui considérée comme un événement marquant du mouvement féministe québécois. Au printemps 1995, Manon Massé était chargée de la logistique de la marche des quelque 850 femmes jusqu’à Québec.
Françoise David et Manon Massé ont toutefois rapidement déchanté. Invitées avec d’autres organismes au Sommet sur l’économie et l’emploi par le premier ministre Lucien Bouchard, elles ont claqué la porte, alors que le gouvernement péquiste refusait de se donner pour objectif l’« appauvrissement zéro », plutôt que le déficit zéro.
« C’était le moment où tout le mouvement populaire se tenait debout devant ce gouvernement qui favorisait l’économie au service des grandes entreprises », affirme celle qui a d’ailleurs voté contre le projet de pacte électoral avec le PQ aux élections de 2018.
Un « procès » au PQ
Au Sommet de 1996, Manon Massé et ses proches ont vécu « une rupture » avec le PQ. Avec d’autres militants, elle a participé à des « procès populaires », où des membres des milieux communautaires se sont rassemblés, notamment au cégep du Vieux Montréal, pour juger le gouvernement péquiste et son ministre des Finances, Bernard Landry.
« C’était une vraie animatrice de foule capable d’entraîner le monde dans toutes sortes de choses », se rappelle François Saillant, qui a été pendant presque 40 ans au sein du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).
« On faisait face à un gouvernement qui était en train de vendre le Québec au moins offrant », se remémore Manon Massé, qui en guise de sentence condamnait solennellement à l’époque les péquistes à « réinvestir des sommes dans les programmes sociaux » devant des centaines de militants de gauche.
C’est dans ce contexte d’une « montée de la droite », notamment avec l’essor de l’ADQ (aujourd’hui devenue la CAQ), que Manon Massé s’est alliée à Françoise David et des membres des groupes communautaires pour fonder le mouvement « D’abord solidaire », qui est ensuite devenu « Option citoyenne » avant de fusionner avec l’Union des forces progressistes (UFP) et de donner naissance, en 2006, à Québec solidaire.