Société

À l’autel de l’alimentation

Qu’on parle de végétalisme, de régime sans gluten, de consommation de produits laitiers ou de régime à la mode comme le cétogène, les choix alimentaires animent les débats et suscitent la controverse. Entre militants convaincus et convertis qui veulent répandre leur bonne parole, l’alimentation serait-elle en voie de devenir notre nouvelle religion ?

Depuis quelques mois, les controverses autour des choix alimentaires semblent se multiplier, de l’influenceuse végane qui mange du poisson en cachette au nouveau Guide alimentaire canadien.

Pourquoi l’alimentation provoque-t-elle des réactions si fortes ? « Je ne sais pas si c’est une religion ou plutôt une façon pour les gens de s’identifier, mais parfois, ça devient presque un culte ! », remarque le chercheur Sylvain Charlebois, qui s’intéresse à l’industrie agroalimentaire depuis 20 ans.

« L’alimentation est une affaire très personnelle, liée à nos valeurs, poursuit-il. Avec l’éclatement de la demande, il y a des gens qui se sentent menacés. Si on leur parle de véganisme, c’est un peu comme si on leur disait : “Tout ce temps-là, vous étiez dans le péché en mangeant du bœuf !” »

Le professeur à l’Université Dalhousie affirme recevoir souvent des insultes, voire des menaces. « Quand je parle de véganisme, je reçois des courriels d’insultes de producteurs bovins qui m’accusent de prêcher pour une diète “irresponsable”. Et si je m’exprime sur la consommation de viande, les véganes vont s’acharner sur mon message… et sur moi ! »

La guerre des clans

Parlant d’intimidation, la nutritionniste Isabelle Huot en a long à dire. Elle est la cible d’un groupe d’adeptes de l’alimentation cétogène, un régime contre lequel elle a exprimé publiquement des réserves. Elle reçoit depuis un an des insultes sur ses réseaux sociaux et a même fait l’objet de six plaintes à l’Ordre professionnel des diététistes du Québec – une même lettre en six exemplaires, affirme-t-elle.

« Les gens m’attaquent moi, personnellement, de façon très agressive. Je ne veux pas mettre tout le monde dans le même panier, mais ça devient une allégeance inconditionnelle à un groupe de pensée, de l’extrémisme alimentaire », s’indigne celle qui a déjà vécu des épisodes similaires par le passé, avec des adeptes du régime hypotoxique et de l’alimentation paléo.

« L’alimentation est censée rassembler, mais actuellement, elle nous divise. »

— Isabelle Huot, nutritionniste

Une situation qui a d’ailleurs été dénoncée par Josey Arsenault. L’animatrice de radio, adepte convaincue du régime cétogène, a lancé la plateforme Vive le bacon !. Elle a appelé les gens à ne pas attaquer personnellement la nutritionniste. « Sur notre page Facebook, c’est tolérance zéro. Ce n’est pas le message qu’on veut véhiculer, cela nous donne mauvaise réputation. »

Selon elle, le parallèle avec la religion ne tient pas la route. « Ce n’est pas une religion ! Les gens retrouvent la santé grâce à l’alimentation cétogène et ils voient ça comme une chose extraordinaire. Ils réagissent quand on remet en question l’alimentation qui a changé leur vie. »

La violence des médias sociaux

Un autre sujet qui crée la controverse : le véganisme. Et ce, autant du côté des convertis que de ceux qui se sentent bousculés, voire menacés, par sa popularité grandissante.

Le propriétaire du restaurant Lov, Dominic Bujold, l’a bien constaté depuis l’ouverture de son premier établissement, en 2016. Il avait soulevé la colère de plusieurs véganes en offrant l’option d’ajouter des œufs ou du fromage à ses plats.

Le Lov a d’ailleurs annoncé cette semaine que son menu devient 100 % végane, une décision qui n’est pas motivée par les critiques, mais plutôt parce que sa clientèle, majoritairement omnivore, est rendue là, assure M. Bujold.

« Ma mission dans la vie, c’est de démocratiser la nourriture végane, de la rendre accessible au plus de gens possible, les “convertir” tranquillement. Nous avons tous nos mythes alimentaires, et si je peux convaincre une personne par semaine, j’ai déjà gagné quelque chose. J’aime mieux vendre à 95 % de gens “imparfaits” qu’à 5 % de véganes qui sont extrémistes », lance-t-il.

Élise Desaulniers est sans doute la figure la plus connue du mouvement végane au Québec. Militante pour les droits des animaux, elle a signé des livres autour de la question, dont Vache à lait, a lancé Le défi végane 21 jours, en plus d’être directrice générale de la SPCA Montréal.

Elle fait partie de ceux qui ont critiqué le Lov à son ouverture, même si elle assure y être allée souvent depuis. « Mon point, c’est qu’on est capable d’avoir une gastronomie végane. Je ne crois pas qu’en 2019, les omnivores ont besoin de se faire offrir des œufs ou du fromage sur le menu pour se faire amadouer, pour ne pas avoir “peur”. »

« Le mot “végane” ne fait plus peur en gastronomie. Avoir l’étiquette végane, par contre, fait encore peur, car elle peut donner l’impression que tu appartiens à une religion. »

— Élise Desaulniers

Elle-même très active sur les réseaux sociaux, elle constate que ces derniers ouvrent la porte à des échanges enflammés. « C’est, de par sa nature, beaucoup plus violent. On s’obstine à coup de liens, de mèmes, on veut avoir raison. Dans la vraie vie, les gens sont beaucoup plus modérés. En ligne, on cherche plutôt à prouver son point, à “écraser” l’autre. Peu importe le sujet, personne ne va admettre que l’autre a raison ! »

Celle qui lancera la semaine prochaine Tables véganes, son premier livre de recettes inspirées de cultures culinaires de partout dans le monde, admet qu’elle a de « moins en moins » de plaisir à faire sa justicière sociale végane sur l'internet. « J’ai envie de militer d’autres façons, d’y aller de façon plus douce, sans gruger mon énergie, sans me réveiller fâchée le matin. C’est ce que je veux faire avec mon livre : présenter le véganisme comme quelque chose qui rassemble plutôt que divise. »

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