Opinion : Commission sur la protection des sources journalistiques

Remonter aux sources des dérapages policiers

Monsieur le juge Chamberland,

J’ai été journaliste durant plus de 30 ans. J’ai toujours favorisé le journalisme d’enquête. Je suis fier d’avoir été directement associé à la création de l’émission Enquête alors que j’assumais la direction générale des services français de l’information de Radio-Canada (2006-2012). Inutile de préciser plus longuement que la protection des sources journalistiques me préoccupe au plus haut point.

Sans la protection de leurs sources, les journalistes n’auraient pas pu dénoncer et faire connaître la corruption dans l’industrie de la construction et dans plusieurs municipalités du Québec. Les sources sont essentielles à notre travail d’où l’importance de bien les protéger. Or, les services policiers, on l’a vu, ont fait tout le contraire.

Leurs manœuvres qui ont permis d’espionner des journalistes de La Presse et de l’émission Enquête sont inadmissibles dans une démocratie qui protège et garantit par nos chartes la liberté de la presse et la liberté d’expression.

Vous ne serez donc pas surpris d’avoir vu avec quelle unanimité tous les médias et les journalistes ont dénoncé pareilles irrégularités.

Nous nous sommes également réjouis des réactions promptes de nos élus. En ce sens, la mise sur pied de la commission que vous présidez constitue une belle occasion de mettre fin au dérapage des services de police.

Nous espérons, en effet, que cette commission s’attaquera à ce sérieux problème.

Rappelons que le mandat de la commission précise ses objectifs ainsi : 

« Enquêter, faire rapport et formuler des recommandations sur les pratiques policières en matière d’enquête, susceptibles de porter atteinte au privilège protégeant l’identité des sources journalistiques, y compris sur les allégations d’interventions politiques auprès des corps de police de nature à compromettre ce privilège et qui ont pu mener au déclenchement d’enquêtes policières. »

Dans un premier temps, il faut souligner que les travaux de la commission ne doivent surtout pas déborder sur une analyse exhaustive de la pratique journalistique. Ce n’est pas l’objet de cette commission. On pourra toujours examiner la pratique journalistique en d’autres lieux, mais pas à votre commission. L’objectif y est essentiellement d’analyser et de questionner la pratique policière à l’égard de la protection des sources journalistiques, comme le précise son mandat.

En ce sens, nous nous attendons à ce que ce ne soit pas des policiers qui enquêtent sur le travail… policier.

Il est donc important que la commission ait un département d’enquête composé de personnes indépendantes afin de savoir comment les dérapages policiers ont pu se produire. Cette enquête ne peut pas être dirigée seulement par des policiers ou d’ex-policiers. Faire un tel choix pourrait dénaturer le mandat initial. On doit plutôt faire appel à des personnes qui ont une solide expérience en enquête journalistique ainsi qu’une forte sensibilité aux préoccupations des journalistes. On parle donc ici d’impliquer dans vos effectifs des journalistes ou d’anciens journalistes. (Ceci ne constitue pas une offre de service)

Tous les médias et tous les journalistes scruteront ensuite à la loupe votre travail, en toute liberté et en toute indépendance, du début jusqu’à la toute fin de vos travaux.

Un faux pas corrigé

De votre côté, il vous faudra éviter les faux pas afin de ne pas miner la crédibilité de votre commission. Le choix comme procureur chef de l’avocat Bernard Amyot constituait un malheureux faux pas. Ce dernier s’était disqualifié par ses propos antérieurs contre le journaliste et chroniqueur Patrick Lagacé. Le départ de Bernard Amyot vous permet maintenant de réaffirmer avec force votre intention d’accomplir votre mandat avec toute l’impartialité nécessaire. Votre commission ne peut afficher une perception de parti pris dans un dossier aussi important. Je ne doute pas du sérieux avec lequel vous accomplirez votre mandat.

Nous partageons tous l’objectif de renforcer la qualité de notre vie démocratique et de la mettre à l’abri d’interventions policières qui n’ont pas leur place dans ce pays. Ce type de manœuvres n’est pas digne d’une démocratie comme la nôtre. Souhaitons-nous bonne chance et bon succès à la commission.

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