Chronique

Vague à l’âme

Au début des années 80, je fréquentais le cégep de l’Outaouais. Il y avait quatre agoras où les élèves allaient traînasser entre les cours – et parfois pendant ceux-ci. Des élèves qui étudiaient en psychologie avaient choisi une couleur pour chacun de ces lieux dans le but de mener une sorte d’expérience. Paraît-il que leur truc avait été concluant : le vert avait attiré les amateurs de jeux sociaux, le jaune, les timides, le rouge, les discos et le mauve, les macramés-granolas, dont je faisais partie.

Mais comme j’ai toujours été tenté par la nouveauté, j’ai délaissé les bandeaux de cuir tressés pour le gel et les teintures orange quand la new wave est apparue. Mes camarades de la « nouvelle vague » et moi nous sommes toutefois retrouvés avec un mautadit problème : nous n’avions pas d’agora à nous. La new wave a alors brisé le bel équilibre qui existait entre ces lieux et ces groupes bien établis.

Le grand bouleversement causé par ce mouvement, c’est ce que raconte l’excellent documentaire d’Érik Cimon, Montréal New Wave. Projeté en première aux Rendez-vous du cinéma québécois il y a quelques semaines, le film prendra l’affiche en salle le 29 avril. Courez voir ce documentaire riche en témoignages qui témoigne d’une époque qui fait l’envie des plus jeunes.

Au début des années 80, le Québec sortait d’une longue période de folk avec Harmonium, Beau Dommage et compagnie. Il sortait surtout d’un référendum qui ne lui avait pas donné la liberté et l’indépendance dont il voulait jouir. Comme le dit Michel Lemieux dans le film : « On avait essayé quelque chose qui n’a pas marché, on a eu envie d’aller voir ailleurs. »

Cela donnera une formidable période d’exploration. D’abord en musique avec l’arrivée de groupes et d’artistes qui voulaient conquérir la planète : Men Without Hats, Rational Youth, Térapi, La La La Human Steps, Michel Lemieux, American Devices, Trans-X, Boys du Severe et tant d’autres.

C’est aussi le choc des performances déjantées dans des galeries d’art. Des images nous montrent Louise Mercille sortir d’une boîte de Barbie géante et Monty Cantsin, accroché sur un mur, en train de se faire prélever du sang par une infirmière, de le mettre dans sa bouche et de le recracher.

C’est finalement l’âge d’or des bars : le Cargo, le Beat, le Business, le Glace, où les DJ se voyaient forcés de mettre de la musique jusqu’à 5h du matin. Les gens sortaient pour se faire voir, pour montrer leur look néo-romantico-baggy provenant du Château ou des boutiques Scandale (Georges Lévesque) ou Parachute.

Ce documentaire donne la parole à plusieurs témoins de cette époque exubérante et androgyne. On y présente autant la scène underground (souvenez-vous de Cham-Pang et de la cultissime chanson Ne tombez pas en amour avec moi) que celle qui a rejoint le grand public (Pied de poule, Soupir, Belgazou).

Il se dégage de cette période une sorte d’insouciance, de volonté de repousser les limites. 

Jean-Luc Bonspiel, alias Kiki Bonbon, ancien membre des Boys du Severe, dit à un moment : « C’était un temps qui insufflait de l’espoir, qui nous remplissait l’anus de fumée glorieuse. » L’image est forte, mais reste très juste.

Ce méchant gros party aura malheureusement une fin avec la menace du sida, une crise économique généralisée et la montée d’un certain conservatisme. On plongera alors dans la très terne décennie des années 90. Mais peu importe, ce mouvement a laissé des traces, a ouvert les esprits. Pour décrire l’impact de ces années folles sur le Québec, Kiki Bonbon dit : « C’est peut-être la fin de la colonie. C’est peut-être une indépendance qui est arrivée sans qu’on s’en rende compte. »

Avec le recul, certaines scènes du film frôlent le ridicule (le son des synthés, les coiffures, la manière de bouger, etc.). Et puis, il y a la surprise de revoir dans la cinquantaine ceux qui ont été les idoles d’une génération et les porte-étendard d’un mouvement.

Mais bon, c’est la rançon du temps qui passe. Un jour aussi, on rira des hipsters. Ce qui compte, c’est l’héritage, c’est la contribution à ce que nous sommes devenus. Sans la new wave, la société québécoise ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Et l’industrie des produits capillaires non plus.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.