Santé

Le défi de faire bouger

Avec le mois de mai revient le temps pour bien des familles d’accumuler les Cubes énergie. Ce concept, lancé il y a une décennie par le Grand défi Pierre Lavoie pour faire bouger les enfants du primaire, remplit-il ses promesses ? Bilan de parcours.

Dix ans de Cubes

Près de 1400 écoles primaires du Québec participent au programme des Cubes énergie ce mois-ci. « D’année en année, environ 80 % des écoles participantes se réinscrivent », souligne Stéphanie Charette, directrice des communications au Grand défi Pierre Lavoie, organisme qui a lancé le programme il y a 10 ans. La force de l’initiative, selon elle, c’est sa simplicité. « Dans un Cube énergie, on met ce qu’on veut. Tu fais de la gym ? Tu mets de la gym. Ceux qui bougent un peu moins vont aller marcher, jouer au ballon, sortir avec leurs parents après le souper, énumère-t-elle. Ton 15 minutes d’activité [qui vaut un cube d’énergie] a la même valeur que tu aies couru à en avoir la langue à terre ou que tu aies marché. »

Un programme « intéressant »

Aucune étude d’impact du programme des Cubes énergie n’a été réalisée, mais Suzanne Laberge, de l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal, le juge d’emblée « intéressant ». « Il suit des principes fondamentaux en promotion de l’activité physique : il faut que les personnes en tirent un plaisir et un bénéfice, souligne-t-elle. Il favorise le lien avec les parents, qui jouent un rôle déterminant dans la pratique de l’activité physique. » Jean-Pierre Després, du département de kinésiologie de l’Université Laval, le voit aussi positivement : « Ce que j’aime des Cubes, c’est que ça ne vient pas avec une notion d’intensité. Il suffit de faire quelque chose, dit-il. Et si tous les enfants – et tous les adultes québécois – faisaient quelque chose, l’impact sur la santé publique serait important. »

Un effet durable ?

S’appuyant sur un sondage réalisé auprès des écoles, Stéphanie Charette avance que le programme augmente l’intérêt des enfants pour l’activité physique et que la « sensibilisation des jeunes à l’importance de bouger » dure après le défi. Ni l’organisme ni les chercheurs contactés ne peuvent toutefois affirmer que les habitudes des enfants s’en trouvent durablement changées. « Tout ce qui fait bouger est positif », insiste toutefois Jean-Pierre Després.

Actifs ou sédentaires ?

Il n’est pas facile d’analyser l’évolution de l’activité physique chez les enfants québécois. Jean-Pierre Després est outré que les autorités ne prennent pas les moyens pour qu’on puisse savoir s’ils sont en bonne condition cardio-respiratoire. Il n’est pas optimiste devant des données d’un peu partout dans le monde disant que de 30 % à 40 % de la population est sédentaire, avance-t-il. « Être sédentaire, c’est plus dangereux que de fumer », dit-il. Que Statistique Canada dise que 47 % des Canadiens de 5 à 11 ans et 31 % des 12 à 17 ans – surtout des garçons – atteignent la cible de 60 minutes d’activité physique d’intensité moyenne ou élevée* par jour ne le rassure pas. « Si on avait de vraies mesures, des données d’accélérométrie et de condition respiratoire, ce serait catastrophique », prédit-il.

Un concept qui plafonne ?

Le nombre de Cubes énergie comptabilisés plafonne à environ 103 millions depuis quatre ans. « C’est dans la nature de toute activité, dit Suzanne Laberge. Tout programme atteint son niveau de saturation et c’est le défi de tout entrepreneur de renouveler son produit. » Les marathons aussi connaissent ces fluctuations : aux années de forte affluence en succèdent d’autres, moins courues. « Ça va rester dans ces eaux-là. On est très à l’aise avec ça », assure Stéphanie Charette, précisant que le programme n’est pas obligatoire.

Pas une compÉtition, mais…

L’absence de compétition est un principe de base des Cubes énergie. Une bonne chose, selon Suzanne Laberge, puisque le meilleur moyen d’enlever à quelqu’un l’envie de faire de l’activité physique est de le forcer à montrer son incompétence aux autres. « [Pierre Lavoie] dit qu’il n’est pas en faveur de la compétition, mais il y a des prix, souligne-t-elle toutefois. Il y a un petit paradoxe. » L’attribution des prix se fait par tirage au sort. « Jamais on ne va récompenser l’école qui a amassé le plus de Cubes énergie », assure Stéphanie Charette. Or, le site internet des Cubes énergie permet de classer les écoles selon le nombre de cubes amassés, et plus une école en accumule, plus elle a de chances de remporter un prix.

Les clés de la motivation

Qu’est-ce qui peut motiver à bouger ? Le plaisir, tout simplement. D’où la nécessité d’offrir une variété d’activités. « Le one size fits all, ce n’est pas bon en activité physique. Il faut faire des choses qui sont adaptées au contexte particulier des gens », dit Suzanne Laberge. Elle voit d’un très bon œil l’initiative de l’ancien gouvernement libéral d’accorder 64 millions aux écoles pour mettre en place des programmes durables. « Là, ça repose sur la créativité des gens, ils s’organisent, pensent à toutes sortes de choses qui correspondent à leur milieu, dit-elle. Ce n’est pas la même chose en ville qu’en milieu rural, dans une grosse école et dans une petite. Il faut partir de la base. »

* Suivi des niveaux d’activité physique des Canadiens, 2016 et 2017.

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