Éditorial PAUL JOURNET

L’argent ne change pas l’éducation, sauf que…

À première vue, il y a une contradiction. D’un côté, l’Institut du Québec publie une étude qui soutient que le sous-financement en éducation ne suffit pas à expliquer le taux alarmant de décrochage. De l’autre, le Parti québécois dépose un projet de loi pour empêcher les futurs gouvernements de réduire les dépenses en éducation. En laissant entendre que le décrochage s’explique par les coupes.

Alors, le problème réside-t-il dans le manque d’argent ou dans la façon de le dépenser ? La mauvaise nouvelle, c’est que les deux ont raison. Oui, il manque d’argent. Et oui, investir plus ne réglera pas tout, car l’argent ne semble pas aller aux bons endroits. Ces erreurs se multiplient.

Ce constat paraît presque banal. Et pourtant, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) y a vu une hérésie. Du « mépris pour les enseignants ».

Sans le vouloir, la FAE a permis de compléter cette semaine le trio de responsables de nos ratés en éducation. 

En plus de l’argent et de la façon de le dépenser, il y a la rigidité extrême du milieu, qui assimile toute recherche de solution à une attaque.

Reprenons. Cette semaine, le député péquiste Alexandre Cloutier a déposé un projet de loi « bouclier » pour empêcher les futurs ministres de l’Éducation de dépenser moins que les coûts de système. Si un gouvernement croit pouvoir réduire les dépenses sans toucher les services – bonne chance ! – , il devra produire un rapport et se justifier à l’Assemblée nationale.

Ce projet de loi est inusité. Dans un monde idéal, il n’existerait pas. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Nous vivons sous un gouvernement libéral qui a gelé les dépenses en éducation en 2014-2015, puis les a réduites l’année suivante.

Comment prétendre que l’éducation est une priorité après en avoir fait la première victime de l’équilibre budgétaire ? Ces compressions ont un visage : celui des jeunes en difficulté qui ont été laissés à eux-mêmes, sans accès à un orthopédagogue ou à un autre spécialiste.

Et même si les dépenses augmentaient chaque année, cela ne réglerait pas un autre problème : leur manque de prévisibilité. Parfois, le financement augmente de 2 %. D’autres années, c’est 4 %. Mais le milieu ne le sait jamais à l’avance. Il ne peut donc pas prévoir l’embauche du personnel et les autres besoins à long terme.

Enfin, même si les dépenses du ministère de l’Éducation augmentaient de façon durable et prévisible, il resterait encore une menace : la vétusté des écoles.

Car au Québec, les travaux en infrastructures sont payés par le Conseil du trésor. Il serait donc possible de hausser le budget en éducation tout en poursuivant le laisser-aller des écoles. D’ailleurs, c’est exactement ce qui se passe. La moitié de nos écoles sont en « mauvais » ou « très mauvais » état.

Sans surprise, le taux de décrochage est plus élevé chez les jeunes qui ont des difficultés d’apprentissage, qui viennent de milieux défavorisés ou qui sont immigrants de première génération. Et les décrocheurs sont aussi plus nombreux parmi les garçons, le réseau public et le réseau francophone.

Le Québec est la province où le privé prend le plus de place. Cette ségrégation des élèves, dénoncée par le Conseil supérieur de l’éducation, gonfle sans doute le taux de décrochage au public.

Il est vrai que l’Institut du Québec n’en parle pas. Mais ce n’était pas le but de son rapport. Il ne prétendait pas trouver toutes les solutions. Les chercheurs proposaient plus modestement une façon de trouver les solutions : rendre accessibles rapidement toutes les données, les analyser, puis voir ce qui fonctionne.

Oui, voilà une idée révolutionnaire : faire ce qui fonctionne…

Bien sûr, on peut faire différents choix politiques à partir d’une étude. Au risque de simplifier, la « science » ne dit pas s’il faut prioriser l’égalité ou l’excellence, le public ou le privé. Elle ne donne pas la réponse, mais elle permet de réfléchir avec les bonnes informations.

Dans cette réflexion, tout le monde devrait faire son mea culpa.

Il y a le gouvernement, bien sûr, qui écoute les sondages ou les modes, comme le prouvent les tableaux blancs intelligents ou le cours d’éducation financière. Et pour empirer le tout, il n’évalue pas systématiquement les programmes.

Il y a les commissions scolaires, qui maquillent leurs frais de gestion* et refilent des factures arbitraires et abusives aux parents, au mépris de la gratuité scolaire. Sans oublier la bureaucratie qui impose un véritable parcours du combattant aux élèves en difficulté.

Et il y a les syndicats, qui traitent les jeunes profs comme des bouche-trous. Les moins expérimentés qui écopent des mandats les plus difficiles. Un peu comme si la stagiaire en droit allait plaider en Cour suprême… On est tout à fait d’accord que la profession d’enseignant doit être valorisée, mais les syndicats n’en font pas toujours leur priorité.

Hélas, on a parfois l’impression que tout ce beau monde s’accommode de ce système.

Un exemple : les ratios d’élèves par enseignant n’ont pas été déterminés en fonction des études. Les syndicats et le gouvernement se sont plutôt arrangés entre eux. C’était du donnant-donnant. Une concession pour signer la convention collective.

Enfin, il y a la communauté. Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, n’avait pas tort mercredi de parler de décrochage parental. Comment expliquer sinon la différence choquante entre les réseaux publics anglophone et francophone ? Parlez-en aux spécialistes. Ils vous diront, à voix basse, que l’éducation n’est pas aussi valorisée chez les francophones. Qu’il faudrait s’inspirer d’initiatives des anglophones, comme leurs centres d’apprentissage.

C’est tout cela qu’il faut changer. Quand les boucliers se lèveront, une question toute simple devrait se poser : est-ce que les élèves en écopent ou en profitent ?

* L’automne dernier, la vérificatrice générale évaluait à 11 %, et non 4 %, les frais d’administration des commissions scolaires.

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Taux de diplomation au secondaire après cinq ans d’étude (cohorte de 2009, en incluant les qualifications)

Total 67,4 %

Garçons/Filles 61,5 %/73,3 %

Réseau public/privé 61,7 %/87,6 %

Réseau francophone/anglophone 66,7 %/76,2 %

2008/2015 65 %/64 %

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Le yo-yo des dépenses

Année/évolution des dépenses

2010-2011 3,7 %

2011-2012 2,5 %

2012-2013 1,6 %

2013-2014 4,1 %

2014-2015 1 %

2015-2016-0,1 %

2016-2017 2,9 %

2017-2018 5,4 %

2018-2019 4,5 %

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3,3 milliards : déficit d’entretien des écoles

C’est près du double de l’année dernière (1,8 milliard)

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