ÉLECTIONS PROVINCIALES OPINION

Des élections résolument provinciales

Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est… une province. C’est à cette étrange redécouverte que convient les présentes élections, dont l’extrême prosaïsme, aussi bien le terre-à-terre des discours que l’infinie concrétude des propositions, n’a rien pour rassurer ceux qui attendent encore de la politique qu’elle les inspire. 

Ces élections ont ceci d’historique qu’elles confirment la domination des enjeux immédiats et de courte portée, le triomphe sans partage d’une vie ordinaire devenue étrangère à l’appel de l’idéal.

Elles apparaissent d’emblée comme exemplairement moyennes : il y est question de classe moyenne, des problèmes moyens de l’électeur moyen, de moyennes à atteindre et des moyens d’y arriver, autant d’illustrations du célèbre adage québécois suivant lequel « il y a toujours moyen de moyenner ». Et c’est précisément à cette célébration de la « moyenneté » que s’emploie sans relâche le parti qui monte, la CAQ, qui est en voie de réussir le tour de force de plaire aussi bien aux libéraux déçus qu’aux péquistes désillusionnés en offrant la possibilité de changer sans que personne éprouve le moindre dépaysement, la moindre impression d’altérité.

À bien des égards, la CAQ représente moins un changement qu’une synthèse atténuée des deux grands partis qui ont gouverné le Québec depuis 50 ans, le parti de la voie moyenne, qui est celle du compromis et du juste milieu.

Un mélange de rigueur budgétaire et d’interventionnisme étatique, d’affirmation nationale (la défense de la langue, des intérêts du Québec) sans menace de séparation, de poigne d’un chef (les communiqués précisent que c’est lui qui « choisit » chacun de ses candidats) et de collaboration avec les coalisés, et j’en passe.

Le « ni-ni » caquiste (ni souverainiste ni vraiment fédéraliste – en tout cas sans aucun enthousiasme), auquel on pourrait en ajouter d’autres (comme le prévisible ni de gauche ni de droite), est conforme à l’air du temps et traduit bien l’indétermination dans laquelle se sont enfermés les Québécois depuis le dernier référendum, eux dont le non au projet de pays n’a pas pour autant conduit à un oui au Canada, ou alors à un oui par défaut. 

Cette synthèse est d’autant plus facile à réaliser que les deux autres grands partis présentent au cours de ces élections une version affadie, aplatie d’eux-mêmes : tant chez les militants libéraux que péquistes, nombreux sont ceux qui peinent à reconnaître la formation qu’ils ont jadis appuyée, celle des réformes ambitieuses et des grands projets, du fédéralisme renouvelé ou de la souveraineté, avec pour souci commun la défense des intérêts supérieurs du Québec.

Le désir de chasser un parti depuis trop longtemps installé au pouvoir ne devrait pas nous faire oublier à quel point c’est encore une fois la santé, et la santé seule, aussi bien celle du corps que celle de l’économie, qui monopolise l’attention.

La décision inusitée de Philippe Couillard de présenter à l’avance ses éventuels ministres de la Santé et du Trésor, le duo Bourdon-Barrette, annonce à laquelle François Legault s’est empressé de répliquer, en vertu d’une véritable rivalité mimétique, par des candidatures de son cru, a confirmé qu’en dépit de toutes les discussions et promesses de campagne, le prochain gouvernement n’aurait aucune autre « vraie » priorité que celle de résoudre par de nouvelles mesures à court terme et de nouvelles injections d’argent la sempiternelle crise du réseau de la santé. 

Et l’éducation ?

Et si la solution aux problèmes de la santé ne se trouvait pas au ministère de la Santé, mais se situait plutôt résolument en amont, dans cet autre champ de compétence provincial crucial pourtant systématiquement négligé par nos gouvernants, celui de l’éducation ?

On se prend à rêver du jour où un chef de parti éprouvera le même empressement, la même fierté à présenter aux Québécois la personne choisie pour diriger le ministère de l’Éducation que celle qu’il éprouve en présentant les éventuels responsables de la Santé et du Trésor, du jour où il fera de l’éducation la grande priorité de son gouvernement en lui donnant l’ampleur d’une véritable vision pensée sur le long terme, où il reconnaîtra, quoi que disent les sondages et les groupes d’intérêt, qu’une société vieillissante n’a pas seulement besoin de soins de santé de qualité et d’une fin de vie vécue dignement, mais aussi, et peut-être surtout, d’un système d’éducation fort, soucieux du commencement de la vie et de son épanouissement.

Depuis longtemps, les programmes électoraux des grands partis font de l’éducation une « priorité », mais on attend toujours.

Pourtant, que le Québec demeure une province ad vitam æternam ou en attendant le grand soir, peu importe : son avenir passe d’abord par l’éducation de ses citoyens, les jeunes comme les moins jeunes, une éducation accessible et disposant de ressources et d’infrastructures de premier ordre, une éducation riche et exigeante, qui recrute et forme les meilleurs professeurs et pousse chacun au dépassement, une éducation qui n’est plus considérée comme un simple poste de dépense, ou comme une source de problèmes (le décrochage, les négociations avec les employés), mais comme l’investissement le plus précieux, une éducation, par conséquent, dont le budget doit être farouchement protégé contre les mesures d’austérité intempestives et les humeurs de nos dirigeants. 

Le gouvernement qui aura le courage d’une telle action menée à long terme ne récoltera sans doute pas tous les fruits de ses efforts, mais il permettra au Québec non seulement de rejoindre toutes les moyennes sur lesquelles il continue d’accuser un retard – y compris en matière économique –, mais de les dépasser pour ne plus jamais regarder en arrière.

Bref, si des élections résolument « provinciales » représentent pour plusieurs une déception, elles offrent aussi une chance à ne pas rater : celle de s’occuper vraiment de ce que nous contrôlons déjà.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.