Chronique

Une erreur inexcusable

À 15 ans, Maïté a tenté de s’enlever la vie.

Aujourd’hui, un peu plus d’un an plus tard, ça va beaucoup mieux, je vous rassure tout de suite. Maïté termine son quatrième secondaire dans une école privée de Montréal et se cherche un job de sauveteur pour l’été dans une piscine publique.

Si je vous en parle, ce n’est pas tant pour vous donner des nouvelles de sa santé que pour vous raconter une situation aberrante, rendue publique sur Facebook par son père, Mathieu Gaudreault. La mère de Maïté, Isabelle Ligot, qui est aussi la conjointe de Mathieu, a changé d’emploi en janvier et travaille maintenant pour une association professionnelle.

Jusque-là, tout va bien.

Ça se gâte quand elle remplit le formulaire du régime d’assurance collective Desjardins de son nouvel employeur. On lui pose des questions sur sa santé et sur celle des membres de sa famille. Elle mentionne les médicaments que prend sa fille Maïté pour soigner son anxiété, des antidépresseurs et des somnifères, et les raisons pour lesquelles ses médicaments lui ont été prescrits.

« Maïté va beaucoup mieux, aujourd’hui, mais il est hors de question de faire une fausse déclaration », m’explique son père.

Les jours et les semaines passent. Puis, mercredi, le verdict tombe : « Tout le monde dans la famille a droit aux médicaments, aux dents propres et aux nouvelles lunettes tous les deux ans. Tout le monde, sauf Maïté, car, comme l’a si bien dit la dame au téléphone : “On ne peut pas vraiment l’assurer, vous comprenez, elle pourrait… Bien, vous savez quoi.” »

Quoi ? Non, on ne sait pas.

Cette histoire, partagée des milliers de fois sur Facebook, a suscité une avalanche de commentaires d’indignation : « Moi, j’irais à la Commission des droits de la personne ! C’est du profilage ! » « Ce n’est pas facile d’être un ado en 2016… » « Touchant et préoccupant cette situation. » « Absolument choquant ! ! ! ! » « Totalement inacceptable ! » « Quelle honte… »

Mais ce n’est pas fini. Un peu avant midi, hier, Mathieu Gaudreault reçoit un coup de fil de Desjardins. L’employée du groupe financier veut obtenir le numéro de téléphone de sa conjointe pour lui parler…

Peu de temps après, j’ai appelé chez Desjardins.

« Bonjour », m’a répondu la conseillère en relations publiques Valérie Lamarre, qui, avant que je puisse expliquer les motifs de mon appel, a ajouté : « Vous appelez au sujet du message de M. Gaudreault ? On était nombreux à essayer de le joindre ce matin. » 

Ça sentait la gestion de crise à plein nez.

Mme Lamarre a promis de me donner des nouvelles. Mais entre-temps, Mathieu Gaudreault m’a appris que Maïté serait finalement assurée. « C’est une erreur administrative », a plaidé Desjardins, en s’excusant. 

« En assurance collective, une condition préexistante ne devrait pas empêcher une personne à charge, comme un enfant ou un conjoint, de bénéficier de la couverture en soins de santé et dentaire, a dit Mme Lamarre, dans un courriel que j’ai reçu en fin d’après-midi. Nous allons bien entendu nous attarder à ce qui a pu mener à cette erreur dans les prochains jours et apporter les améliorations requises à nos processus. Notre priorité aujourd’hui était de revoir rapidement le dossier pour apporter les corrections requises et, ultimement, la paix d’esprit à notre cliente et sa famille. »

Vous y croyez, à l’erreur administrative ?

« Honnêtement, non », m’a répondu M. Gaudreault.

Honnêtement, moi non plus. N’eût été le message publié sur Facebook et ses répercussions négatives pour l’image de l’entreprise, je doute fort que le groupe Desjardins serait revenu aussi vite sur sa décision.

Tout ce que cela nous prouve, c’est l’incroyable force des réseaux sociaux, qui sont en train de changer les règles du jeu des entreprises.

Maïté n’a pas besoin de lunettes et ses parents gagnent suffisamment bien leur vie pour payer ses médicaments. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. « La madame en région qui n’a pas 1000 amis sur Facebook, des amis journalistes capables de “spinner” une nouvelle et les mêmes moyens que moi, elle fait quoi, si sa fille traverse une crise et qu’on refuse de l’assurer ?, demande M. Gaudreault. C’est ça qui me dérange le plus dans cette histoire. C’est ça qui me choque. »

Et c’est la raison pour laquelle il a demandé à sa fille la permission d’en parler.

« J’aimais mieux que ça sorte », confirme Maïté, avant de prendre la direction du centre-ville avec sa copine pour voir le show des Dead Obies aux FrancoFolies. Comme beaucoup d’ados de 16 ans.

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