Médias

La saison de l’impôt : vestige du passé ?

Les plus vieux vous ont-ils déjà raconté qu’à une époque très lointaine, on nous récitait le chapelet tous les matins à la radio ?

On l’a finalement remplacé par les avis de décès.

Ceux-ci ont ensuite cédé le pas aux petites annonces.

En 2017, nous avons vu, lu ou entendu 20 fois plus de contenu sur les trucs technologiques que sur la pauvreté au Québec. Vingt fois plus d’iPod, d’iPhone et de jeux que de pauvreté.

Il y a des modes dans les médias. C’est le jeu du balancier. À l’instar des variations boursières, il y a des thèmes en information qui sont des valeurs haussières et d’autres baissières. Les fluctuations semblent justifiées par les saveurs du jour, les impératifs financiers et les stratégies d’affaires des groupes médiatiques.

La plupart des thèmes qui étaient des services publics ont été remplacés ou surpassés par le divertissement. Les sports, les faits divers, la culture ont pris des allures de divertissement en information. Même la politique ressemble parfois à une série de téléréalité.

La cuisine est aussi un bel exemple. Il y a 20 ans, la cuisine était un service. On expliquait des recettes. Aujourd’hui, plus personne ne vous donnera la composition du ragoût d’Alphonse. « Trouvez-la sur notre site web. » 

La cuisine est devenue un prétexte pour vous faire vivre une émotion. C’est une expérience de téléréalité autour du thème de la cuisine.

Elle n’a jamais été aussi populaire. Pourtant, ça ne vous inspire pas plus l’idée de jouer de la casserole. On n’a jamais fait autant de cuisine dans les médias et on n’a jamais vendu autant de surgelé dans les épiceries. La cuisine occupe 22 fois plus de place dans nos médias qu’au début des années 2000.

Ça nous amène à l’impôt.

Jusqu’en 2007, chaque année, entre le 1er février et le 30 avril, nos médias nous servaient une collection ininterrompue de spécialistes fiscalo-analytico-comptables qui nous expliquaient sans répit comment payer moins d’impôt et nous parlaient de l’importance de contribuer à nos REER.

Entre 2003 et 2018, le poids média de la saison médiatique de l’impôt n’a presque jamais cessé de décroître. C’est un véritable effondrement de l’ordre de 80 % en 15 ans. À la radio, la chute se chiffre à 93 % !

En fait, la seule année où nous avons noté une croissance notable d’intérêt pour le sujet, c’est en 2012. Cette année-là, les spécialistes se disaient très inquiets parce que les Québécois contribuaient de moins en moins à leur fonds de retraite.

Souvenez-vous. Nous croyons encore que l’importance d’un phénomène de société est directement proportionnelle à sa médiatisation. Quand les médias n’en parlent pas ou trop peu, on n’y pense plus.

Si on ne nous rappelle pas chaque année l’importance et les avantages de contribuer à ses REER, l’impact est inévitable sur notre bas de laine.

Avons-nous peur d’ennuyer nos lecteurs, téléspectateurs ou auditeurs ? L’argent est-il une valeur incommodante à ce point ? Heureusement que les McSween, Fillion, Grammond, Vézina, Girard et compagnie ne prennent pas leurs vacances en mars. Sans que vous le sachiez, ils sont devenus un service essentiel.

La saison de l’impôt, c’est la nouvelle économique à sa plus simple expression. Voilà peut-être un début logique d’explication. Au Québec, notre écosystème médiatique accorde 77 % moins de contenu aux nouvelles économiques qu’en Ontario. Ce n’est sans doute pas parce que l’Ontario compte davantage de sièges sociaux. Est-ce trop ennuyant pour nous ? Les Ontariens sont-ils si brillants que ça ?

Non. Sans blague. Soyons sérieux. On parle d’économie, après tout.

Pour revenir à la cuisine, sachez que les galanteries culinaires des Ricardo de ce monde occupent près de 30 % plus de place que tout ce que nous faisons en économie au Québec.

En fait, je trace souvent un parallèle entre les nouvelles économiques et l’information internationale. Les médias affirment souvent que les gens ne sont pas au rendez-vous quand ils abordent ces thèmes avec insistance. En excluant Donald Trump, les nouvelles internationales sont littéralement en chute libre tout comme l’information économique. Pourtant, notre réalité se définit chaque jour en fonction de ce qui se passe ailleurs dans le monde et dans notre portefeuille.

J’ose à peine imaginer un chroniqueur qui placera, dans un avenir prochain, la saison de l’impôt dans la même phrase que le chapelet et les avis de décès.

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