Éditorial François Cardinal

INFRASTRUCTURES DE MOBILITÉ DURABLE
Pourquoi tant de laideur ?

Montréal est une ville qui se marche. Une ville qui se pédale. Une ville qui mise sur les modes de transport alternatifs comme le BIXI et l’autopartage. Et c’est très bien ainsi !

Mais une simple question : pourquoi se soucie-t-on aussi peu de la beauté des infrastructures de mobilité durable ? Pourquoi, autrement dit, se permet-on autant de laideur lorsque le but visé par le mobilier urbain est louable ?

La question peut paraître tirée par les cheveux, mais suivez le guide, vous comprendrez rapidement…

Imaginez-vous dans le secteur le plus touristique de la ville, le Vieux-Montréal. Et mettez-vous dans les souliers d’un croisiériste qui vient d’accoster à la nouvelle gare maritime dans le Vieux-Port.

D’abord, il est frappé par la beauté du grand quai et par l’architecture du terminal. Ça promet !

Puis il quitte la jetée Alexandra et aussitôt… ça se gâte. Il avait lu dans son guide qu’une grande allée piétonne s’étirait le long du fleuve, mais tout ce qu’il aperçoit, c’est une voie qui peut accueillir trois véhicules de large, à laquelle on a ajouté un trottoir.

C’est ça, la voie piétonne magistrale ? Montréal ouvre ses bras aux touristes avec cet axe aux allures d’autoroute ? Et pourquoi, au juste, a-t-on déposé sur ce chemin 50 cloches de béton banales tout autour du terminal comme si c’était une forteresse ?

Tout en se grattant la tête, le touriste décide de marcher vers le Vieux-Montréal, en direction du musée Pointe-à-Callière.

Il arrive rapidement à l’intersection de la rue de Callière, beaucoup trop large pour qu’il se sente en sécurité en la traversant, puis il déambule à droite et à gauche, le long de la rue de la Commune.

En route, il croise de bien belles choses, mais aussi, il faut le dire, deux stationnements disgracieux réservés aux véhicules en partage car2go. Le premier, au coin de la rue Mills, est laid avec ses gros blocs de béton rectangulaires qui jurent avec le pavé installé avec soin. Et le second, à proximité du boulevard Saint-Laurent, est d’une horreur qui rappelle les cours de voirie municipale, et ce, même s’il est situé le long du fleuve, à mi-chemin entre les belles façades du Vieux-Montréal et le Centre des sciences.

Vraiment ? On n’a pas pu faire mieux pour délimiter ce stationnement situé dans l’épicentre touristique de la métropole que ces cubes de béton amochés qui datent probablement des années 80 ? Ben coudon.

Le visiteur poursuit sa balade.

Il remonte la rue McGill, qui a eu droit à une véritable transformation ces dernières décennies. Elle est passée de rue déserte à haut lieu touristique et gastronomique, grâce notamment à de superbes façades patrimoniales.

Mais le regard du touriste est aussitôt attiré vers le milieu de la rue. Il est attiré, plus précisément, vers ces nouvelles tiges vertes en plastique bon marché cordées le long de la piste cyclable.

Qui a eu l’idée de défigurer ainsi McGill avec des dizaines de bollards sans créativité comme on en utilise pour délimiter les entrées de garage à déneiger ?

L’arrondissement de Ville-Marie n’avait pas envie d’imiter Barcelone, disons, où les éléments de marquage sont discrets, à quelques centimètres du sol seulement ?

Le touriste continue de marcher.

Il longe le magnifique square Victoria, puis décide d’aller admirer la place Riopelle, vantée dans son guide comme l’une des plus belles à Montréal.

Il emprunte la rue Saint-Antoine et il croise en chemin ce qui ressemble à de grosses pompes à essence, avec de grands câbles perchés dans les airs et des tuyaux noirs qui traînent au sol. Puis il réalise qu’il s’agit de bornes à voitures électriques. D’horribles bornes de recharge qui ne s’harmonisent nullement au Quartier international.

Et personne n’y voit de problème ? Personne n’a cru nécessaire de trouver des bornes qui s’intègrent au mobilier urbain signé par le grand Michel Dallaire ? Suffit pourtant de croiser des bornes Tesla pour comprendre que l’électricité peut rimer avec beauté…

Le touriste poursuit sa marche et pique vers le nord.

Il bifurque sur Viger pour arriver enfin à la place Jean-Paul-Riopelle, précisément à la bonne heure, alors que la sculpture est mise en valeur par des jets de brume et un cercle de feu impressionnant.

C’est tout simplement magnifique, se dit-il… jusqu’à ce qu’il tente de se positionner pour admirer la place dans sa globalité. Et il se demande alors pourquoi quelqu’un a installé ce « rack » à vélos à cet endroit précis ?

Pourquoi quelqu’un a cru bon placer une rangée de BIXI précisément là où la perspective est la plus intéressante, avec vue sur le mur coloré du Palais des congrès et le parvis du bâtiment de la Caisse de dépôt ?

D’où la question initiale : pourquoi, lorsqu’on implante du mobilier urbain et des infrastructures réservés aux piétons, aux cyclistes et aux abonnés de l’autopartage, a-t-on aussi peu de souci pour leur intégration au paysage urbain ? Pourquoi accepte-t-on autant de laideur lorsqu’on prend le virage de la mobilité durable ? Pourquoi aussi peu d’efforts lorsque le but visé par l’infrastructure est noble ?

Les infrastructures réservées aux piétons et cyclistes devraient être à la hauteur de leur mission, non ?

Bien sûr, on peut se dire qu’il n’y a là rien de dramatique. On peut même se dire que la beauté est toute relative.

Mais pensez-y : ce n’est pas qu’une question de look, de beau ou de pas beau. C’est plutôt une question de design, de conception harmonisée, d’intégration architecturale et urbanistique. N’est-ce pas la base même de ce que devrait être une « Ville UNESCO de design » ?

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