Hockey Entrevue avec Martin Lapointe

Les pièges du métier de hockeyeur

Martin Lapointe n’a jamais oublié sa première leçon dans le monde du hockey professionnel, en 1991.

Le camp des Red Wings de Detroit était vieux de quelques jours. Lapointe flottait encore sur un nuage. Il avait constitué le premier choix des Wings, 10e au total, en juin. On lui avait même offert un premier contrat dans les semaines qui ont suivi.

Au lendemain de son premier match préparatoire, l’entraîneur en chef de l’équipe à l’époque, Bryan Murray, le convoque à son bureau. Il a en mains les résultats des examens de conditionnement physique. L’espoir des Wings affiche un surplus de poids de 20 livres. Murray sait aussi que Lapointe s’est procuré une rutilante voiture sport au cours de l’été.

Murray n’y va pas de main morte. « Pour qui tu te prends ? Penses-tu que tu vas atteindre la LNH comme ça ? »

Lapointe se tape les neuf heures de route qui séparent Detroit de Montréal le même jour, pour regagner les rangs juniors au sein du Titan de Laval.

« Tu as 17 ans, tu viens d’être repêché, tu signes un contrat, tu te vois déjà dans la Ligue nationale, la vie est belle, tu baisses la garde, raconte Lapointe. Tu t’entraînes, mais tu ne sais pas vraiment comment. Tu manges de la pizza la fin de semaine, des hot dogs aussi. J’avais fait tout ce qu’un jeune immature peut faire. Ça a pris quelqu’un pour me réveiller, et ça a été Bryan Murray. Je me sentais humilié. Piqué dans mon orgueil. Je m’étais juré que ça ne se reproduirait plus jamais… »

Lapointe a amassé 55 points en 31 matchs à Laval, cet hiver-là, participé au Championnat mondial junior et disputé des rencontres pour les Red Wings en fin de saison et en séries.

À partir de là, il disputera 991 matchs dans la LNH avec les Red Wings, les Bruins de Boston, les Blackhawks de Chicago et les Sénateurs d’Ottawa. Il remportera deux Coupes Stanley, amassera 381 points, sera reconnu pour son acharnement au travail et son contrat le plus lucratif lui rapportera 20 millions en quatre ans.

Lapointe, 42 ans, connaît les pièges du métier. Qui de mieux pour guider les espoirs du Canadien à titre de directeur du développement des joueurs du CH depuis 2012 ?

« Le pire, c’est que le char a fini dans un poteau après une semaine, dit-il. Je n’avais pas réfléchi. C’était un deux-places, je n’avais même pas d’espace pour ma poche de hockey… »

Lapointe a vite changé de véhicule pour un utilitaire plus sobre. Comment réagit-il lorsqu’il voit l’un de ses espoirs avec une voiture sport un peu trop puissante ?

« Je dirais que les jeunes de nos jours sont plus éduqués, plus sages. Ils font plus attention à leur argent. »

Lapointe vit aujourd’hui à Chicago. Mais il se retrouve toujours dans ses valises. Il parcourt l’Amérique, et le monde, pour suivre les jeunes joueurs de l’organisation.

« Je leur dis d’insister sur leurs forces. Il faut corriger ses faiblesses, évidemment, mais c’est en améliorant ses atouts qu’on atteint la Ligue nationale. »

— Martin Lapointe

La communication et l’ouverture d’esprit sont désormais nécessaires pour aider le jeune hockeyeur moderne à s’épanouir. Lapointe a plutôt été élevé à la dure, par Scotty Bowman, de 1993 à 2001.

« Aujourd’hui, il risquerait de “perdre” une couple de jeunes comme ça. Mais ça fonctionnait avec nous. Il savait tirer le meilleur de chaque joueur. Des gars comme Kris Draper, Darren McCarthy et moi-même, ça nous motivait. Il ne parlait pas à Sergei [Fedorov] et Stevie [Yzerman]. Moi, il ne me lâchait jamais. Quand je croyais avoir joué un bon match, il ne me disait rien. Je me disais qu’à un moment donné, il me dirait que j’avais bien joué, mais il ne m’a jamais dit une seule fois que j’avais joué un bon match. Il voulait nous laisser sur le qui-vive. »

Après sa retraite, en 2008, il a été embauché à titre de dépisteur professionnel pour les Blackhawks de Chicago. Il y a travaillé avec Marc Bergevin.

« Detroit et Chicago, c’est un peu la même école. Il y a un système en place, mais une fois que le système est respecté, tu dois laisser aux joueurs leur créativité. Sinon, tu enlèves au joueur de talent 50 % de ses capacités. C’est ce qu’on fait à Montréal également. »

L’organisation repêche des joueurs selon des critères précis. Lapointe n’en dévoile pas les détails, mais insiste sur un point : « Je peux dire une chose, l’équipe repêche des gars qui ont du caractère. »

Son boulot avec le Canadien lui permet en quelque sorte de boucler la boucle. Après sa décision, en 2001, de choisir les Bruins de Boston plutôt que le Tricolore, qui lui offrait autant d’argent, Lapointe était devenu la brebis galeuse à Montréal.

« Ça a été une période difficile. J’étais nerveux avant les matchs à Montréal. Il fallait que je transforme tout ça en énergie positive, sinon je n’aurais pas été capable de jouer. J’essayais de me motiver, j’étais pompé au maximum avant les matchs. »

— Martin Lapointe

Jouer lui manque-t-il ? « Je m’ennuie des matchs en séries éliminatoires, pas du quotidien de la saison régulière. Je ne pouvais pas m’accorder le moindre congé. Il y avait toujours des jeunes qui me poussaient dans le dos et je ne voulais pas laisser ma place facilement. Au début, c’est facile, tu es jeune, c’est un défi. Mais quand tu vieillis, la force et l’énergie diminuent, tu dois pousser encore plus. À 34, 35 ans, c’est la vitesse qu’on perd en premier. Les gars étaient rendus plus forts, plus rapides. L’exécution était plus rapide que lorsque j’avais commencé. J’avais moins le temps de faire mes jeux. Ça devient frustrant. On ne peut plus faire ce qu’on veut sur la glace. »

On ne peut terminer l’entretien sans lui parler de ses espoirs. La Presse avait demandé, un an plus tôt, à Trevor Timmins de nommer son espoir le plus sous-estimé. Sans vendre la mèche, on pose la même question à Martin Lapointe.

« Sans doute Artturi Lehkonen [choix de deuxième ronde, 55e au total en 2013, derrière Michael McCarron, Jacob De La Rose et Zachary Fucale], répond Lapointe. On aurait pu lui demander de jouer dans la Ligue américaine cette année, mais il est au bon endroit pour se développer à Frolunda, en Suède. Il parviendra à maturité d’ici quelques saisons. »

Qu’avait répondu Timmins l’an dernier ? Lehkonen, lui aussi…

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