le pouvoir insoupçonné des mégadonNées

L’expertise canadienne dans le domaine des mégadonnées politiques se développe et s’exporte, grâce à l’aide d’Ottawa et en profitant de règles parmi les plus permissives. L’une des firmes les plus influentes au pays s’installe ces jours-ci à Montréal, tandis qu’à Victoria, une firme obscure soulève des questions quant à son rôle dans le Brexit. Coup d’œil sur une industrie en expansion.

UN DOSSIER D'HUGO DE GRANDPRÉ

Une influente firme à Montréal

Une société de mégadonnées (big data) politiques aux liens étroits avec les libéraux fédéraux et qui a travaillé sur la campagne d’Emmanuel Macron en France installe son siège social dans le Vieux-Montréal pour poursuivre sa croissance et profiter de la vitalité numérique montréalaise.

Data Sciences inc. (DS) est née de la victoire du Parti libéral du Canada (PLC) aux dernières élections. Tom Pitfield, un ami proche de Justin Trudeau, dirigeait les opérations numériques lors de la dernière campagne.

Avant 2015, les libéraux accusaient un certain retard par rapport aux partis américains ou même aux conservateurs sur le terrain de l’analyse avancée de mégadonnées électorales. Avec d’autres, dont le diplômé en génétique de l’Université McGill Sean Wiltshire, M. Pitfield a élaboré des modèles et techniques qui ont contribué à l’élection-surprise d’un gouvernement libéral majoritaire.

Une fois les élections terminées, M. Pitfield a fondé sa propre firme d’analyse de mégadonnées politiques, qui installe ces jours-ci son siège social dans un bureau de deux étages à Montréal.

« La croissance, pour nous, elle passe par de nouveaux marchés, par de nouveaux contrats dans le corpo, de nouveaux contrats dans le politique. On est dans une position enviable parce que, contrairement à beaucoup de PME, nos clients nous engagent pour du long terme. Donc en termes de stabilité, ça nous permet de gérer la croissance un peu plus facilement », a expliqué Sébastien Fassier, vice-président aux services corporatifs de DS, dans le cadre d’une entrevue dans leurs nouveaux locaux avec La Presse.

Contrat avec les libéraux et Macron

Un tel contrat à long terme a récemment fait sourciller dans les milieux politiques fédéraux : DS a signé une entente exclusive pour gérer le volet données du PLC jusqu’aux prochaines élections. M. Pitfield, en plus d’être ami avec le chef du parti, est marié à Anna Gainey, la présidente du PLC (et fille de Bob Gainey). Son père, Michael Pitfield, a été greffier du Conseil privé et nommé au Sénat par Pierre Elliott Trudeau. M. Fassier a aussi travaillé sur la dernière campagne et est vice-président francophone du PLC.

Le travail de M. Pitfield et de son équipe a été remarqué au-delà de la formation politique et, même, de l’Atlantique : ils ont contribué à l’effort d’analyse de données mené par la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron au premier et, surtout, au deuxième tour en France.

« On a travaillé principalement sur des stratégies de sortie du vote, pour faire en sorte que les taux de participation soient plus élevés, a expliqué M. Fassier, sans donner trop de détails. C’est quelque chose sur lequel on travaille dans la plupart de nos campagnes, généralement par des modèles croisés, c’est-à-dire de savoir qui vote pour toi et qui va aller voter. »

Les règles électorales sont d’ailleurs plus strictes en France qu’au Canada, notamment en ce qui a trait à l’utilisation de données personnelles et à la publicité. Très peu de limites sont imposées aux partis politiques canadiens, bien que les entreprises et les gouvernements soient eux-mêmes sujets à un certain encadrement.

« Pas de retour en arrière »

« En gros, ce qu’on fait [ici, au pays], c’est qu’on aide les partis à utiliser les données dans leurs opérations », explique M. Fassier. Tous les partis reçoivent une liste d’Élections Canada, sur laquelle le nom des électeurs et certaines informations, comme leur adresse, sont inscrites. « À partir de là, on va aider un parti à bonifier les informations qui sont dans ce genre de listes-là. »

Des entreprises comme Cambridge Analytica (voir autre texte) ont contribué récemment à donner une mauvaise réputation au monde des mégadonnées politiques en affirmant qu’elles recueillent un nombre incalculable de renseignements personnels sur les électeurs américains par tous les moyens possibles. Il a d’ailleurs fallu plusieurs semaines à La Presse pour obtenir une entrevue avec DS : ses dirigeants protègent leur image et sont conscients des risques de mauvaise publicité.

Mais M. Fassier et ses collègues sont formels : ils n’utilisent que des renseignements fournis de manière volontaire, comme les courriels que les membres fournissent au parti, les réponses données aux bénévoles qui font du porte-à-porte ou les renseignements tirés du recensement.

Ces informations contribuent à peupler les différentes bases de données internes, qui, à leur tour, alimentent des programmes informatiques qui aideront le parti à microcibler les meilleurs messages à transmettre à tel ou tel petit groupe d’électeurs, de donateurs ou de bénévoles, afin de les inciter à se rendre aux urnes, à contribuer financièrement ou à se porter volontaires.

Dans ce contexte, des publicités sur un site web comme Facebook deviennent des laboratoires à ciel ouvert, où des dizaines de messages sont testés simultanément sur des auditoires microciblés, et modifiés en temps réel pour être adaptés à leur réaction.

Ces techniques sont désormais la norme en matière d’élections au Canada et ailleurs : « À mon sens, il n’y a pas de retour en arrière possible », dit le vice-président.

« De la même manière que les grandes corporations utilisent de la donnée de plus en plus pour mieux cibler leurs clients. […] Les partis politiques, c’est la même chose. »

— Sébastien Fassier, vice-président aux services corporatifs de DS

Pas avec n’importe qui

La trentaine d’employés qui travaille actuellement pour DS est composée entre autres de diplômés du doctorat en psychologie organisationnelle, en génétique, en génie ou en marketing. La société a récemment embauché Sean Hutchison, un ancien de Facebook, comme nouveau président.

Dans l’espace à aire ouverte aux grandes poutres de bois et aux murs de briques apparents, tout le monde a les yeux rivés sur son ordinateur portable. Sur le toit, une grande galerie offre une vue sur les environs, le Vieux-Port et l’île Sainte-Hélène.

L’expérience politique de l’entreprise, précise M. Fassier, lui a permis d’acquérir une expertise dans la mobilisation des électeurs (ou des consommateurs). « On est bons dans l’utilisation du data et du numérique pour induire une action humaine », dit-il.

Et tandis qu’ils poursuivent leurs activités politiques à travers le monde (« Ce ne sont pas des choses qu'on peut révéler maintenant, mais on est actifs dans plusieurs marchés »), les dirigeants de Data Sciences espèrent étendre encore davantage leurs services au secteur commercial – mais pas nécessairement au plus offrant.

« On n’est pas une organisation politique au sens strict du terme. On n’est pas l’organisation d’un parti. Mais on est quand même l’organisation d’un certain courant d’idées, je dirais d’un courant d’idées progressistes. Alors non, on ne travaille pas pour n’importe qui. »

Une entreprise canadienne, le Brexit et Trump

OTTAWA — Le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) a accordé une subvention de 100 000 $ à une PME canadienne touchée par des enquêtes au Royaume-Uni pour son implication dans la campagne référendaire du Brexit et ses liens avec des entreprises proches de Steve Bannon et de Donald Trump, a appris La Presse.

Aggregate IQ (AIQ), une petite entreprise de Colombie-Britannique qui se spécialise dans l’analyse des mégadonnées dans le domaine politique (big data), s’est vu attribuer une large part de sa victoire par le dirigeant de la campagne Vote Leave, David Cummings. « On n’aurait pas pu le faire sans eux », a-t-il déclaré au terme du référendum remporté par seulement 51,9 % des voix en juin 2016.

La présence de cette entreprise étrangère méconnue dans le registre des dépenses électorales a soulevé de nombreuses questions au Royaume-Uni. Le quotidien The Guardian a mené une grande enquête pour explorer les liens entre AIQ et deux entreprises, SCL Group et Cambridge Analytica (CA), elles-mêmes liées à l’entourage de Donald Trump*.

L’entreprise britannique SCL a souvent été qualifiée d’experte dans le domaine de la guerre psychologique, par exemple pour influencer l’opinion publique en territoire ennemi. Elle se décrit ainsi sur son site web : « Fournisseur de données, d’analyses et de stratégies aux gouvernements et aux organisations militaires à travers le monde. Depuis plus de 25 ans, nous menons des programmes de changements de comportements dans plus de 60 pays. »

CA a été créée en tant que filiale américaine de SCL vers 2013, afin de mettre ses compétences à l’œuvre dans le domaine politique aux États-Unis. Elle serait aujourd’hui détenue en partie par le milliardaire Robert Mercer, un partisan de Donald Trump. Steve Bannon, ancien stratège du président et figure de proue du mouvement populiste américain, a siégé à son conseil d’administration et déclaré une participation financière de 1 million de dollars dans l’entreprise lorsqu’il s’est joint à la Maison-Blanche.

CA dit utiliser une technologie mise au point dans des universités américaines et avec laquelle il serait possible de comprendre de manière très précise la personnalité des gens sur la base de leurs activités sur les médias sociaux comme Facebook ou de n’importe quelle empreinte laissée dans le cyberespace. Dans une conférence à l’automne 2016, le PDG de CA, Alexander Nix, s’est vanté d’avoir amassé de 4000 à 5000 points de données sur chacun des quelque 230 millions d’adultes américains.

« Nous avons été capables de former un modèle pour prédire la personnalité de chaque adulte aux États-Unis. »

— Alexander Nix, PDG de CA

Cette connaissance permet ainsi de communiquer avec les électeurs de manière beaucoup plus précise et efficace. « Car c’est la personnalité qui est le moteur des comportements et les comportements, de toute évidence, influencent la manière dont vous votez », a précisé M. Nix.

Des doutes subsistent quant à la crédibilité de ces affirmations et aux techniques réellement utilisées par CA.

On sait cependant qu’il existe bel et bien un lien entre la société canadienne AIQ et la société de communications militaires SCL (avec laquelle CA partage toujours plusieurs adresses à travers le monde). Dans un article intitulé Le grand cambriolage britannique : comment notre démocratie a été détournée, le Guardian a réussi à déterrer une entente de licence de propriété intellectuelle entre les deux entreprises, qui remonte à 2014. De telles ententes peuvent servir pour céder les droits de propriété d’un logiciel, par exemple.

Dans la foulée de ces révélations, les commissariats à l’information et aux élections du Royaume-Uni ont démarré au printemps trois enquêtes pour déterminer la nature et l’ampleur de l’influence exercée par des firmes étrangères d’analyse de mégadonnées sur la victoire du Brexit, ainsi que les liens entre ces entreprises, pour s’assurer que les déclarations de contributions électorales ont été faites selon les règles (aucun service provenant de CA ou de SCL n’a été officiellement déclaré).

Lien canadien

AIQ a été créée en 2013 par deux ex-adjoints politiques aux expériences ancrées dans la technologie et les affaires. Son PDG, Zack Massingham, dans la mi-trentaine, a travaillé sur la campagne à la direction du Parti libéral de Colombie-Britannique de Mike de Jong. Le chef des opérations Jeff Sylvester, dans le début de la quarantaine, a été adjoint de l’ancien député libéral fédéral Keith Martin.

L’entreprise compte une dizaine d’employés. « Nous avons fait du travail au Canada, mais pas autant qu’aux États-Unis et à travers le monde », a expliqué M. Sylvester lors d’un entretien téléphonique avec La Presse. Il prévoit que cette tendance se poursuivra à l’avenir. Il précise qu’il travaille avec tous les partis politiques ou organismes, peu importe leur orientation politique.

Le chef des opérations a expliqué que le travail mené par AIQ lors de la campagne référendaire britannique portait sur la gestion de base de données électorale et sur de la publicité microciblée.

Il reconnaît avoir collaboré avec SCL dans le passé, mais a déclaré : « Nous avons terminé ce travail et n’avons pas eu de contact avec eux depuis presque deux ans. » Il insiste aussi pour dire qu’il n’a pas de lien direct avec Cambridge Analytica.

Pied dans la porte ?

En entrevue avec le Gardian, un ancien employé de SCL avait décrit ainsi le modus operandi de l’entreprise : « La méthode standard de SCL/CA est d’obtenir un contrat gouvernemental du parti au pouvoir. Et ça paie pour le travail politique. C’est souvent un projet de soins de santé bidon qui n’est qu’un écran de fumée pour faire réélire le ministre. »

La subvention de 100 000 $ du CNRC a été accordée à AIQ dans le cadre du Programme d’aide à la recherche industrielle (PARI), qui est venu en aide à 3400 PME canadiennes en 2016-2017. Le budget total est d’environ 300 millions.

Dans l’entente conclue avec l’organisme fédéral, l’entreprise explique qu’elle souhaite développer un outil informatique qui permettrait à ses clients du monde politique de prédire et d’influencer les intentions de vote de manière beaucoup plus efficace qu’avec les sondages traditionnels.

« Comme l’ont démontré les récentes élections entre Trump et Clinton, ou lors du référendum au Royaume-Uni, les compagnies de sondages traditionnels ne sont pas capables de prédire les résultats avec exactitude. Les décideurs politiques se tournent vers l’analyse de données internes pour décider où dépenser de l’argent, allouer des ressources et ultimement, s’ils vont gagner », peut-on lire dans le document.

« La prémisse est un peu ridicule », a tranché le dirigeant d'AIQ, questionné sur cette aide fédérale relativement à la déclaration de l’ancien employé de SCL. Il a souligné que les conservateurs étaient au pouvoir lorsque son entreprise a demandé ce financement, et qu’elle l’a obtenu sous les libéraux. « Et on parle de 100 000 $, a-t-il ajouté. D’un côté, c’est beaucoup d’argent. Mais d’un autre, lorsque vous considérez les salaires des employés, c’est essentiellement un programmeur pendant un an. »

Le far west du big data politique

Cette subvention illustre néanmoins le déséquilibre qui existe entre les règles canadiennes et celles d’ailleurs dans le domaine des mégadonnées politiques, et la place de plus en plus grande que cherchent à occuper des entreprises d’ici à l’échelle internationale, alors que ces approches sont désormais incontournables dans les campagnes électorales modernes.

« Il ne faut pas se leurrer, c’est le far west au Canada sur l’utilisation des données.

— Therry Giasson, professeur de sciences politiques de l’Université Laval

« En France, les partis politiques n’ont pas le droit de monter des bases de données comme ça. La loi l’interdit », compare le professeur.

Ainsi, tandis qu’au Royaume-Uni, des enquêtes sont menées sur les pratiques d’entreprises comme AIQ, au Canada, la principale organisation de recherche du pays l’aide à perfectionner ses méthodes.

Le CNRC a d’ailleurs indiqué que ce n’est pas la première fois qu’il finance le développement de telles technologies : « Le Conseil […] a appuyé des petites et moyennes entreprises (PME) avec le développement technologique d’outils d’analyse pour sonder l’opinion publique dans les médias sociaux (Twitter, Facebook…) », a indiqué un porte-parole par courriel. Aucun financement n’a été accordé à SCL ou CA.

Un projet a été mené avec la multinationale française du secteur de la défense Thales pour analyser de manière automatique des flux de messages publiés sur les médias sociaux afin de prévenir des actes terroristes ou criminels.

Le commissaire à la vie privée du Canada, Daniel Therrien, a récemment tiré la sonnette d’alarme et réclamé l’adoption de règles dans le domaine. Un comité parlementaire a répondu à l’appel en novembre 2016 en disant qu’il examinerait la possibilité d’étudier la question. Près d’un an plus tard et au moment d’écrire ces lignes, aucune étude n’avait encore été menée.

*SCL Group et Cambridge Analytica ont intenté un recours judiciaire contre The Guardian après la publication de ces reportages.

— Avec William Leclerc

LES MÉGADONNÉES EN SIX QUESTIONS

Comment ça s’applique dans le domaine politique ?

Un peu de la même manière que dans le domaine commercial : en menant des études de marché toujours plus précises afin de cibler des groupes d’électeurs de plus en plus restreints avec des messages de plus en plus personnalisés. « Ce que ça signifie, c’est la consolidation de vastes quantités de données sur les électeurs dans de vastes bases de données, explique Colin Bennett, professeur de sciences politiques à l’Université de Victoria. Elles sont utilisées pour profiler les électeurs et déterminer qui sont les partisans les plus probables ou improbables, afin d’envoyer des messages plus précis à ces individus par l’entremise de courriels, sur les médias sociaux, par texte… » En croisant un maximum de données disponibles, il s’agit donc de tenter de prédire le meilleur moyen pour des partis politiques de convaincre des électeurs de voter pour eux, de leur donner de l’argent, de s’enrôler comme bénévoles ou de se rendre aux urnes.

En quoi est-ce différent de ce qui s’est toujours fait ?

Les partis politiques comme les entreprises ont toujours cherché des moyens de communiquer de manière plus efficace avec leurs électeurs ou leurs clients. L’informatique et des technologies comme l'internet ou les téléphones intelligents ont fait exploser le nombre de données disponibles, et la capacité de les analyser. Au Canada, les conservateurs ont fait figure de pionniers lorsqu’ils ont élaboré vers 2004 leur Constituency Information System Management (CISM), qui analysait un ensemble de données sur les électeurs. Aux États-Unis, les campagnes présidentielles de Barack Obama en 2008 et 2012 ont souvent été citées comme des modèles de campagnes numériques basées sur l’analyse des mégadonnées pour optimiser le rendement électoral. Des scientifiques et experts des données peuplent maintenant les war rooms des partis politiques tandis que le marketing politique est entré dans l’ère de la science électorale, décrit le professeur de l’Université Laval Thierry Giasson dans un article publié récemment.

Lesquels de mes renseignements personnels peuvent être recueillis ?

Difficile de le dire avec exactitude, puisque les partis n’ont pas à rendre de comptes sur leurs pratiques. Au Canada, les deux outils de base sont la liste électorale et les courriels. La première est obtenue d’Élections Canada et contient les nom, adresse, sexe et date de naissance des électeurs. Les partis tentent ensuite d’obtenir tout renseignement susceptible d’être pertinent, que ce soit des données de base, comme l’âge, le lieu de résidence, l’occupation, la religion, ou des données plus poussées, comme les interactions et réseaux de contacts sur les médias sociaux ou les positions sur certains enjeux. Ces renseignements peuvent être obtenus lorsque des bénévoles font du porte-à-porte, par exemple, ou en observant la réponse à un courriel de sollicitation ou une publicité sur Facebook. Certaines entreprises vendent de vastes jeux de données ; on ignore dans quelle mesure les partis politiques canadiens sont friands de tels produits.

Quelles règles s’appliquent ?

« L’une des choses qu’il faut réaliser est qu’actuellement, au Canada, les partis ne sont pas couverts par les lois sur la vie privée. Cela signifie qu’ils peuvent récolter et analyser nos données personnelles sans les restrictions typiques imposées au gouvernement ou au secteur privé », explique Colin Bennett. Dans un rapport rédigé récemment pour le Commissaire à la vie privée du Canada, le professeur a expliqué ainsi les conséquences de ce silence législatif : « De façon générale, les personnes n’ont pas le droit légal de savoir quels renseignements contiennent ces bases de données, d’avoir accès aux données et de les faire corriger, de faire retirer leurs renseignements personnels des systèmes ou d’en limiter la collecte, l’utilisation et la communication. Dans l’ensemble, les partis n’ont pas l’obligation légale de conserver cette information de manière sécuritaire, de ne la garder qu’aussi longtemps que nécessaire et d’en contrôler l’accès. »

Qu’est-ce qu’il y a de préoccupant là-dedans ?

Plusieurs éléments préoccupent les experts. « Ces bases de données, elles vivent constamment, elles sont utilisées entre les élections, explique le professeur de sciences politiques Thierry Giasson. Donc ça fait aussi que les dépenses électorales, les vraies dépenses électorales, elles ne sont pas toutes calculées. »

D’autres préoccupations évoquées incluent : 

– les risques de fuites ou de piratage de renseignements personnels ;

– le fait que les politiques sont de plus en plus élaborées en fonction d’objectifs électoraux très précis (par exemple, quelques individus dans une circonscription donnée), parfois au détriment du bien commun ;

– le manque de transparence, de responsabilité et de supervision des partis politiques ;

– le déséquilibre que la technologie peut créer entre les partis eux-mêmes et par rapport au reste de la population.

À quoi peut-on s’attendre dans le futur ?

Le commissaire à la vie privée du Canada, Daniel Therrien, a réclamé l’adoption de règles pour les partis politiques, et un comité parlementaire à Ottawa souhaite étudier la question. « Ce vers quoi on s’en va, d’après moi, c’est davantage de législation », estime le professeur Giasson, faisant écho à l’opinion de plusieurs dans l’industrie. Le Centre de sécurité des télécommunications du Canada entend mener des séances d’information auprès des partis politiques en vue des prochaines élections pour qu’ils apprennent à mieux protéger les données dont ils disposent. Sur le plan technologique, un recours accru à l’intelligence artificielle, à l’apprentissage automatique (machine learning) et aux robots numériques pour continuer à cibler et transmettre des messages politiques pourrait marquer les avancées des prochaines années.

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