Inondations

Legault évoque des « incitatifs à déménager »

Alors que de nombreux Québécois se retrouvent aux prises avec des maisons inondées, le premier ministre, François Legault, était de passage à Laval, hier, où il a évoqué l'idée de forcer des déménagements pour éviter de futures inondations. Pendant ce temps, les services d’urgence, parfois épaulés par l’armée, s’organisent.

Inondations 

« Il faut être lucideS »

Alors que les services d’urgence se mobilisaient à l’échelle du Québec pour porter assistance aux milliers de citoyens inondés, hier, le gouvernement a évoqué la possibilité de forcer des gens à déménager pour éviter que la situation se répète année après année.

L’eau a commencé à infiltrer certaines maisons, à l’île Bigras, qui risque de devenir inaccessible, alors que le seul pont qui la relie à Laval se trouve à peine à quelques centimètres au-dessus du niveau de la rivière des Prairies. C’était le premier point d’arrêt du premier ministre du Québec, François Legault, qui, en sortant de son véhicule, s’est dirigé vers une prestigieuse résidence inondée pour la deuxième fois en trois ans.

« Moi, je suis ici depuis 30 ans, et il n’y a jamais rien eu, lui a expliqué le propriétaire, René Rousseau. C’était mon fonds de pension, vous savez ? J’ai 68 ans et je suis obligé de continuer à travailler. »

En 2017, M. Rousseau a dû investir 243 000 $ pour réparer les dégâts de dame Nature. Il a reçu 16 000 $ en compensations. Sur son terrain, une pancarte à vendre est ceinturée d’eau. Et si le gouvernement rachetait – à prix minime – sa maison ? « Prenez-la et faites ce que vous voulez avec », répond l’homme, abattu.

« Il faut être lucides. Si c’est nécessaire de forcer des gens à se déplacer, il faudra le faire. »

— François Legault, lors de son passage dans la zone menacée par les eaux à Laval

Dans plusieurs régions, notamment le long de la rivière des Mille Îles et de la rivière des Outaouais, les citoyens touchés cette année sont les mêmes qui avaient subi des dégâts en 2017. Environ 5300 résidences avaient été inondées cette année-là, dans des crues d’une ampleur « jamais vue », selon la Sécurité civile.

Si la situation devient redondante, le gouvernement envisage de mettre en place à tout le moins une mesure incitative à la vente pour les riverains en zone critique.

« On est en train de voir dans nos programmes pour qu’il y ait des incitatifs à déménager. On ne veut pas qu’à répétition les contribuables paient pour les dégâts qui surviennent régulièrement », a affirmé François Legault, lors de son passage dans l’île Bigras, à Laval.

« Il y aura un maximum de fixé (100 000 $) et, quand ce maximum-là sera atteint, les gens auront le choix : recevoir l’argent jusqu’au maximum, ou utiliser l’argent pour investir dans une nouvelle maison. Le nouveau système va prévoir un cumulatif au fil des années », a expliqué le premier ministre, rappelant que son gouvernement a mis en place un « nouveau programme d’indemnisation qui va permettre d’indemniser plus rapidement ceux qui auront des pertes » causées par les inondations.

Décisions difficiles

À Rigaud, où au moins 100 maisons étaient touchées par la montée des eaux, 50 isolées par la coupure des routes et 25 carrément inondées, hier, le maire Hans Gruenwald Jr est aussi d’avis qu’en raison des changements climatiques, certains de ses citoyens devront prendre des décisions difficiles bientôt.

« C’est une décision qui va revenir à ces gens-là. Ce n’est pas moi qui ai décidé qu’ils doivent aller rester dans une zone inondable. À un moment donné, il va falloir que ces gens s’interrogent : est-ce que je veux faire ça tous les deux ans ? Tous les quatre ans ? Tous les dix ans ? Je ne sais pas », dit-il.

Alors que plusieurs résidants de la municipalité se déplaçaient dans les rues, immergés dans l’eau jusqu’aux hanches, il s’est félicité du projet du gouvernement de faciliter le déménagement des résidants qui habitent les zones les plus à risque.

« J’ai suivi le cours d’Al Gore sur les changements climatiques. J’ai été me renseigner. Et M. Gore, il dit que ce n’est que le début du changement. Alors il faut prendre ça au sérieux. Et je pense qu’avec ce qui est arrivé, une deuxième crue aussi importante deux ans après, là le monde tout à coup se dit : “ça arrive, nous voilà dedans”. »

« À la MRC, on a mis des mesures en place pour gérer n’importe quel sinistre, de n’importe quel niveau. Parce que c’est ça qui s’en vient. »

— Hans Gruenwald Jr

M. Gruenwald a tout de même bon espoir pour la suite des choses. « La résilience des Québécois est énorme », dit-il.

Quelques rues plus loin, abritée derrière la véritable palissade construite par son fils pour protéger sa maison des eaux, Ginette Desgroseillers a balayé du revers de la main toute idée de déménagement.

« Ils m’ont offert de partir, mais l’argent qu’ils m’offrent, je n’en veux pas. Ils me disent de prendre un appartement, mais avec mon chien et mes chats… Ici, c’est chez moi, c’est mon paradis terrestre. Même si, en ce moment, c’est plus comme Venise », ironise-t-elle.

Mieux préparés

En général, tant les citoyens que les autorités étaient mieux préparés à affronter la situation cette année qu’il y a deux ans.

« On a appris de 2017 », a souligné la ministre de la Santé, Danielle McCann, lors d’une visite dans un centre d’aide aux sinistrés, où s’activaient des travailleurs du réseau de la santé, dans la bibliothèque municipale de Rigaud, hier après-midi.

« Ça fonctionne mieux », a-t-elle dit, après avoir discuté avec les services d’urgence et une partie de la cinquantaine de familles qui ont dû quitter leur maison en bordure de la rivière des Outaouais.

Les personnes évacuées seront relogées à l’hôtel grâce à l’aide de la Croix-Rouge.

« Il faut tenir compte que des citoyens vivent pour la deuxième fois un épisode comme celui-ci, et nous sommes sensibles à ça. »

— Danielle McCann

Selon elle, il est impossible de dire combien de temps les gens resteront à l’hôtel.

« On n’a pas encore vécu le pic de la situation », observe-t-elle. Le niveau de l’eau continuait en effet de monter hier après-midi.

Du côté de L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève, lieu du deuxième arrêt du premier ministre, des bénévoles se comptant par dizaines remplissaient des sacs de sable à son arrivée.

« Je ne pouvais pas juste rester chez moi et regarder ce qui se passait à la télévision. Ça peut arriver à n’importe qui d’avoir besoin d’aide, et on doit aider notre communauté », a témoigné Sabrina Stoute, qui coordonnait une partie des bénévoles qu’elle a réunis grâce à sa page Facebook « Operation MTL flood 2019-Helping hands ».

« La préparation va bien », s’est réjouie la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qui était aussi sur place. « On se donne 72 heures pour terminer le travail déjà bien avancé. Ça n’a rien à voir avec la situation de 2017, où on était en réaction. »

Tous disent avoir tiré des leçons de 2017. L’armée, qui a normalement le mandat d’agir en dernier recours, a accepté de couper court aux procédures et de venir en aide aux municipalités dont la préparation était la plus urgente. Le premier ministre a d’ailleurs remercié les Forces armées canadiennes, qui ont « accepté, malgré les protocoles, de venir rapidement ».

Inondations

« C’est dans ces temps-là que tu vois qui sont tes vrais amis »

Rigaud — Cette fois, la famille Rodi n’avait pas l’intention de laisser l’eau ruiner sa maison, comme en 2017. Mais le travail à faire pour protéger le bâtiment semblait titanesque. Jusqu’à ce que ses amis débarquent avec 25 paires de bras et de la machinerie lourde.

« C’est dans ces temps-là que tu vois qui sont tes vrais amis », se réjouit Sylvain Rodi, flanqué de son fils Marc-Alexandre.

Les riverains comptent sur un système de défense impressionnant pour empêcher la rivière des Outaouais d’envahir la maison. Trois pompes fonctionnent à plein régime au sous-sol. Un passage sur le terrain a été remblayé en vitesse. Une digue de 1200 sacs de sable remplis à la main ceinture le bâtiment.

Des pieux de métal sont plantés dans l’eau devant la digue pour tenir à distance les gros blocs de glace qui dérivent dans la rivière des Outaouais, afin d’éviter qu’ils endommagent l’ouvrage. Des caméras de surveillance permettent à la famille de surveiller l’évolution de la situation même lorsqu’elle doit sortir.

« La dernière fois, on n’était pas préparés du tout, c’est arrivé d’un coup, bing bang ! Mais là, regardez notre digue : ça va en prendre, de l’eau, pour traverser ça », lance Sylvain Rodi.

Main-d’œuvre, machinerie et pizza

Plusieurs générations de Rodi ont occupé les lieux. Les grands-parents de Sylvain Rodi y ont habité, puis sa mère s’y est installée, y vivant jusqu’à son décès à 88 ans, en 2017. La maison est maintenant utilisée comme résidence secondaire quatre saisons par la famille, qui habite Blainville. « C’est patrimonial pour nous », explique M. Rodi.

Quand ils ont commencé à se préparer aux inondations, ces derniers jours, ils ont eu la chance de recevoir l’aide d’un ami entrepreneur en construction résidentielle, qui a emmené 25 travailleurs pour mettre la main à la pâte. Un autre ami propriétaire d’une entreprise de déneigement a fourni de la machinerie lourde pour les travaux. De purs inconnus sont venus apporter un complément de sacs de sable, et le restaurant du coin a fourni de la pizza à tout le monde.

« Ils prennent soin de nous autres, et c’est super apprécié », lance Sylvain Rodi. Contrairement à plusieurs résidants du coin, ils réussissaient toujours à garder l’intérieur sec, hier. Au prix d’efforts considérables.

« On n’a pas dormi trop, trop, il faut vérifier les pompes toutes les 15 minutes », souligne Marc-Alexandre Rodi.

« On va rester jusqu’à la dernière minute. Parce que c’est considéré comme une résidence secondaire ici, on n’est pas dédommagé pour ça. La dernière fois, on a tout perdu », renchérit son père.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.