OPINIONs CONSTITUTION canadienne

Voici deux réactions à l’appel lancé par le premier ministre Couillard à relancer le dialogue sur la Constitution.

Opinion : Constitution

Meech à la sauce contemporaine

Au risque d’employer un euphémisme, la surprise se veut majeure : le gouvernement Couillard a annoncé jeudi son intention de renouer, avec ses partenaires fédéraux, la conversation constitutionnelle. À la fois porteuse, audacieuse et hasardeuse, l’opération consiste à adapter, à la sauce contemporaine, les cinq conditions afférentes à l’accord du lac Meech.

Cela, disions-nous, a de quoi surprendre. Particulièrement dans un contexte où une nouvelle génération d’électeurs, nommément celle des 18-30 ans a, au mieux, eu vent du projet par l’entremise des médias, de la littérature ou de témoignages.

Me souviens encore de cette étudiante qui me pose, l’air hagard, cette question en plein cours de droit constitutionnel : « Monsieur, vous nous parlez de Meech depuis déjà 10 minutes, mais pourriez-vous au moins nous dire c’est qui ? » Excellente question, madame.

Quoi qu’il en soit, et si le passé est effectivement garant de l’avenir, quid du contenu de Meech et de sa modulation 2.0. ?

La reconnaissance de la société distincte ou de la nation québécoise

Pièce maîtresse de l’entente des discussions de 1987, la portée réelle de la constitutionnalisation de ladite reconnaissance restait néanmoins des plus vagues. Ce flou artistique, aux desseins manifestement stratégiques, était sciemment entretenu par Lowell Murray, ministre alors responsable de l’accord au sein du gouvernement Mulroney. Aux questions des journalistes québécois à savoir si la clause de société distincte allait accorder plus de pouvoirs au Québec, Murray répondait un retentissant : « Mais oui ! » De l’autre côté du canal Rideau, la réponse était pour le moins dissonante : « Of course not ! » Cela demeura, jusqu’à la fin, l’un des talons d’Achille de l’entente.

En réalité ? Difficile de voir autre chose qu’une clause interprétative, imposant aux juges un prisme analytique sensible au caractère distinct québécois.

Bien qu’informelle, cette pratique favorisant l’asymétrie est d’ores et déjà ancrée à la Cour suprême, particulièrement en matière linguistique.

La constitutionnaliser se ferait, par voie de conséquence, à peu de frais.

Le droit de veto « du Québec »

Autre point névralgique de la vente de Meech aux Québécois, le veto en question visait à transférer les matières de l’article 42 de la Loi constitutionnelle de 1867 (communément appelée formule du 7/50) à même la formule de l’unanimité. Conséquemment, l’ensemble des provinces aurait du fait obtenu, pour ces matières précises (par exemple les pouvoirs du Sénat canadien), un veto. Contrairement à ce qui fut alors représenté, aucun traitement spécial ou particulier pour le Québec.

La proposition d’aujourd’hui ? Plus honnête et transparente. Il s’agirait simplement de constitutionnaliser la Loi concernant les modifications constitutionnelles, laquelle prévoit un veto, pour tout changement afférent à l’article 42 précité, à quelques provinces précises, dont le Québec.

La nomination de trois juges québécois à la Cour suprême

La doctrine canadienne s’était, à l’époque de Meech, enflammée du débat suivant : la garantie des trois postes de juges québécois prévue à la Loi sur la Cour suprême faisait-elle, le cas échéant, partie de la Constitution formelle du pays ? Indubitablement, une réponse par la négative rendait toute pertinente cette condition de l’Accord.

Le plus haut tribunal du pays a, lors du Renvoi sur les articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême, mis fin à l’affaire : au nom de la protection des valeurs sociales et de la tradition juridique distincte du Québec, la garantie est, dit la Cour, constitutionnalisée.

Dans cette même veine, une participation accrue du gouvernement québécois quant à la nomination de ces mêmes juges semble, à notre sens, couler de source.

La limitation du pouvoir fédéral de dépenser

Cette autre condition de Meech tenait, quand on y pense, de la quasi-supercherie.

Pourquoi ? Parce que la mesure s’appliquait, nous dit l’Accord, aux seuls programmes conjoints (fédéraux et provinciaux) éventuels. Le problème ? Que ceux-ci, au moment de l’annonce de l’Accord, relevaient déjà d’une autre époque, le gouvernement fédéral ayant déjà annoncé, pour fins budgétaires, son refus de participer à de nouveaux programmes du genre.

Heureusement, la proposition récente du PLQ se veut davantage pragmatique et conforme à la réalité : constitutionnaliser le concept du retrait avec juste compensation financière pour l’ensemble des programmes fédéraux (et non seulement conjoints). Cela en viendrait à confirmer, de fait, une pratique déjà existante (pensons à l’entente sur les congés parentaux).

Des pouvoirs accrus en matière d’immigration

L’échec de Meech n’a pas empêché les parties intéressées à conclure, conformément à celui-ci, une entente visant à accorder davantage de pouvoirs au Québec en matière d’immigration. C’est ainsi que l’accord Gagnon Tremblay–McDougall a amené la province à obtenir, entre autres choses, un plus grand contrôle quant à l’accueil et à l’intégration de ses immigrants.

La proposition actuellement sur table constitutionnaliserait, dans l’essence, ce dernier accord.

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Il est ainsi loisible de conclure que l’opération lancée par le gouvernement Couillard relève, à maints niveaux, d’une compréhension marquée et sentie d’un sujet souvent détourné à des fins partisanes ou populistes.

En refusant de renouer avec les manœuvres de l’ancêtre Meech, nul doute que cela lui donne la crédibilité nécessaire afin de convaincre, ultimement, les autres leaders politiques de la pertinence de ses propositions, celles-ci consistant simplement à reconnaître, constitutionnellement et symboliquement, quelques pratiques déjà ancrées dans une réalité toute canadienne. Puissent certains, le gouvernement Trudeau au premier chef, en prendre acte…

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