Exposition à la galerie Got de Montréal

Un célèbre photographe américain rattrapé par la controverse

Des médias allèguent que certaines de ses photos ont été retouchées

Célébré à travers le monde, le photographe Steve McCurry a pourtant inauguré sa première exposition montréalaise sur fond de controverse hier. Des médias américains et une association de photojournalistes remettent en doute l’éthique du photographe en alléguant que certaines de ses photos ont été modifiées et retouchées.

Connu mondialement pour la photo d’une réfugiée afghane au regard vert perçant publiée en couverture du National Geographic en 1985, le photographe nage en eaux troubles depuis qu’une photo truquée a été repérée par un photographe au début du mois lors d’une exposition visitée par 700 000 personnes en Italie.

Sur la photo prise à Cuba et relayée par le site PetaPixel, un panneau de signalisation a été déplacé partiellement à l’aide d’un logiciel de retouche. L’affaire a vite fait scandale.

À la suite d’une enquête, l’agence Magnum et le National Geographic ont tous deux retiré certaines œuvres de M. McCurry de leurs sites web et médias sociaux respectifs.

À SON INSU

Interrogé par La Presse sur le sujet hier, le principal intéressé a affirmé que les modifications qui lui sont reprochées ont été faites à son insu. « J’ai voyagé beaucoup cette année. J’ai passé tout juste 10 jours à la maison et il y a une photo qui a été modifiée dans le studio. Je ne l’ai pas vue ou approuvée. C’est un problème. Quand je vais retourner, je vais regarder les photos et corriger les erreurs », a dit le photographe hier lors d’une rencontre avec les médias. 

Cette dernière précédait le vernissage de son exposition à la galerie Got, une galerie d’art qui a vu le jour à Paris et qui inaugurait hier ses nouveaux locaux montréalais dans le Vieux-Montréal.

« Photoshop est un outil qui peut être utilisé pour corriger les couleurs et tout le monde fait ça. Mais ajouter et soustraire des choses, ça ne devrait pas être fait. »

— Steve McCurry

Le photographe a été couronné maintes fois pour son travail de photojournaliste. Il a notamment remporté le grand prix du World Press Photo, en quelque sorte l’Oscar de la photographie d’actualité.

« JE NE SUIS PAS PHOTOJOURNALISTE »

En entrevue, Steve McCurry se distancie du photojournalisme. « Je ne suis pas photojournaliste. Je voyage dans le monde et je raconte des histoires avec mes images. Je ne travaille plus pour des magazines ou des médias d’actualité depuis longtemps. Je n’ai pas mis les pieds dans une zone de conflit depuis 1992 », dit celui qui affirme se consacrer uniquement à des projets personnels. « Je fais de la photographie de mode, des projets commerciaux aussi », note-t-il.

Aujourd’hui, l’homme est à lui seul une entreprise. Son travail est actuellement exposé dans au moins neuf endroits autour du monde et il vient tout juste de lancer son 15e livre.

Les explications de M. McCurry ne convainquent pas le comité d’éthique de l’Association nationale des photographes de presse (NPPA) des États-Unis, qui a publié un communiqué sévère à l’endroit du photographe, mercredi soir.

« Se distancer du photojournalisme, sur lequel McCurry a bâti sa carrière, ne sera pas aussi facile que de diffuser un communiqué de presse et s’autoproclamer photographe artistique », peut-on lire dans un énoncé de l’association.

« Nonobstant le titre [qu’il] se donne aujourd’hui, [Steve McMurry] a la responsabilité de respecter les standards éthiques de ses pairs et du public, qui voit en lui un photojournaliste », écrit le comité, qui conclut que « toute altération de la vérité constitue un manquement à l’éthique ».

À la galerie Got, qui expose les œuvres de M. McCurry, on refusait hier de faire le procès du photographe. « Je viens tout juste d’en entendre parler et je n’ai pas eu le temps de me pencher sur la question », a dit le directeur de la galerie de la rue Saint-Paul Ouest, Sébastien Pronovost. « Ce que nous présentons, c’est le regard d’un artiste. Qui sommes-nous pour juger de son regard ? », ajoute M. Pronovost.

40 ans de photographie

Originaire de Philadelphie, Steve McCurry a commencé sa carrière dans un journal étudiant. Après avoir passé deux ans dans un quotidien de Pennsylvanie, il a mis le cap sur l’Inde. En 1978, il est vite devenu célèbre après avoir été le premier photographe occidental à publier des photos de l’Afghanistan après le début de la guerre civile de 1978. C’est sept ans plus tard, dans un camp de réfugiés du Pakistan, qu’il a immortalisé le regard effrayé de l’Afghane Sharbat Gula. En 2002, il a retracé la femme qui ignorait tout de sa propre célébrité. Il affirme que l’Afghane, aujourd’hui mariée et mère de trois enfants, a reçu une compensation de la part du National Geographic. Les portraits sont vite devenus la signature de Steve McCurry, qui a immortalisé au cours des 40 dernières années tant des agricultrices indiennes que des pêcheurs sri-lankais ou encore des moines birmans.

Un regard impérialiste ?

En plus du scandale des photos retouchées, des critiques se sont élevées au cours des dernières semaines contre M. McCurry, notamment dans le magazine Wired ainsi que dans les pages du New York Times, l’accusant de porter un regard « impérialiste » occidental sur ses sujets du monde émergent. Le photographe rejette l’accusation. « Ça fait 150 ans que des photographes voyagent et prennent des photos de ce qu’ils voient. Bien sûr, nous voyons le monde à travers nos propres yeux. Certains aiment prendre des photos de fissures dans le trottoir, d’autres de chauves-souris, moi, j’aime prendre des photos des gens. Je n’essaie pas de documenter les endroits où je vais en entier. Je choisis de prendre des photos des choses qui m’intéressent, que je trouve curieuses. Il y a beaucoup de poésie dans le monde », note-t-il.

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