Analyse

L’affront à Barrette risque de rattraper Couillard

Dans le brouhaha de la fin de l’année, la manœuvre a eu peu d’échos. La session était terminée à l’Assemblée nationale et le sujet n’a pas soulevé le débat prévisible, mais la destitution du ministre de la Santé Gaétan Barrette de ses principaux mandats laissera des traces.

Dans les minutes qui ont précédé la dernière séance du Conseil des ministres de l’année, le bouillant ministre Barrette avait été convoqué au bureau du premier ministre. On lui a appris sans détour qu’il ne serait plus responsable de l’application des lois 20 et 130, des mesures qui constituaient ses principales réalisations depuis trois ans et demi.

Très amer, selon des proches, Gaétan Barrette s’est retiré dans ses terres durant toute la période des Fêtes. Il vient de réapparaître pour expliquer les conséquences du retour annuel de l’épidémie d’influenza – un passage obligé pour chaque ministre de la Santé en début d’année. À son heure, Pauline Marois avait dû suspendre des vacances dans le Sud le temps d’un point de presse à Montréal.

Joint cette semaine, après sa retraite fermée à North Hatley, Barrette refuse de s’épancher. Une seule déclaration, pas question pour lui de quitter le navire. 

« Je ne commenterai pas ce qui est arrivé en décembre, mais j’ai l’intention ferme de me présenter aux prochaines élections. » — Gaétan Barrette

Dans l’organisation du Parti libéral, on a donné le feu vert aux militants libéraux pour qu’ils sollicitent des renouvellements de « membership », le passage obligé pour la tenue de l’assemblée d’investiture du candidat Barrette dans La Pinière.

Depuis des mois, il n’était plus officiellement responsable des négociations avec les médecins, spécialistes et omnipraticiens – Maurice Charlebois, le négociateur du gouvernement, relevait du président du Conseil du trésor, Pierre Moreau d’abord, puis plus récemment Pierre Arcand. Mais Barrette tirait des ficelles derrière.

Mais le ministre Barrette, c’est connu, est depuis longtemps en conflit larvé avec le secrétaire général du gouvernement, Juan Roberto Iglesias. Médecin aussi, Iglesias estimait que le Dr Barrette se servait des discussions sur l’application des deux lois pour intervenir indirectement dans la négociation. Le ministre Barrette menaçait même de légiférer pour imposer ses vues – le projet de loi était dans les cartons du ministre de la Santé.

Quand les spécialistes ont menacé de poursuivre le gouvernement pour faire annuler certaines dispositions de la loi 130, qui imposeraient des conditions à leur droit de pratique en hôpital, c’en était trop. À quelques mois des élections générales, Philippe Couillard ne souhaitait pas d’affrontement avec les spécialistes.

Se faire enlever son dossier était déjà une insulte pour Gaétan Barrette, le deuxième soufflet est tombé quand on lui a appris que ce serait Iglesias, son rival, qui se verrait confier le mandat de mener le navire à bon port.

L’ami de longue date de Philippe Couillard a quitté son poste de secrétaire général du gouvernement, mais il conserve, jusqu’en juin, un traitement de 261 000 $, comme responsable des négos avec les spécialistes – un décret dont le cabinet de M. Couillard a volontairement retardé la publication.

Le scénario de la rentrée parlementaire à partir du 6 février paraît tracé d’avance. Bien sûr, c’était prévisible, le procès de Nathalie Normandeau et de Marc Yvan Côté à compter du début d’avril, avec ses révélations quotidiennes sur le financement du PLQ, aura l’effet d’un supplice chinois, jusqu’à la fin de la session parlementaire en juin.

Mais l’opposition aura un deux pour un. Elle pourra bombarder Philippe Couillard pour avoir ainsi désavoué son ministre de la Santé. Barrette était déjà une cible de prédilection pour les adversaires péquistes et caquistes. Frappé par un tir fratricide, il est devenu encore plus vulnérable. Les spécialistes pourront tordre des bras pour atteindre leur objectif, l’abrogation des lois 130 et 20. Pour Gaétan Barrette, le verdict serait dur à avaler : plus de trois ans d’efforts disparus en fumée.

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