PORTRAIT  LE PÈRE COUTURIER

Le prêtre qui était cordonnier

Depuis 18 ans, tous les jeudis, le père Jean-Pierre Couturier occupe sa journée de congé en faisant la cueillette de chaussures, qu’il répare et destine à la Maison du Père. La Presse a suivi la tournée de ce prêtre, cordonnier pour les sans-abri.

Dans le tréfonds de la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde, loin des dorures et des fioritures, se trouve un long établi rempli de chaussures pêle-mêle, éclairé par une ampoule nue. Tout à côté, une étagère débordante de matériel servant aux travaux de cordonnerie. Depuis trois ans, le père Couturier est assisté par Alexandra Fol, qui est organiste dans sa paroisse.

L’aventure a commencé avec un sans-abri nommé Jean-Paul, qui passait ses journées à Marie-Reine-du-Monde et qui, un jour, a attiré l’attention à cause de l’odeur nauséabonde qu’il dégageait. Le père Couturier, alors vicaire à la cathédrale, a découvert que l’homme avait les pieds gangrenés. Il l’a accompagné pour des soins et lui a procuré des chaussures.

Depuis que le père Couturier s’est engagé à chausser les sans-abri de Montréal, en 1997, le cordonnier Ghislain Anctil est devenu son complice. En plus de faire gracieusement des réparations (seuls les matériaux sont payés) pour le père Couturier dans sa petite boutique de la Place Ville Marie, M. Anctil lui a appris les rudiments du métier.

Peu importe le temps qu’il fait, Jean-Pierre Couturier sillonne les rues du centre-ville de Montréal tous les jeudis pour faire la cueillette de chaussures laissées par des clients dans les magasins. « La constance est très importante. Il faut venir chaque semaine, sinon on oublie « le petit père » et on recommence à jeter », explique le prêtre.

Au fil des ans, Jean-Pierre Couturier a conclu des ententes avec des commerçants qui acceptent de mettre de côté des chaussures pour son œuvre. Une simple poignée de main fait foi de tout. Lors de son passage, au début de décembre, 16 paires de chaussures ont ainsi été amassées. « Je peux vous dire que des gens jettent leurs choux gras », estime-t-il.

Derrière le bénévolat de Jean-Pierre Couturier et Alexandra Fol se cache une étroite collaboration musicale. Les deux sont diplômés de McGill : il est baryton et elle est docteure en musique contemporaine. Ensemble, ils préparent un disque qui sera lancé le printemps prochain ; Mme Fol a mis en musique les fables de son grand-père bulgare.

À travers les nombreux va-et-vient dans les magasins de chaussures, l’abbé Couturier et Mme Fol prennent un temps d’arrêt avec La Presse. Le père Couturier raconte sa vocation tardive (ordonné prêtre à 35 ans) : « C’est la musique qui m’a ramené à la religion. C’était plus qu’un appel. Ç’a été une rencontre. »

Après plus d’une heure d’une tournée des magasins qui avait des allures de marathon, il est temps de se rendre à l’atelier pour se lancer dans la cordonnerie. Première étape : faire le tri. Les chaussures robustes pour hommes seront réparées et remises à la Maison du Père. Celles plus fines, dont les chaussures pour dames, seront réparées et expédiées dans un vestiaire communautaire.

« Où est son frère ? », lance le père Couturier en brandissant une chaussure orpheline. « J’aime ça, la cordonnerie, parce que c’est très concret. On voit des résultats immédiats alors que travailler avec les âmes, vous savez, c’est plus lent et plus obscur », souligne-t-il avec un sourire en coin.

Pendant que le père Couturier taille une semelle, on lui fait remarquer que son cheminement à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde est hors norme : de chantre (pendant plus de 15 ans), à vicaire puis à cordonnier. « J’ai commencé par le sanctuaire et je termine dans la cave de la cathédrale ! », dit-il à la blague.

Le tourbillon s’achève. Les chaussures ont été collées, nettoyées, classées, et Alexandra Fol ne cache pas son plaisir. « Il est tellement généreux !, dit-elle en parlant de son partenaire de travail. Et il m’enseigne la cordonnerie parce qu’à deux, ça va plus vite », ajoute-t-elle avant une dernière vérification des boîtes destinées à la Maison du Père.

Jean-François Bigras, qui est résidant de la Maison du Père depuis maintenant un an, choisit des bottes. C’est ici que le résultat du travail de Jean-Pierre Couturier atterrit, mais comme chaque année, il manque cruellement de chaussures de grandes pointures (11 et 12), fait-il remarquer. Peut-être que sa tournée de jeudi prochain sera plus prolifique ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.