Chronique

Santé : constat alarmant sur le manque d’innovation

Depuis 20 ans, les dépenses publiques de santé au Québec augmentent bien plus vite que la croissance de l’économie. Ce rythme est insoutenable et il faut donc faire une grande place à l’innovation pour offrir les services d’une manière différente, plus intelligente et plus efficace.

Or, l’une des grandes lacunes du système de santé du Québec est justement ses lourdes carences en matière d’innovation. Les problèmes sont très nombreux : manque de vision du gouvernement, structures de décisions centralisées ne favorisant pas l’autonomie, conventions collectives et ordres professionnels sclérosants, rémunération et financement mal adaptés, etc.

Ce n’est pas moi qui le dis. Ce constat alarmant vient d’une étude du CIRANO sur le sujet intitulée « Catalyseurs et freins à l’innovation en santé au Québec ». Les chercheurs ont demandé à cinq groupes distincts du secteur de la santé leur appréciation de 28 facteurs clés pour l’innovation. Résultat : aucun de ces 28 facteurs n’est significativement présent au Québec, disent-ils. Aucun !

« Le problème, c’est que les obstacles au déploiement des innovations dans le système sont nombreux et souvent insurmontables […] La tâche qui attend le Québec est colossale », conclut le rapport, rendu public au début du mois de juillet.

L’étude a été menée par trois chercheurs du module Pôle Santé HEC, soit Nadia Benomar, Joanne Castonguay et Marie-Hélène Jobin, et par le médecin François Lespérance, professeur à l’Université de Montréal. Pôle Santé HEC se consacre aux problèmes de gestion en santé et en services sociaux.

Les chercheurs ont d’abord passé en revue les recherches mondiales sur l’innovation en santé et établissent une liste de 28 critères jugés fondamentaux pour l’innovation. Ils ont ensuite soumis ces 28 facteurs à 47 personnes de 5 groupes distincts (milieu clinique, fonds de recherche, milieu pharmaceutique, consultants, agences gouvernementales ou syndicales).

Ces 47 personnes ont été appelées à qualifier l’importance des 28 facteurs pour l’innovation et à indiquer s’ils étaient d’accord ou non pour dire que ces facteurs sont présents dans notre système de santé.

Premier thème : les facteurs environnementaux (culture d’innovation, autonomie, etc.). Selon l’étude, les 47 participants estiment que « le gouvernement mise peu sur le développement d’un environnement favorable à l’innovation », notamment parce qu’il ne favorise pas l’autonomie dans l’application de solutions.

Deuxième thème : les facteurs sociopolitiques. Les personnes questionnées jugent que le gouvernement n’a pas clairement énoncé sa vision du système de santé, pas plus qu’il n’a indiqué son intention de miser sur l’innovation.

SYNDICATS ET ORDRES PROFESSIONNELS

Les facteurs réglementaires, soit le troisième thème des chercheurs, recueillent aussi bien peu de commentaires favorables. Selon les 47 participants, les ordres professionnels, les conventions collectives ou les ententes avec les fédérations (de médecins ou autres) sont de nature à freiner l’innovation.

Enfin, les structures organisationnelles (décisions centralisées et en silo), de même que les modèles d’affaires des organisations (financement, rémunération, transparence) ne favorisent pas davantage l’innovation, selon eux. Par exemple, les 47 participants ne sont pas d’accord pour dire que la rémunération incitative des médecins favorise l’amélioration de la valeur des services aux patients.

Conclusion semblable pour le leadership et les compétences dans le réseau. « Le constat est clair et inquiétant », disent les auteurs de l’étude.

Le constat est d’autant plus inquiétant que les dépenses de santé seront sous pression au cours des prochaines années, avec le vieillissement de la population.

L’étude rappelle que le coût annuel moyen de santé augmente progressivement avec l’âge. Il est de 1874 $ pour les gens âgés de 30 à 49 ans, comparativement à 4005 $ pour les 60-64 ans et 12 645 $ pour les 75-84 ans.

Le Québec n’est pas la seule nation à avoir vu ses dépenses de santé augmenter plus vite que le rythme de l’économie ces dernières années. Le dépassement budgétaire en santé est un problème récurrent dans la plupart des pays industrialisés.

Toutefois, notre innovation fait clairement défaut. « Pour faire face aux nombreux défis, il semble impératif d’embrasser de nouveaux points de vue. Parmi les réformes qui ont été lancées dans le monde entier pour aborder ces enjeux, celles qui apparaissent les plus prometteuses jusqu’à présent font la part belle à l’innovation.

« Ces réformes ne se contentent pas de financer de nouvelles initiatives ; elles s’inscrivent au contraire dans une réflexion plus profonde sur ce qui vient favoriser le développement d’une culture d’innovation au sein de notre système de santé », écrivent les auteurs, qui feront un autre rapport et des recommandations concrètes au gouvernement.

Bref, il est temps qu’on se retrousse les manches et qu’on change nos façons de faire. Pour y arriver, toutefois, il faudra une réelle écoute des doléances des parties, jumelée à des critiques constructives, une volonté d’aller de l’avant et du leadership.

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