La fabuleuse histoire (d’emploi) de Youssef et d’Arnaud
Une bibliothèque, c’est un haut lieu de lecture, de savoir, de culture. Et une bibliothèque, c’est calme, c’est propre, c’est ordonné. Les choses y sont même classées. « C’est vraiment un endroit où nos jeunes se sentent bien », résume Céline Aillerie, attablée dans une salle de réunion de la Grande Bibliothèque, dans le Quartier latin, à Montréal.
Céline Aillerie est intervenante pour l’organisme sans but lucratif Autisme sans limites. Ses « jeunes », ce sont des adultes autistes de 18 à 35 ans qui ont un point en commun : ils ont tous un haut niveau de fonctionnement cognitif et social. Ils sont vifs d’esprit (souvent très, très vifs d’esprit), mais ils ont besoin de soutien pour développer leurs compétences et leur autonomie, ce que l’organisme leur offre. Et qui dit autonomie dit... emploi.
L’équipe d’Autisme sans limites voyait donc la Grande Bibliothèque comme un super employeur potentiel. Elle l’a visitée à deux reprises, dans le passé, et savait une chose : quand ses jeunes y allaient, la magie opérait. L’équipe de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) accepterait-elle d’offrir un stage à quelques-uns de ses jeunes pour vérifier si, oui ou non, ils feraient l’affaire comme employés ?
Autisme sans limites préfère le stage à la traditionnelle entrevue d’embauche, qui exige de bonnes aptitudes en matière d’habiletés sociales et communicationnelles. Ce qui n’est pas la grande force des autistes. « Très peu s’en sortent bien et c’est un peu notre frustration, dit Céline Aillerie. Les employeurs n’ont pas la chance de voir concrètement les compétences de nos jeunes. »
Arnaud Roy-Johnson, 21 ans, opine.
« J’ai fait une entrevue l’an passé et ça n’a pas bien été. Je ne savais pas trop quoi répondre, quoi dire. »
— Arnaud Roy-Johnson
Youssef Fishere, qui a eu un diagnostic d’Asperger dans les dernières années, le constate lui aussi. « Beaucoup de monde a tendance à se vendre en entrevue, mais ce n’est pas une capacité que j’ai ou que j’ai apprise », résume le jeune homme de 28 ans.
Les doigts croisés, l’équipe d’Autisme sans limites a donc tenté une approche à BAnQ, le printemps dernier. Et les astres étaient diablement bien alignés.
« Notre service des ressources humaines m’a contactée pour me demander si ça m’intéressait d’intégrer des stagiaires dans mon équipe », raconte Stéphanie Quer, cheffe de service de l’abonnement et de l’emprunt à la Grande Bibliothèque. Sa réponse ? Oui. Absolument. À BAnQ, dit-elle, des discussions étaient justement en cours pour voir comment aller chercher davantage de membres de la diversité. Soulignons aussi que l’organisation a beau offrir de beaux emplois syndiqués, elle n’échappe pas à la pénurie de main-d’œuvre.
BAnQ avait un souhait : que des intervenants d’Autisme sans limites offrent des ateliers de sensibilisation à ses employés, ce que l’organisme s’est empressé de faire. Parce que c’est aussi ça, le nœud de la guerre : donner à l’employeur les outils pour bien communiquer avec les jeunes et pour bien utiliser leurs compétences. Les mots d’ordre : bienveillance, transparence, clarté. « Ce sont des jeunes pour qui tout ce qui est implicite n’est pas bien saisi, alors il faut d’être clair, ne pas être dans les non-dits, dans les conventions sociales attendues », résume Céline Aillerie, elle-même maman d’un enfant autiste.
Une employée a produit des aide-mémoires pour les futurs stagiaires, en y détaillant des procédures étape par étape, photos à l’appui. L’équipe en a profité pour faire le ménage dans ses méthodes de travail (ce qui, finalement, a été bénéfique pour tout le monde).
Le commis de bibliothèque Stéphane Courtois s’est porté volontaire pour encadrer les stagiaires (avec le soutien d’une intervenante d’Autisme sans limites). « Une petite voix m’a dit : vas-y, fais-le », dit Stéphane Courtois, qui ne connaissait pas d’autistes et qui ne savait pas à quoi s’attendre.
En mai, les trois nouveaux stagiaires – Youssef Fishere, Arnaud Roy-Johnson et Marc L’Heureux – sont arrivés par la grande porte de la Grande Bibliothèque, prêts à apprendre le travail de commis de bibliothèque.