L’avis du nutritionniste

Le menu de l’hôpital de l’avenir

18 octobre 2022. Jade est hospitalisée depuis quelques jours. Une bactérie tenace l’assaille. Jade n’a pas beaucoup mangé aujourd’hui : les médicaments, la fatigue et le stress lui ont complètement coupé l’appétit. Il est 20 h 30 et, soudainement, un petit creux se fait sentir. À côté de son lit, un écran tactile affiche le menu du jour. Elle n’a qu’à sélectionner ce qui lui fait envie et le repas lui sera servi une quinzaine de minutes plus tard. Le mijoté cari-coco aux lentilles la séduit.

Dans la cuisine de cet hôpital, on prépare quotidiennement, à partir d’aliments frais et biologiques, une quinzaine d’options afin de répondre aux besoins et aux goûts des patients. Ce sont des producteurs locaux qui assurent l’approvisionnement. Le jardin sur le toit de l’établissement permet d’agrémenter les plats d’herbes fraîches et de fleurs comestibles. Les quelques ruches fournissent le miel.

Préposée aux repas, Mireille ira livrer les victuailles. Si Jade le veut, l’employée pourra rester auprès d’elle pendant qu’elle mange pour lui tenir compagnie. Une salle à manger a également été aménagée à son étage si elle préfère une autre ambiance.

Jade engloutit le délicieux mijoté, allant jusqu’à essuyer d’un bout de pain naan les dernières gouttes de sauce dans son assiette. Repue, elle commence à somnoler, se disant qu’elle est chanceuse d’être ici. Même si la situation n’est pas très joyeuse, au moins, on y mange mieux qu’à la maison.

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À la fin de septembre, j’ai eu l’occasion de participer à une retraite organisée par la Fondation McConnell, qui chapeaute le projet Nourrir la santé. Ce dernier a comme objectif de repenser le rôle des établissements de santé dans la mise en place d’un système alimentaire durable. L’objectif de la rencontre ? Plancher sur ce à quoi pourrait ressembler l’avenir alimentaire du pays. Après tout, au Canada, nous dépensons annuellement près de 4 milliards de dollars pour nourrir les résidants, les patients et les employés du système de santé. Une somme astronomique qui représente un levier d’action puissant.

Le scénario ci-haut peut vous sembler utopique. Habituellement, quand on parle de nourriture à l’hôpital, les critiques dithyrambiques se font plutôt rares. Et pourtant, cet avenir est déjà là.

Partout au pays, des hôpitaux ont compris que le repas et l’expérience qui l’accompagne font partie intégrante du traitement des patients. Certains ont également réalisé que les aliments détiennent le pouvoir de soutenir les communautés et de préserver notre planète.

Mais comment notre système de santé peut-il se permettre un tel « luxe » ? Après tout, les budgets alloués pour nourrir un patient tournent autour de 8 $ par jour, en moyenne. C’est évidemment trop peu et j’espère que le gouvernement réalisera un jour qu’investir dans les aliments est gagnant. Malgré tout, des gestionnaires ont gagné leur pari, sans augmenter leurs coûts ! Nul besoin de réinventer la roue. Il suffit de s’inspirer de ces exemples innovants.

DES HÔPITAUX DURABLES

Au Québec, des gestionnaires de services alimentaires comme la nutritionniste Annie Marquez, au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, et Claire Potvin, au CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean, mènent le bal. En réorganisant le travail et en repensant l’offre, ce qui n’est pas une mince tâche, elles construisent des menus plus durables, en ajoutant, par exemple, des options végétariennes, en maximisant la biodiversité ou en achetant des aliments qui ont moins voyagé. Avec leur équipe, ces deux femmes gèrent plus d’une cinquantaine de cuisines institutionnelles. Imaginez l’impact !

En moyenne, on estime que jusqu’à 50 % des repas servis à l’hôpital sont gaspillés. C’est donc dire que l’argent nourrit les poubelles plutôt que de contribuer au rétablissement des patients. Et la science est claire à ce sujet. Un patient mal nourri est hospitalisé plus longtemps, ce qui nous coûte, collectivement, encore plus cher. Comment régler le problème ?

À l’hôpital Sainte-Justine, les patients commandent à partir d’un menu ce qu’ils veulent, quand ils ont faim. En procédant de cette façon, plutôt qu’en apportant les repas à heures fixes, la nutritionniste Josée Lavoie et son équipe ont presque enrayé le gaspillage alimentaire dans l’établissement. Une économie non négligeable qui a permis d’investir dans les aliments biologiques et locaux.

Depuis le début de ma carrière, j’ai l’intime conviction que les consommateurs ont le gros bout du bâton. Avec nos achats, nous avons le pouvoir d’influencer la façon dont nos aliments sont produits, transformés et transportés. Évidemment, le gouvernement aussi a une responsabilité à assumer. Et investir dans l’expérience repas des patients devrait être une priorité. En attendant, ce que ces exemples démontrent, c’est que même lorsque le système semble mettre des bâtons dans les roues, il suffit d’une poignée de personnes convaincues pour nous mener vers l’avenir.

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